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La dangerosité malgré sa proximité sémantique avec le risque ne s’y confond pas.

91 Balier C., Psychanalyse des comportements violents, p. 12 92 Ibid, p. 20

93 Ibid. p. 20

106 Le terme risque est définit dans le Robert, à partir du mot latin resecare qui veut dire couper, mais aussi comme issu du mot roman rixcare, lequel est emprunté au mot latin rixare qui signifie « se quereller ».

Le terme risque, en effet, voisin des notions de péril, de hasard et de danger, qualifie les divers degrés de probabilité d’un évènement auquel on est ou auquel on choisit d’être, exposé. Cette éventualité heureuse ou malheureuse peut être attribuée à l’imprudence, à la fatalité, à l’accident ou à la chance.

La dangerosité, elle, concerne le degré élevé de probabilité supposée d’un acte périlleux. La notion de dangerosité est donc marquée par un enjeu de maîtrise par anticipation. Notons que l’étymologie du mot danger nous conduit au terme latin dominus (maître) et à l’infamie du merci (être à la merci de).

Une fois posée l’idée d’une probabilité élevée de péril, c’est alors à la notion d’état dangereux de faire l’objet d’une promotion. L’état dangereux comporte une fixité qui l’exclut des aléas, il est ainsi défini : « un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité pour un individu de commettre une infraction contre les personnes et les biens. »

La notion de dangerosité n’est pas circonscrite à la personne mais à un faisceau de facteurs dont la combinaison est présumée risquée au regard d’une sécurité idéalisée.

Ainsi la destructivité et l’agressivité humaine serait, dans un mouvement collectif, à l’instar de ce que Mélanie Klein a mis en exergue à partir de sa clinique auprès de patients considérés chacun depuis sa subjectivité, réduite à un mauvais objet mettant en péril l’intégrité de l’ensemble social. Un certain progrès aura été de distinguer la forme pathologique de cette destructivité (induisant une partition chez le sujet entre sa position de commissionnaire et celle d’auteur pouvant répondre de ses actes) de sa forme criminelle seule apte à se prêter à un jugement. Mais en définitive, cette distinction se trouve neutralisée dès lors que la folie et le crime sont ramenés à deux versions du même mauvais objet contre lequel la société (à laquelle nous feignons de prêter nos sentiments) considère qu’elle doit se défendre.

C’est en termes de prédictivité que ce péril est envisagé et la tentation de prétendre pouvoir y répondre s’offre comme pari voire comme défi.

La dangerosité en tant que notion offre en plus cet avantage idéologique d’être assez conforme aux attentes de l’opinion publique.

Georges Lantéri-Laura décrit, en effet, l’évolution des pensées des fondateurs de la psychiatrie de Pinel à Esquirol, qui va « d’une philanthropie universelle à un avis plus

107 mesuré et un emploi moins étendu du diagnostic d’aliénation mentale…95 ». Si avec

Philippe Pinel, « les aliénés, même les plus dangereux, ne doivent se trouver, ni poursuivis, ni condamnés, mais isolés dans une institution où, grâce à cet isolement et au traitement moral, ils vont guérir pour la plupart ». Esquirol à la suite de celui qui fut son maître, reprend le terme de manie sans délire pour décrire le comportement de patients présentant « un caractère acariâtre, méchant, dissimulé, à la conduite irrégulière, commettant des actions répréhensibles… 96

»

Lantéri-Laura ajoute :

…quand nous passons d’Esquirol à U. Trélat, nous constatons un durcissement des positions, car lorsque l’aliénation mentale est du type de la folie lucide, ce diagnostic ne sert plus à justifier l’application de l’article 64, mais, tout au contraire, à servir à la défense des familles et de la société et attirer l’attention des magistrats sur la dangerosité de tels sujets et sur la nécessité de les mettre hors d’état de nuire, au moins par une longue peine de travaux forcés.97

La dangerosité, précise cet auteur, appréhendée d’abord comme manifestation de la dégénérescence mentale ou de la pathologie constitutionnelle, est ensuite repérée comme étant associée aux délires chroniques. Elle est enfin considérée comme relevant d’un processus, d’une forme d’organisation pathologique de la personnalité.

Enfin, on peut comprendre que c’est à la faveur de cette formulation imprécise que celle des personnalités psychopathiques s’offre comme modèle.

Face à l’imprévisibilité de l’occurrence de comportements dangereux, se développe une préoccupation prédictive motivée par un désir d’emprise. Cette nécessité de maîtrise prend un caractère d’urgence, notamment au regard d’un phénomène aggravant, à savoir le risque de récidive.

Même s’il nuance son propos en évoquant l’incertitude qui entoure le pronostic d’un passage à l’acte violent, Michel Bénézech affirme que :

Le meilleur indicateur de récidive criminelle violente reste cependant la fréquence et le type des antécédents judiciaires. Les probabilités qu’un individu commette des actes violents sont considérablement plus élevées si celui-ci a déjà été violent dans le passé…Il est de fait extrêmement difficile de prévoir le moment où surviendra un crime mais il est possible de prédire qu’il y a des probabilités non

95 De Beaurepaire C., Benezech M., Kottler C., Les dangerosités - de la criminologie à la psychopathologie

- entre justice et psychiatrie,

96 Ibid. 97 Ibid.

108 négligeables que les personnes à risque criminel élevé le commettent un jour ou récidivent.98

Il plaide en faveur de mesures comprenant une mesure d’envergure nationale pour assurer la « gestion des criminels », en privilégiant les personnes incarcérées. Il préconise une évaluation initiale en vue d'établir des scénarios prédictifs.

Il recommande donc :

-un classement par niveau de sécurité, c’est-à-dire la détermination du degré de dangerosité pénitentiaire, mais aussi dans chaque région un centre d’évaluation et d’expertise criminologiques afin que l’expertise criminologique complète l’expertise psychiatrique. -l’établissement d’un profil criminel

- l’identification et l’analyse des besoins individuels et des apprentissages indispensables ; - un programme de traitement correctionnel, d’éducation et de soins visant à réduire le risque criminel ou suicidaire chez la personne dangereuse…

L’idéal éducatif et rééducatif est avancé et associé à un souci d’oblativité par l’intermédiaire d’un programme recélant un savoir sûr.

Bernard Bioulac et Benezech, relatent les expérimentations de Walter Rudolf Hess qui

:

…réalise des expériences de stimulations électriques de l’hypothalamus chez le chat. La stimulation de l’hypothalamus postérieur et médian induit les signes de la colère, de la rage et/ ou de la peur, alternativement celle de l’hypothalamus antérieur et latéral produit un ensemble de réactions relevant de l’homéostasie.99

La rage présentera pour nombre de physiologistes ou neurologistes, un modèle explicatif. Les impacts organiques résultant de l’infection par les virus de cette maladie favorisent la modélisation de certaines fonctions du système nerveux. La localisation anatomique de lésions tend à renforcer les convictions des tenants du point de vue organiciste. L’étude physiologique du cortex préfrontal a amené le neurologue Itzhak Fried100 à appeler

syndrome E, des comportements comptant parmi les plus agressifs, considérant une

98 De Beaurepaire C., Benezech M., Kottler C., Les dangerosités - de la criminologie à la psychopathologie

- entre justice et psychiatrie, op. cit. Ce propos semble trouver fortuitement des correspondances avec le

paradoxe de Zénon : Ici l’hypothèse qu’Achille rencontre la tortue est soumis au calcul des probabilités sans avoir l’assurance d’une coïncidence.”

99 Benezech M, Bioulac B., Les dangerosités - de la criminologie à la psychopathologie, op. cit. 100 Fried I., Syndrome E, The Lancet, 1997 pp: 1845-1847

109 localisation anatomique comme étant le siège d’un développement pathologique de la cognition.

La neurochirurgie s’est appliquée à tenter de réduire l’agressivité humaine. Un type d’intervention consiste à coaguler l’amygdale au moyen d’électrodes implantées par voie chirurgicale.

« Cette technique fait état de résultats positifs dans l’atténuation du comportement agressif…101», commentent Bioulac et Benezech, ils précisent cependant que diverses

interventions de cet ordre « produisent souvent une atténuation de l’anxiété et de l’activité plus que de l’agressivité… »

Cette segmentation de l’humain en une liste de comportements relève d’un parti pris et c’est sous l’égide de ce même parti pris que se conçoit la recherche d’administration de la preuve dans la stricte observance de la méthode expérimentale. L’impasse tautologique émerge donc dès l’entame d’une analyse critique de cette approche.

Des auteurs tentent le double pari de soutenir l’existence d’une corrélation entre la commission d’actes violents et des troubles psychiatriques et d’en réduire la portée en faisant la comparaison avec d’autres facteurs ou d’autres paramètres. Ainsi Marc Louis Bourgeois indique que Jerry W. Swanson, Charles E. Holzer, Vihay Ganju et al. soulignent que :

…la criminalité due à une personne présentant des troubles mentaux, ne représente que 3% de la violence en général et que l’alcoolisme est responsable de plus de violences que l’ensemble des autres troubles mentaux réunis.102

La recherche de l’état agressif a été menée au niveau de la nature tout en laissant planer une identité possible avec l’état dit dangereux. Sans aller jusqu’à parler d’une criminalité naturelle chez les animaux, Pierre Karli dans l’homme agressif compare le comportement agressif de l’animal dans des cas où il entraine la mort d’autres animaux au comportement meurtrier chez l’humain…

Le paradigme d’une origine ou d’une continuité naturelle de nos comportements et donc réductibles à des mécanismes observables dans la nature est un parti pris dominant dans le champ de la science. Il s’illustre par exemple dans les orientations qui président à la

101 Fried I., Syndrome E, The Lancet, op. cit., 1997 pp: 1845-1847

102 Cité par Bourgeois M. L., Psychopathologie et comorbidité psychiatrique in Les dangerosités - de la

110 recherche en physiologie animale généralement subordonnée à des préoccupations heuristiques concernant la physiologie de l’homme.

L’exclusion du sujet parlant par la science est ici, à l’œuvre. Au lieu du sujet, c’est à l’organisme que l’on a affaire et plus en amont, c’est à une combinatoire de fonctions neurobiologiques, aux variations des composants chimiques et moléculaires de cet organisme que l’homme est réduit.

Les discours politiques sont suivis de mesures législatives qui tendent à une emprise de l’Etat sur la quasi-totalité des espaces privés, mais surtout à une posture de garantie d’éradication du péril du désordre et de la barbarie. C’est dans cette perspective que les outils d’évaluation actuarielle contribuent à la surenchère de la chimérique lutte contre la récidive en établissant un néo-panopticon de l’identification des risques. Et un nouveau pas est franchi quand le risque étant défini, il devient l’argument d’une privation de liberté sans limite de temps.

Bruno Gravier, Valérie Moulin et Jean Louis Senon soulignent les travers de l’évaluation actuarielle de la dangerosité et s’inquiètent de « l’utilisation de la psychiatrie comme normalisateur social 103».

« C’est à partir de l’évaluation de la dangerosité et non de l’acte que vont se décider104 »,

les réclusions qui dérogent aux droits les plus élémentaires mais pas aux lois récemment votées par nos représentants.

Ces auteurs dénoncent ce qu’ils considèrent comme une dérive : ils reconnaissent l’utilité de l’évaluation de la dangerosité mais la séparent de la notion de risque et de l’instauration d’une pensée animiste à l’égard de la société sacralisée et victimisée.

Ils préconisent la mise en place de commissions d’éthique pour encadrer ce qu’ils considèrent comme une dérive de l’usage de la métrologie actuarielle.

Evaluer la dangerosité […] lorsqu’on travaille avec des patients dont on pressent la violence […] c’est avant tout se poser la question de la manière dont on va les aborder, et parler, avec eux et en équipe, de leur violence et ce qui peut la déclencher105.

103 Gravier B, Moulin V, Senon JL. L’évaluation actuarielle de la dangerosité : impasses éthiques et

dérives sociétales. L’Information psychiatrique 2012

104 Ibid. 105 Ibid.

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