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Le principe de la méthode expérimentale repose sur l’idée selon laquelle la connaissance scientifique est issue, d’une part, d’un recueil de l’observation répétée de faits afin d’élaborer, à la faveur de l’induction, un principe général ou une loi, et d’autre part, d’une interprétation de ce principe général (ou énoncé théorique) en des termes opérationnels définissant l’occurrence d’un scénario prévu.

Ce parti constitue une forme d’aboutissement du postulat défendu par Auguste Comte dans sa conception progressiste de l’esprit humain. Il s’agit d’accéder à l’état positif par la mise en exergue de lois générales, celles-ci déterminent la réalisation d’une action programmée selon ces postulats.

Cette question est envisagée par Maurice Reuchlin dans le champ de la psychologie en vertu du principe de la vérification. Dans cette perspective se distinguent, les méthodes de vérification utilisées par l’expérimentateur en psychologie expérimentale et celle utilisé par le clinicien en psychologie clinique. L’auteur présente ainsi son point de vue : « On pourrait aussi défendre l’idée que les modes de vérification de l’expérimentateur et du clinicien ne sont pas seulement de précision inégale, mais qu’ils sont de nature différente. »19

Le clinicien ferait reposer sa méthode sur un jeu de comparaison entre les observations. En effet, selon Reuchlin, dans l’approche clinique, la validation s’opère de la façon suivante : le clinicien « vérifie chacune de ses descriptions ou interprétations partielles par les autres interprétations et ou descriptions qu’il fournit sur les conduites d’un même individu.20

»

Pour ce qui est de l’expérimentateur sa méthode rejoint celle des objets de la nature :

19 Reuchlin M., Psychologie, p. 29 20 Ibid., p. 29

41 …deux mesures de temps, deux nombres de réponses exactes satisfont à cette exigence. […] Une hypothèse explicative est susceptible d’une vérification précise dans la mesure où elle entraîne des conséquences bien déterminées.21

La méthode expérimentale au sens strict selon l’auteur fait appel à des « variations « provoquées » des conditions de l’expérience ». Ces conditions trouvent leur formulation dans l’hypothèse qui prédit les effets de ces variations.

Mais les variations « provoquées » par la mise en place de situations artificiellement stéréotypées et simplifiées demeurent éloignées de la richesse des vécus, aussi de nouvelles formes de variations seront recherchées dans les états et les actions effectuées. Ces variations sont dites « invoquées ».

A partir de la définition de critères discriminants comme l’âge, le sexe se constituent des groupes dont certaines qualités seront comparées.

De même, pourra-t-on distinguer des groupes humains en fonction de l’état civil, de la profession, du nombre d’enfants, etc.

Nous constatons que dans le cas de figure des variations invoquées, il appartient à l’examinateur de puiser dans les catégories nominales les critères permettant la partition du groupe alors que dans celui des variations provoquées, ces définitions produites selon les termes d’un discours prennent la forme d’une modification active et d’une formalisation sommaire aboutissant à l’écriture d’une hypothèse opérant sur des variables où le sujet se trouve exclu.

Le modèle positiviste sur lequel la méthode expérimentale fondait sa pertinence a été contesté notamment par Willard Van Orman Quine à la fin des années 50 dans la perspective d’y substituer un idéal pragmatique. La philosophie pragmatique se réfère essentiellement à la conscience et envisage l’idée comme équivalant à un plan d’action à soumettre à l’expérience.

Dans son ouvrage « Le mot et la chose », il démontre les limites de l’artifice, véhiculé par nombres de philosophes du « Cercle de Vienne », qui consiste à envisager un « langage protocolaire » idéal afin de chercher à « systématiser les régularités observables » issues de l’expérience sensible qui serait autonome par rapport au « langage du sens commun ». En démontrant en quoi le langage protocolaire échoue à s’autonomiser par rapport au langage du sens commun, il illustre une clause déjà envisagée par Ferdinand de Saussure

42 soit le principe de « solidarité »22 qui est un principe de clôture23 définissant un système

symbolique.

Mais il s’agit aussi pour lui de montrer la frontière entre le langage, et l’expérience sensible. Il énonce donc une première objection : « Toute conceptualisation à grande échelle est inséparable du langage, et notre langage ordinaire qui parle des choses physiques est aussi fondamental qu’un langage peut l’être »24

.

Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de possibilité à vouloir simplifier le langage d’accéder plus directement ou plus intimement aux données sensibles.

Lacan envisage cette question en ces termes

:

…par toutes sortes de tentatives qui sont par exemple celles qui consistent à diviser le langage en un langage-objet et un métalangage, ce qui est tout le contraire de ce que démontre la suite, à savoir qu’il n’y a pas moyen un seul instant de parler de ce langage prétendument objet sans user, non pas d’un métalangage, mais bel et bien du langage qui est le langage courant.25

Et il conclut que le rapport sexuel ne peut s’écrire.

Quine précise le cadre conceptuel de ses propos en déclarant :

Les mots peuvent être appris comme des parties de phrases plus longues ; nous pouvons apprendre certains d’entre eux comme des phrases d’un seul mot, grâce au fait qu’on nous montre leurs objets. Dans les deux cas, les mots n’ont de sens que dans la mesure où leur emploi est conditionné à des stimuli sensoriels, qu’ils soient verbaux ou autres. Toute théorie réaliste des fondements de la connaissance doit être inséparable de la psychologie des stimuli et des réponses, appliquées aux phrases26

.

La prédiction étant entendue comme « l’anticipation conjecturale des données sensibles ultérieures venant confirmer une conclusion… »

Inversement quand l’observation n’est pas conforme au résultat attendu.

22Saussure F. (De), Cours de Linguistique Générale, "La langue est un système dont toutes les parties peuvent

et doivent être considérées dans leur solidarité synchronique", p. 124

23Coursil J., Dualités intégrées le maître-argument saussurien, Communication lors du Colloque «

Révolutions saussuriennes », Genève, 2007,

24Quine W.V.O., Le mot et la chose, p. 27

25Lacan J., Séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, p. 135 26 Quine W.V.O., op. cit., p. 46

43 …ce que nous avons, c’est une stimulation sensorielle divergente et troublante, qui tend à inhiber cette conclusion passée déjà faite, et ainsi affaiblit les conditionnements de phrase à phrase qui conduisaient à cette prédiction.27

Si l’auteur admet une différence entre le champ du langage et celui des données sensibles, ils se réduisent à n’être respectivement et symétriquement qu’un lieu porteur de stimuli pour un autre devant y répondre.

Les humains seraient guidés au milieu d’un foisonnement de stimulations en chaîne à chercher des solutions ayant un caractère de simplicité, ce qui expliquerait la recherche du principe de similarité : « la simplicité est là l’essence de l’inférence statistique.28 »

L’auteur considère que « la méthode scientifique consiste en gros à se laisser guider par les stimuli sensoriels.29 »

Fédida analyse cette question sous l’angle de l’étude du discours scientifique prenant notamment pour objet les perversions sexuelles.

L’intérêt porté par Krafft-Ebing […] à une classification des perversions et à une collection des cas répond au double principe de la découverte empirique des comportements anormaux et de l’intuition naturaliste et positive des manifestations de l’instinct dans l’espèce vivante […] La classification – en tant qu’elle constitue un ordre conceptuel à la fois juridique et médical – confère une rationalité positive à des « aberrations » qui jusque-là étaient comme des écarts à l’imagination humaine et expressions violentes des passions.30

Fédida considère la littérature comme « lieu de sensibilité et de recréation de nos concepts31 » il envisage la perversion comme modalité d’interrogation de la logique

rationnelle en relation avec la vérité et le langage.

Une certaine proximité lie donc idéologie du discours scientifique et vérité dans la perversion. L’auteur le précise ainsi : « La vérité telle qu’elle est instituée par ce langage ne doit jamais laisser transparaitre la personnalité de celui qui l’énonce »32.

27 Quine W.V.O., op. cit., p. 48 28 Ibid., p. 49

29 Ibid., p. 53

30 Fédida P., Le concept et la violence, p. 10 31 Ibid., p. 15

44 Nous illustrons par-là certains des aspects du débat concernant l’approche expérimentale comme mode d’accès à la connaissance.

Les supports qui s’en réclament notamment ceux issus du champ de la psychiatrie se présentent sous la forme de programme ou de manuels dont la finalité est essentiellement descriptive. Par ces contenus, les auteurs de ces supports s’exonèrent de toute proposition structurée au moyen d’un postulat. Des assertions diagnostiques susceptibles de se combiner ou de se juxtaposer se constituent en modèles explicatifs. Suivant cet angle, la détermination ou l’évaluation de la morbidité voire de la comorbidité, considérée, s’effectue au moyen d’échelles à visée diagnostique.

L’élaboration d’entretiens modèles dits entretiens diagnostiques structurés et semi- structurés à l’aune des critères des classifications internationales (DSM V et CIM 11) en constitue les développements les plus récents.

Ces outils sont conçus en vue d’obtenir une définition standardisée des objets soumis à l’étude.

Il se dégage le postulat d’une vérité fondée sur une crédibilité toute statistique. La validité de cette démarche est supportée par le degré de corrélation qui se veut l’intime du principe d’identité.

Cette corrélation indique une fréquence de cooccurrences entre des événements pouvant notamment relever de registres différents.

C’est ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, la possibilité de considérer une série de variables invoquées ou provoquées.

Selon Christopher Ferguson et Dominic Dick33, la psychanalyse aurait échoué à faire

admettre sa théorie comme valable à l’université car ses hypothèses ne pouvaient être évaluées empiriquement ou avaient été invalidées après avoir été testées empiriquement. L’accent sera tantôt mis sur une possible identité basée sur une forte probabilité, inversement la distinction entre deux ordres ou deux registres, sera évoquée pour souligner la nécessaire attitude de réserve qu’il convient d’observer face à un raisonnement qui s’apparente à un syllogisme dont les prémisses demeurent incertaines.

On pourra observer ainsi que d’un côté Nicolas Combalbert, Anne-Marie Favard et Marc André Bouchard considèrent que « pour les échantillons de patients psychiatriques ou de criminels : « ces recherches ne permettent pas de valider l’hypothèse selon laquelle il existe un lien fondamental entre troubles mentaux et criminalité… » ». Alors que d’un autre, Marc

33 Ferguson C., Dick D., “paradigm change in aggression research : The time has come to retire the General

45 Louis Bourgeois et Michel Bénézech avancent que « le comportement violent est statistiquement lié à la présence de perturbations mentales avérées…la dangerosité criminologique est corrélée à la dangerosité psychiatrique…34 »

Prenons donc un instant ce parti qui consiste à tenter d’explorer le réel à la lumière de la vérité statistique.

Nous aurions ainsi cherché à mettre en évidence, comme le suggère Bourgeois :

-l’existence d’une prévalence de troubles mentaux chez les auteurs d’actes violents ou les meurtriers se trouvant en prison.

- voire l’existence d’une prévalence de troubles mentaux chez ces mêmes personnes ayant commis ce type d’acte envers un membre de leur famille.

34 Bourgeois M. L., Psychopathologie et comorbidité psychiatrique in Les dangerosités - de la criminologie

à la psychopathologie - entre justice et psychiatrie ss la direction de De Beaurepaire C., Benzech M., Kottler

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Chapitre II : Emploi du mode expérimental pour