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La première approche : vision, intention stratégique, tension créatrice et apprentissage

Encadré 4 : Les 7 types de biais cognitifs possibles d' après H Laroche (1991)

II. La première approche : vision, intention stratégique, tension créatrice et apprentissage

Pour Hamel & Prahalad (1989, 1995) la mobilisation de l’entreprise toute entière, l’engagement de l’organisation vers le futur qui est nécessaire à l’accomplissement de la vision se fait par « la [seule] communication portant sur la valeur intrinsèque de l’objectif. » (Hamel & Prahalad, 1989) Cet objectif capable de mobiliser l’entreprise à lui seul, prend la forme « [d’une] obsession du leadership global poursuivie pendant 10 ou 20 ans ». Les auteurs l’appellent « intention stratégique 18 19 ». Cette intention « décrit

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Coulson-Thomas (1992) reprend les résultats de 3 enquêtes effectuées auprès des dirigeants d’entreprises principalement anglaises au cours de l’année 1991.

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Le terme utilisé par Hamel & Prahalad est « strategic intent ». Pour traduire le terme « intent » le Robert & Collins propose : « dessein », « projet » et « intention ». La traduction française de l’ouvrage de Hamel & Prahalad (1995) choisi « dessein stratégique ». Si nous sommes d’accord avec le sens de cette traduction, nous préférons toutefois utiliser la traduction littérale « intention stratégique ». En effet, si le terme dessein présente l’avantage de souligner la proximité conceptuelle entre le « strategic intent » et la vision, il risque toutefois d’être confondu avec le concept de « corporate purpose » (concept qui sera abordé dans la suite de ce chapitre), et que l’on peut traduire par raison d’être de l’organisation ou… dessein.

[notamment] une position de leader désiré, [...] elle capture l’essence de la victoire [... et] fournit aux employés le seul but qui est susceptible de les faire s’engager : détrôner le meilleur ou le rester, mondialement. ». (Ibid.) Ainsi, comme le note Varraut (1999) « Hamel & Prahalad s’inscrivent dans une perspective téléologique. » : l’action de l’entreprise tout entière est guidée par un but : la vision20.

L’i ntention stratégique fournit alors une tension visible pour l’organisation. « [Elle] la force a être plus inventive, à fabriquer plus de ressources. Tandis que la [...] stratégie [traditionnelle] se focalise sur le degré d’adéquation entre les ressources e xistantes et les opportunités, l’intention stratégique crée une inadéquation extrême entre les ressources et les ambitions. La direction de l’entreprise défie ainsi l’organisation afin qu’elle comble l’espace. » (Ibid.) « [En conclusion,] il s’agit moins d e fixer des objectifs compatibles avec les ressources disponibles, comme l’enseignent les principes de la planification stratégique que de fixer des objectifs ambitieux desquels découleront les ressources. » (Mathé & Chagué, 1999)

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Comme le note Messeghem & Varraut (1998) dans un article traitant de la vision des dirigeants de PME « Certains utilisent les notions de vision et d’intention stratégique sans les différencier implicitement ou explicitement. ». Toutefois, ces deux auteurs, traduisant eux le terme « intent » par « intention », différencient les deux concepts de vision et d’intention. Cette différenciation pousse les auteurs à placer la vision en aval de l’intention dans un modèle proche de celui proposé par Shapero (1982). L’intention stratégique est alors définie comme « un état mental qui dirige l’attention du di rigeant vers la recherche et la mise en place de moyens particuliers dans le but de réaliser un objet stratégique spécifique, [une vision par exemple] », et la vision stratégique du dirigeant comme « sa représentation mentale, à la fois du présent et du futur, de son organisation et de son environnement. ». Cette conceptualisation est intéressante, toutefois, devant l’absence de validation empirique du modèle proposé par Messeghem & Varraut (1998) et donc de leurs définitions des termes, nous avons préféré garder sur le même plan vision et intention.

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Pour Hamel & Prahalad (1989, 1995) « l’intention stratégique » fait partie d’une nouvelle « architecture stratégique » de l’entreprise. Celle -ci comprend d’une part l’intention stratégique qui est un état ment al dans lequel le dirigeant se représente le futur de son organisation, et d’autre part, la mise en œuvre de moyens pour atteindre ce futur désiré. Les auteurs précisent également dans leur article de 1989, que l’intention stratégique décrit une position de leader désiré à long terme. En ce sens elle correspond à une description de l’avenir de l’organisation. Nous pouvons donc considérer l’intention stratégique comme un cas particulier de vision (car uniquement centrée sur le futur de l’entreprise.) qui se focaliserait uniquement sur les visions dont le but est d’être leader ou de le rester.

Cette idée n’est cependan t pas nouvelle, déjà Cyert & March (1963) associent aux objectifs de l’entreprise - et donc à la vision - un certain niveau d’aspiration ou d’ambition. Les deux auteurs notent alors que l’apprentissage provient d’un écart ponctuel ou continuel entre ce niveau d’aspiration et le niveau réel de performance. Cet écart crée alors une tension qui pousse l’entreprise à l’apprentissage.

Par ailleurs, cette analyse est quelque peu rapide. Métais & Roux-Dufort (1997) distinguent quant à eux, plusieurs niveaux de tension selon l’écart entre la vision et les ressources présentes dans l’entreprise. Selon ce niveau de tension, la forme d’apprentissage varie également comme résumé dans le tableau ci-dessous. L’apprentissage pourra ainsi prendre deux formes. Si la tension est modérée, l’apprentissage sera simple et consistera en une adaptation des ressources existantes ou en une imitation des concurrents. Cet apprentissage est qualifié d’apprentissage « simple boucle ». Si l’écart est fort, la tension incitera à l’inventi on de nouvelles solutions, à la transformation en profondeur des processus existants et à l’expérimentation. Nous sommes alors dans le domaine de l’apprentissage « double boucle » (Argyris & Schön, 1978)

Tension Apprentissage Stratégie

Niveau Forme

Vision : Excessif Inhibitrice 0 ou 1 Pas d’apprentissage

(Ecart entre l’ambition et

les

Fort Créatrice Invention,

boucle double 2 Transformation ; Expérimentation Intention Ressources présentes)

Modéré Régulatrice Amélioration,

boucle simple 1

Imitation ; Adaptation Adéquation

Insuffisant Inexistante 0 ou 1 Pas d’apprentissage

Tableau 2 Ecart vision/ressources et type d' apprentissage d' après Métais & Roux-Dufort (1997)

C’est dans ce cas d’un fort écart vision/ressources que n aît la tension créatrice décrite par Senge (1990) : « La tension créatrice provient de la représentation claire de ce que [l’entreprise] veut devenir - la vision - et d’un constat réaliste sur la réalité du moment. » Métais & Roux-Dufort (1997) précisent ces propos : « la tension créatrice découle d’une conscience de la nécessité de changer, induisant un sentiment d’anxiété positif. Ce dernier conduit l’organisation à redéfinir […] profondément ses manières d’agir et ses manières de penser, afin de progresser dans le sens indiqué par la vision. » Cette tension créatrice explique donc la motivation qui pousse l’organisation à apprendre. Et c’est par les solutions inédites générées par la tension que l’entreprise atteindra la vision.

Senge (1990) ainsi que Snyder & Graves (1994) insistent sur un point : la vision en elle même n’est pas suffisante pour induire une tension créatrice. Une représentation du présent est également nécessaire. « La tension naît de l’écart entre les deux. [... De même] sans vision, il n’y a pas de tension créatrice. Elle ne peut pas être générée par la réalité uniquement. » (Senge, 1990)

Cependant, « le degré de tension dépend non seulement du contenu de la vision, mais également de la capacité de leadership du dirigeant, c’est -à-dire de l’organisation. Par ailleurs, des ambitions voire des écarts identiques peuvent induire des niveaux de tension totalement différents. En effet, une organisation apprenante, habituée au changement est capable de supporter un niveau de tension nettement supérieur à une organisation statique, peu sollicitée au cours de son expérience passée. L’idée d’un niveau de tension ne peut donc se concevoir que de manière absolument relative, en fonction des caractéristiques de l’organisation considérée. » (Métais & Roux-Dufort, 1997)

Nous pouvons donc conclure de ces propos que « la clé du succès n’est pas une sorte d’image figée du futur, elle réside au contraire dans le maintien d’une tension créatrice qui condamne le système entreprise à fonctionner loin de l’équilibre, pourvu qu’il oscille entre les pôles sous tension sans jamais en éliminer un. » (Martinet, 1990) Créer ce différentiel entre présent et futur constitue un enjeu actuel majeur pour le management (Abell, 1993) et permet à l’entreprise de s’engager dans un processus d’apprentissage dont le degré varie suivant le niveau de tension créatrice. La Figure 2 (p.60) illustre le concept de tension créatrice.

Tant dans les travaux de Hamel & Prahalad (1989, 1995), que dans ceux de Senge (1990) et de Métais & Roux-Dufort (1997), le partage découle du challenge créé par l’objectif lui-même. Cependant, à l’instar de Varraut (1999) nous pensons que cette approche est incomplète. La mobilisation efficace ne peut pas être obtenu uniquement par une communication sur la valeur de l’objectif, aussi ambitieux soit -il.

III. La seconde approche : vision et idéologie : d’une stratégie