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La catastrophe du 27 février 2010 au Chil

5.3.1 La ville de Talca

La ville de Talca est une ville chilienne de taille moyenne227 située dans la vallée centrale du pays, entre l’océan Pacifique et la cordillère des Andes, dans la VIIe Région du Maule. Les rivières du Maule, Claro et Lircay, qui entourent la ville, favorisent la culture agricole. La région du Maule se caractérise par sa concentration importante de l’activité rurale (36% de ruralité selon PNUD 2008).

La ville de Talca constitue une aire urbaine d’environ 35 km2, qui fait partie du département et de la commune de Talca, et forme la capitale régionale de la VIIe Région du Maule. Selon le recensement 2002, la ville abritait une population de 193.755 habitants, sans compter les habitants du sud de la ville, qui appartiennent à la commune de Maule, bien qu’ils font partie de la conurbation Talca-Maule. La commune de Talca dénombre une population de 201.797 habitants et une population projetée pour 2012 de 249.993 habitants228.

Carte 02 – Commune de Talca (la ville de Talca est figurée en orange plus foncé). Source : Biblioteca del Congreso Nacional.

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L’Observatoire Urbain du Ministère de Logement et de l’Urbanisme désigne Talca « ville intermédiaire majeure » (ville abritant une population entre 100.000 et 300.000 habitants), située entre les villes intermédiaires mineures et les villes métropolitaines.

228 Institut National de Statistiques (INE), Recensement 2002 y Projection de Population 2012. (Le Recensement National 2012 est soumis à une révision exhaustive, suite à des erreurs détectées dans le processus de recensement. Pour cette raison, nous nous appuyons sur les projections 2012 au lieu du recensement 2012.

Image 01 – Photo aérienne de la ville de Talca. Source : Google Earth.

En 1742, le gouverneur du Chili, José Antonio Manso de Velasco, donne des instructions au maire Juan Cornelio de Baeza pour fonder une « villa d’espagnols » sur les terres cédées par le couvent de Saint Augustin. La « Villa San Agustín de Talca » a été édifiée le 12 mai 1742. Le statut de ville est concédé par un édit du roi d’Espagne, Carlos IV, en 1798. La ville a été dessinée selon un plan de six îlots carrés autour d’un espace ouvert, qui deviendra par la suite la Plaza Mayor.

Jusqu’au XIXe siècle, le département de Talca demeurait exclusivement agricole, mais, à partir du XXe siècle, l’activité industrielle s’est fortement développée. Les services et produits de toutes sortes qu’offre la ville intermédiaire attirent la population rurale des alentours229. La ville enregistre sa plus forte croissance urbaine et démographique au XXe siècle (de 34 ha en 1900 à 2.815,2 ha en 1992). La plus importante extension de la ville a été relevée dans les années 1960, quand la ville de Talca s’étend de 266,4 ha en 1960 à 1.545,12 ha en 1978230 (carte 03). Les différentes politiques d’aménagement de la ville et le rôle prépondérant du marché dans ces politiques a induit une expansion désarticulée de Talca

229 María Elvira Valdivieso Elissetche (coord.), Santa Ana, donde la ciudad tiene memoria. Aproximación a la historia y actualidad de un barrio de la ciudad de Talca, Éditions SUR , Chili, 2005.

230 I.G.M. Atlas de la República de Chile, 1983 (Vuelo SAF 1979, 1992) –Jaime Rebolledo Villagra, María Mireya González Leiva, Juan Muñoz Rau, « Morfodinámica e inestabilidad potencial de la ciudad de Talca-Chiles », Revista de Geografía Norte Grande, 24, 1997, pp.49-58 (ISSN 0379-8682)

dès les années 1980. Les chercheurs Boyco et Letelier231 établissent une étude de la ville intermédiaire néolibérale et ses inégalités à partir d’une série de cartes de la ville de Talca réalisées par l’Escuela de Lideres de Ciudad (ELCI 2009) de l’ONG Surmaule232 et d’une étude sur l’identité et les identités dans la Région du Maule233. Ces travaux montrent l’apparition de problématiques propres aux métropoles, comme la baisse de la qualité de vie urbaine, la ségrégation socio-spatiale, l’altération des relations sociales et la perte de confiance envers autrui234. La société de Talca se distingue par une population très attachée à la ruralité, et ses habitants ont un caractère propre à la vie rurale : la vie quotidienne se mène plutôt à l’intérieur des maisons, que les habitants partagent avec leur famille235. Selon les données de l’enquête CASEN, Talca est une des villes moyennes-grandes qui a la plus grande proportion de foyers pauvres236.

L’expansion de la ville vers le nord (le quartier appelé Barrio Norte) et vers l’ouest, (le quartier Población Carlos Trupp) s’est induite par la construction de grands ensembles de logements sociaux, de mauvaise qualité de surcroît. On y déplore également la qualité et la faible quantité des espaces publics et des équipements. Mais si, d’un côté, la ville s’est étendue de manière approximative et boiteuse, elle a également été le support d’investissements majeurs ces quinze dernières années, avec l’implantation de 14 hypermarchés, 18 grands magasins, 20 pharmacies, deux centres commerciaux de type mall et un casino. Tout ce développement commercial et urbain engendre fatalement une

décroissance du commerce local de la ville237.

231 Patricia Boyco et Francisco Letelier, « La ciudad intermedia neoliberal y sus desafíos políticos pos-terremoto », Temas Sociales, n°68, Santiago de Chile, Éditions SUR, juin 2010 [En ligne], http://www.sitiosur.cl/r.php?id=914. Consulté le 10 juillet 2010.

232 Les cartes des brèches territoriales (MBT, Mapas de Brechas Territoriales). Consultées sur www.sitiosur.cl, elci.sitiosur.cl, www.surmaule.cl.

233

Constanza Concha et Francisco Letelier, (coord.), Identidad e identidades en el Maule. Claves para imaginar el desarrollo regional, Gobierno Regional del Maule, Talca, 2010 [En ligne] http://www.surmaule.cl/wp-content/uploads/2013/07/identidadesmaule.pdf

234 Les cartes illustrent les résultats à partir de données quantitatives (montant des inversions, distributions des ressources, quantité de m2 d’espaces publics verts) et l’étude d’identité de la région qualifie la ville à partir de la perception des habitants sur la qualité de vie urbaine des villes

intermédiaires dans la région du Maule.

235 Consejo Nacional de Cultura (CNCA) et Instituto Nacional de Estadísticas (INE), Encuesta sobre Consumo Cultural y Uso del tiempo Libre. Août 2005.

236 Données Enquête CASEN (Caractérisation Socioéconomique Nationale), 2003.

237 Francisco Letelier et Patricia Boyco, Talca posterremoto: una ciudad en disputa. Modelo de reconstrucción, mercado inmobiliario y ciudadanía. Éditions SUR, Santiago de Chile, 2011, [En ligne] http://www.sitiosur.cl/r.php?id=915.#sthash.oY7lQjEg.dpuf

Talca se compose d’un centre-ville doté d’une des plus importantes trames urbaines coloniales du pays. Le centre-ville actuel correspond à la vielle ville et représente 20% de la superficie de la ville. La zone centrale est divisée en 15 quartiers238 rassemblant 38.078 personnes, parmi lesquelles 13.327 personnes sont hébergées par des proches, ou locataires239. 28% des logements du centre–ville sont bâtis à partir de matériaux en terre, représentant un fabuleux patrimoine architectural et culturel. En rapport à la valeur urbaine et sociale du centre-ville, Letelier et Boyco qualifient Talca comme une ville démocratique qui coexiste avec une ville néolibérale, pour désigner son expansion.

Carte 03 – Expansion urbaine de Talca de 1743 à 1992. Source : Vuelo SAF 1978 -1992240.

Sur l’image 01, nous pouvons voir clairement deux types de trames urbaines, la coloniale, très géométrique, et son extension ultérieure, produit d’une somme d’entités agglomérées à la ville ancienne. La vielle ville se caractérise par sa mixité sociale ; dans le

238 Villa la Paz, Astaburuaga, Chorrillos, Santa Ana, Las Heras, San Agustín Seminario, Edén, El Prado, Abate Molina, Centro Sur, Paso Moya, Oriente, barrio comercial y de servicios.

239 Cadastre municipal cité par Francisco Letelier et Patricia Boyco, 2011, Op.cit., p. 33. 240 Jaime Rebolledo, María Mireya González et Juan Muñoz, « Morfodinámica e inestabilidad potencial de la ciudad de Talca-Chiles », Revista de Geografía Norte Grande, 24, 1997, pp.49-58 (ISSN 0379-8682).

centre-ville habitent des personnes de niveaux de vie divers, mais qui ont un égal accès à toutes sortes de services et à des espaces publics de qualité241.

(1) Talca après le tremblement

La ville de Talca a été une des villes les plus touchées par le tremblement de terre. D’abord du fait des matériaux utilisés pour les édifices de son centre-ville. Les constructions en adobe242 sont tombées ou ont été gravement endommagées. Ainsi, dix-sept

bâtiments classés monuments nationaux ont subi des dommages considérables. Concernant les services publics, l’Hôpital de Talca est resté inutilisable et 26 écoles et lycées ont été

détériorés. D’autre part, le commerce a été un des secteurs économiques les plus affectés243.

L’école de Líderes de Ciudad de ONG Surmaule et l’EED d’Allemagne244, ont publié des cartes des dommages subis par la ville245. Les cartes ont été réalisées à partir d’un cadastre préliminaire aux dommages, réalisé le 5 avril 2010 par la mairie de Talca. Dans ces cartes, le dommage « désigne la destruction totale ou partielle d’un bâtiment ». Les édifices qui ont subi des fissures ou des dommages mineurs ont été considérés comme épargnés et classés dans une rubrique « sans dommage »246.

La zone endommagée correspond à 20% de la superficie de la ville de Talca (Carte 04). Ce polygone coïncide avec son centre-ville. Les données livrées par les autorités sont contradictoires, sur les 5.300 logements répertoriés avant février 2010 par la municipalité, 3.375 logements étaient endommagés ou démolis. Cependant, selon les données du recensement du 2002, le polygone endommagé regroupe un total de 11.538 logements.

L’ONG Surmaule estime donc à environ 6.803 le nombre de logements détériorés dans le périmètre du polygone, parmi lesquels 2.926 logements sont réhabilitables, tandis que 3.877 présentent des dégâts irrémédiables. Les chiffres du bilan des victimes des dégâts matériels communiqués par le Gouvernement et la presse sont restés imprécis. Pour la commune de Talca, l’ONG Surmaule ruse ; elle estime à 10.113 le nombre de victimes sur

241 Francisco Letelier et Patricia Boyco, 2011, Op.cit., p. 19-20.

242 Matériau constitué par l’assemblage de briques durcies au soleil, fabriquées à partir de terre essentiellement argileuse mélangée avec de la paille.

243 Francisco Letelier et Patricia Boyco, 2011, Op.cit., p. 30.

244 L’année 1999, les églises évangéliques allemandes ont créé “Evangelischer Entwicklungsdienst” (EED) comme un service d’appui au developpement.

245

Consulté le 20 août 2010 sur http://elci.sitiosur.cl. 246

Description et sources d’information des cartes de dommages à Talca. L’École de Líderes de ciudad de ONG Surmaule. Consulté sur http://elci.sitiosur.cl/

le territoire de la commune, chiffre obtenu par déduction des 6.803 logements endommagés du polygone accidenté, et en ajoutant les 2.381 familles non propriétaires et les 929 logements inhabitables répertoriés par la municipalité (DOM - Direction d’œuvres municipales) parmi les logements de zones rurales de la commune. Cependant, dès le mois d’avril 2011, le « registre des victimes » disponible sur le site web du MINVU comptabilise 7.954 victimes des dégâts matériels, sur lesquelles seules 5.827 étaient éligibles à l’obtention d’une aide au logement ou allocation247.

Carte 04 – Zones endommagées. Aire urbaine de Talca : 35 km² (100%). En rouge est figurée la zone endommagée : 6,98 km² (20%). Source : http://elci.sitiosur.cl, consulté le 20 aout 2010.

(2) La planification ou l’absence de planification de la reconstruction

Les autorités locales et régionales n’ont pas eu une réactivité d’organisation efficiente suite à la catastrophe. Le centralisme caractéristique du Chili dans la prise de

247

La projection est réalisée à partir du pourcentage de dommages selon le cadastre municipal, qui était de 59%, en fonction de la totalité de logements du polygone endommagé.

décisions et dans l’administration des ressources se manifeste clairement dans ce type de situation. Une proposition de reconstruction locale élaborée par un groupe de la société civile, qui relevait d’un des mandats du maire de Talca, ainsi qu’une série de propositions, demandes et doléances des organisations sociales et citoyennes adressées à la municipalité n’ont pas été prises en compte, malgré les engagements pris.

Le maire de Talca est appelé à suivre les nouvelles modalités du Plan National de Reconstruction du Gouvernement. Pour les grands centres urbains comme Talca, ainsi que pour les localités gravement touchées par la catastrophe, la reconstruction urbaine sera gérée sur la base de Plans Directeurs de Reconstruction Intégrale des Grands Centres Urbains (PRE). Le Plan de Talca sera élaboré à travers un accord de collaboration entre le MINVU, la Municipalité, le GORE (Gouvernement Régional) du Maule et le promoteur immobilier El Bosque S.A. du groupe économique Hurtado Vicuña. Le consultant exécutant du Plan, choisi par le groupe économique sera le consultant en urbanisme Polis.

Le plan PRE Talca comme nous l’avons mentionné précédemment a pour simple vocation d’être une boîte à idées. Concernant les infrastructures routières et les espaces publics, il émet également trois propositions opérationnelles : la création d’un parc balnéaire dans la rivière Claro, l’aménagement du périmètre de la Gare de trains et la requalification du Marché Central, bâtiment classé monument national. L’équipe de PRES Talca propose également de créer une « banque du foncier », une base de données centralisant les valeurs foncières des propriétés qui sont en vente dans le centre-ville. La conception du plan, incluant une démarche de recueil de l’avis des citoyens, est prévue dans un délai de 90 jours. Concernant la participation citoyenne au plan, le consultant Polis a soumis des questionnaires aux passants dans l’espace public pendant une journée, afin de hiérarchiser les projets. Dans ce contexte, le groupe de travail de la société civile est devenu une Corporation de Développement, institution qui serait en charge de la concrétisation des propositions du plan de reconstruction.

En l’absence d’une participation des organisations d’habitants et le manque de représentativité sociale de la Corporation de Développement, s’est formé parallèlement le Mouvement Citoyen « Talca con Todos y Todas ». Ce mouvement s’attaque à diverses problématiques soulevées par le processus de reconstruction. D’autres mouvements de victimes, ainsi que des groupements antérieurs à « Talca con Todos y Todas », adhèrent à cette cause commune dont l’objectif est de rendre le processus de reconstruction plus participatif et de créer une vraie force citoyenne. Simultanément se forme le mouvement « Alliance de comités pour un logement dans mon quartier » visant à préserver les attaches des habitants

dans leur quartier d’origine, au niveau de leur logement notamment. Ce groupe est formé par des victimes non-propriétaires domiciliées dans les quartiers historiques avant la catastrophe, mais qui, selon les allocations du plan de reconstruction, n’ont aucun recours pour demeurer dans leurs quartiers d’origine.