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1 Passage à l’a te ou acting out motivé par une interprétation délirante Serge

Homme de 33 ans, il est le puiné, huitième et seul garçon d’une fratrie comptant sept sœurs consanguines mais il est aussi le cadet d’une fratrie où il a deux frères utérins. Tous les enfants de sa mère sont de pères différents. Son père s’est séparé de sa mère (l’a abandonnée, dit-il, selon l’expression de sa mère) alors qu’elle se trouvait à son neuvième mois de grossesse. Il est inutile de préciser que son père ne l’a pas reconnu. Sa mère s’étant toujours opposée à ce qu’il le rencontre ; aussi il n’a fait la connaissance de son père qu’à l’âge de 16 ans. Et c’est à l’initiative du père que l’oncle maternel lui propose de l’accompagner chez le premier.

-« Cela a mis de la discorde dit-il quand sa mère fut informée de cette rencontre. » nous dit-il lors du premier entretien.

Il est père de 5 enfants avec 5 mères différentes. Il a suivi une scolarité jusqu’en classe de 3ième. Il exerce, habituellement, le métier de transporteur.

Antécédents judiciaires

Vers l’âge de 20 ans, il doit rendre des comptes à la justice, il est poursuivi selon le chef d’inculpation d’auteur de violence avec arme, il déclare avoir répondu à une agression en utilisant un coutelas pour se défendre. Il est cependant condamné à des Travaux d’Intérêt Général ou TIG qu’il n’effectuera pas.

Deux ans plus tard, une plainte est déposée contre lui pour des faits de violences conjugales. Il est condamné à 18 mois avec sursis avec obligation de soins.

197 Peu de temps après il est incarcéré pour défaut d’exécution de la peine de TIG. Il purge 4 mois de détention.

Cette dernière expérience est maintenant vieille de 10 ans, Serge est de nouveau incarcéré.

Entretien 1 :

Serge se présente avec la plainte suivante : Il est attristé de sa dépendance à l’alcool qu’il consomme et qui le pousse à commettre des actes qu’il regrette. Il est suivi par le médecin addictologue et voudrait une aide complémentaire de notre part.

Il nous explique qu’il avait bu le jour où il a commis l’acte qui a entrainé son incarcération.

Nous le questionnons sur cette implication : serait-ce la bouteille la responsable de ce qui lui arrive ?

Il rétorque en nous disant qu’ils étaient entre amis et qu’il se trouvait ennuyé de

remarquer que sa copine semblait avoir le béguin pour l’un de ses amis qui semblait lui aussi l’envisager.

Il nous explique qu’ils s’étaient séparés à un moment de la journée et que cette conviction d’une histoire entre la copine qu’il fréquentait en marge de sa vie de couple avec une autre femme et cet homme entreprenant, s’est imposée à lui.

Il se rend chez son amie de longue date qui accueille sa maîtresse. Il tire dans le tas et blesse malencontreusement son amie. Il nous fait part de sa désolation et de sa faiblesse au regard de l’alcool.

Entretien 2 :

Le patient se présente sans énoncer de demande mais vient en formulant une plainte qui tente de la creuser. Il déplore la répétition des actes violents qu’il a commis. Il nous relate le fait que par six fois il a été conduit à s’expliquer devant les forces de l’ordre suite à des plaintes de tiers, pour des altercations suivies d’actes violents avec usages d’armes

blanches (coutelas) ou d’usage d’arme à feu.

Il a été condamné deux fois avant cette mise en détention provisoire. Il met à nouveau et surtout en cause son état éthylique pour expliquer le motif de ses actes.

198 Il évoque ensuite le moment où il a perçu entre sa copine et un homme nouvellement connu par son groupe d’amis, un échange de regards. (Interprété comme une connivence et reformulé comme un complot).

-J’ai remarqué des coups d’yeux et j’ai pu comprendre -Qu’est-ce que vous avez compris ?

-Je me sentais manipulé, je sentais que c’était un coup monté. Elle m’a dérespecté. -Vous parlez de votre amie. Qu’est-ce qu’elle a fait qui vous a fait penser qu’elle vous a dérespecté ?

-J’ai vu qu’il y avait quelque chose entre eux et qu’ils voulaient partir pour faire l’amour et me laisser seul.

-Il sont partis comme cela ?

-Non ils m’ont dit de venir mais c’est moi qui ait décidé qu’on restait, mais ils n’ont pas voulu et moi je ne voulais pas partir.

Observations médicales

Le médecin addictologue reçoit régulièrement le patient et au regard de sa dépendance à l’alcool lui a prescrit un anxiolytique (2 comprimés d’Atarax). Ce collègue, cependant, a considéré qu’il y avait lieu de s’interroger sur un au-delà de la compulsion de répétition chez Serge et nous l’a adressé en vue d’un suivi psychologique ou d’une psychothérapie.

Discussion

Il y a lieu d’analyser dans un premier temps ce qui motive Serge à nous demander un entretien. Comme nous venons de l’indiquer, c’est à partir d’un changement de paradigme opéré par le médecin en lien avec le patient que ce dernier est conduit à demander un rendez-vous avec un psychologue.

En effet, si le médecin envisage qu’un autre espace soit utile pour considérer cet éthylisme, c’est qu’il introduit un écart entre la simple relation de cause à effet, ou la relation de subordination, entre la consommation de toxiques et d’autres actes et comportements du patient.

Cet écart constitue une « bulle » transférentielle, un espace transférentiel : c’est à la faveur du transfert entre le patient et le médecin que le premier se présente à nous. Le

199 patient témoigne d’abord de ce transfert en nous indiquant de pouvoir jouer un rôle, peut- être de complément et de contribuer à la triangulation du champ qu’il explore. Mais il se garde de restituer cet écart, puisque sa plainte, porte sur le même objet, suit la même logique explicative, qu’il avait offert au collègue médecin. Loin de le restituer, il l’obstrue en se disant être l’objet d’un obscur pouvoir. Ce virtuel désir d’un grand Autre a pour nom, l’alcool.

La question qui se pose au départ est : comment restaurer cet écart qui constitue le trait d’union transférentiel entre les deux espaces de soin que constituent la consultation médicale et l’entretien psychologique ?

Cette question porte la clé de sa résolution dans la faille où se loge la parole du patient. Quand il parle, c’est en tant que sujet de l’inconscient.

La question de la parole est complexe et se présente sous forme d’un chiasme : l’entendant est le sujet qui dialogue, mais il ne parle pas ; l’inconscient est le sujet qui parle, mais il ne dialogue pas. Ce chiasme est une figure intégrée, car le sujet de l’inconscient qui parle est un entendant.300 (Coursil, 2000 : 99)

Quand le patient entend le retour que nous lui faisons, il récupère sa place de sujet du dialogue et quand il vient à nouveau à parler, c’est moins en donnant à la boisson le premier rôle qu’en considérant son chagrin d’amour en position d’agent.

Chez Serge nous avons un premier temps où il assiste à une scène dont le sens s’impose à lui à travers les yeux de sa maîtresse et de son séducteur. Ce n’est pas la parole mais le regard qui frappe. Le signifiant « coup » revient deux fois. Il est notamment associé au regard. Le regard bat. Ce sont des « coups d’yeux » et des coups bas qui lui sont assénés. C’est une scène qui, pour lui, contient une part d’obscène. Le regard tel un objet visqueux lui est arrimé au corps et même en leur absence, il hallucine le manège qui se passe entre sa maitresse et son nouveau prétendant. Ce manège, ce jeu se joue devant lui et cela le regarde de façon impudique. C’est ainsi qu’il dit en séance « que c’était un coup monté » en maintenant une attribution impersonnelle de sa suspicion, puis il dit de sa maîtresse, « elle m’a dérespecté ! ». Il s’enivre mais demeure mutique au sujet de la scène par rapport à laquelle il se considère, désormais, être un spectateur.

300 Coursil J., La fonction muette du langage, cité par Lina V., Bilinguisme et lien social : Cris, vociférations,

injures, comme indices d’un malaise et promesse de discours. Exemple de modalité en milieu carcéral en Martinique, Contextes et Didactiques, 2017.