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L’implication de l’expérience sensible de l’espace Une lecture des espaces publics

1.2. L’expérience sensible de l’espace

Faisons une brève caractérisation de l’expérience sensible de l’espace. Dans le contexte de l’étude de la ville et des espaces publics, elle a des conséquences tant pour l’habitant que pour l’espace. L’expérience sensible comme approche initiale à la réalité physique et sociale est essentielle dans la genèse des liens tissés entre les habitants et leur environnement. Les expériences font naître des connaissances localisées et des points de vue aussi divers que ces expériences.

« L'Expérience : c'est le fondement de toutes nos connaissances, et c'est de là qu'elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons, et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d'où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. [...] Mais comme j'appelle l'autre source de nos idées sensation, je nommerai celle-ci réflexion, parce que l'âme ne reçoit par son moyen que les idées qu'elle acquiert en réfléchissant sur ses propres opérations. […] J’entends par réflexion la connaissance que l'âme prend de ses différentes opérations, par où l'entendement vient à s'en former des idées. Ce sont-là, à mon avis, les seuls principes d'où toutes nos idées tirent leur origine ; à savoir les choses extérieures et matérielles qui sont les objets de la sensation, et les opérations de notre esprit, qui sont les objets de la réflexion »51.

L’expérience des espaces urbains, de leur matérialité et de leur sociabilité, amène avec elle des conséquences positives et négatives et ouvre à la réflexion sur les situations, les actions et les conséquences vécues. La réflexion aidera à prendre des décisions et à élaborer des pensées sur la ville et la société.

50 Pascal Amphoux, « Ambiance et conception : De l'analyse des ambiances à la conception architecturale et urbaine », Conférence internationale Herbert Simon, Sciences de l'ingénierie, sciences de la conception, Actes du colloque du 15-16 mars 2002, Lyon : INSA, 2002, pp. 19-32. 51 John Locke et Gottfried Wilhelm Leibniz, Jean François Thurot (éd), Oeuvres de Locke et Leibnitz, contenant L’essai sur l'entendement humain, revu, corrigé et accompagné de notes par J.F

Thurot…l'Éloge de Leibnitz par Fontenelle, le Discours sur la conformité de la foi et de la raison, l'Essai sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, la Controverse réduite à des arguments de forme, Paris, Chez Firmin Didot frères, 1839, p. 41.

L’expérience sensible de l’espace implique la capacité de percevoir et de sentir l’espace52, elle fait donc appel aux qualités sensibles de l’espace en tant que matérialité et à ses qualités sociales en tant qu’interactions et coprésence en public. En conséquence, nous pouvons distinguer à partir de l’expérience de l’espace, l’interaction de trois dimensions du sensible qui sont presque toujours mélangées, il est difficile de les distinguer pour délimiter clairement où ces dimensions commencent et où elles finissent.

(1) Une dimension sensorielle. L’expérience sensorielle correspond à l’expérience la plus immédiate, car elle est le rapport corporel direct avec la réalité.

(2) Une dimension sociale. L’expérience sociale correspond aux divers rapports d’interaction ou d’évitement des individus ou de groupes. Elle peut être un rapport symbolique ou pratique avec la réalité.

(3) Une dimension affective. Elle est le rapport d’attachement ou de détachement symbolique aux groupes, lieux ou environnements.

La dimension sociale et affective est traversée par des jugements moraux, des souvenirs, des préférences et des habitudes. Pierre Sansot isole cette interaction propre de l’expérience sensible et donne ainsi une définition du sensible : « Le sensible, d’une manière plus positive, c’est toujours ce qui nous affecte et retentit en nous. Une telle définition, dans sa généralité, a le mérite de ne pas cantonner illégitimement le sensible dans les limites de l’univers matériel ; et une observation plus fine nous apprend vite que le sentant et le sensible échangent souvent leur rôle, s’abandonnant l’un à l’initiative de l’autre »53. Aussi Sansot ajoute-t-il l’impossibilité de séparer dans l’analyse du sensible, le réel de l’imaginaire.

L’expérience de l’espace aide à modeler les comportements des habitants dans le milieu urbain. Ainsi, nous pouvons dire que cette modélisation est la conséquence de l’attirance ou de l’aversion que produisent les facteurs environnementaux et sociaux, car l’individu, en même temps qu’il est récepteur sensoriel, est récepteur social, c’est-à-dire qu’il agit face à des comportements et pratiques qui se déroulent dans l’espace. Il est en même temps un récepteur affectif et les conditions de l’espace vont activer aussi des réactions émotives. Les conditions thermiques, acoustiques, olfactives, visuelles, affectives et sociales nous permettent ou nous incitent à réaliser certaines actions sur l’espace et empêchent ou

52 Jean-Paul Thibaud, THIBAUD JP., « L’horizon des ambiances urbaines », Manières d’habiter, Communications, 73, 2002, pp.185-201, [En ligne],

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2002_num_73_1_2119 Consulté le 2 mai 2012.

rendent difficiles d’autres actes. Évidemment, ces conditions de l’espace urbain peuvent être qualifiées s’il existe un individu récepteur sensible face à lui. La qualification, la validation, l’attraction ou la répulsion des spatialités dépendent donc des particularités culturelles, économiques et sociales des récepteurs. Nous parlons d’une expérience qui n’est jamais la même pour tous. Comme elle ne peut pas être objective, elle n’est jamais complètement partagée. Si nous ciblons l’analyse sur l’expérience de l’espace par le corps d’une femme ou par le corps d’un adolescent, l’analyse de l’espace sensible serait contrastée. Merleau-Ponty dira sur la perception que « la chose ne peut jamais être séparée de quelqu’un qui la perçoit, elle ne peut jamais être effectivement en soi parce que ses articulations sont celles mêmes de notre existence »54.

1.3. L’expérience sensible comme moyen de familiarisation avec l’espace