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1 L’e t etie li i ue

A la lumière de l’expérience de ces personnalités illustres, qui ont contribué à l’édification de la notion de la méthode ou de la technique clinique, nous prendrons le parti de considérer des préoccupations heuristiques au regard des données de l’entretien clinique sur la base du ressort pulsionnel de la situation thérapeutique, des données de l’anamnèse, des représentations du patient telles qu’elles sont issues de la relation de transfert et de contre- transfert au long des rencontres.

177 Il s’agira de situer les problématiques émergentes à partir de la parole des personnes reçues dans le prolongement d’une dynamique thérapeutique sans prendre appui sur le comportement criminel comme objet de fascination, mais comme un fond virtuellement soumis à la représentation dont il s’agira de traiter ce qui peut s’en dire comme symptôme ou comme signe.

L’ouvrage intitulé L’entretien clinique (Chiland, 1983) contient des éléments susceptibles de servir de jalons méthodologiques à ce cadre de travail.

Dans l’entretien clinique, le clinicien est présent comme interlocuteur vivant et bienveillant, mais absent autant que faire se peut dans sa problématique

personnelle. Le but fondamental est de laisser parler le client, de lui permettre de parvenir à parler s’il a des difficultés à le faire, pour qu’il dise ce qu’il a à dire, ce qu’il veut dire ce qu’il peut dire […] Le clinicien doit interférer le moins possible avec ce discours tel qu’il s’organise spontanément, il ne doit pas entraver la parole, mais la faciliter265.

L’auteur souligne l’importance de la neutralité et de la bienveillance dans la technique de l’entretien clinique. La neutralité bienveillante est, elle-même, issue de l’expérience de Freud dans la pratique de la psychanalyse. Colette Chiland précise encore ainsi le périmètre de l’intervention clinique.

Il faut que le patient puisse supporter ce qu’il nous dit sans que l’estime de soi, la cohérence, l’unité et la continuité de soi ne soient remises trop brutalement en cause ; sans que les relations avec les objets d’amours ne soient trop brutalement modifiées […] S’il vit ce qu’il a dit comme un aveu, trop de culpabilité ou trop de honte mobilisées ainsi feront de cet entretien une rencontre sans lendemain.266

D’un point de vue heuristique, on trouve dans les propos issus de la thèse de doctorat de Marie-Claude Lambotte une orientation de la recherche qui s’appuie d’une part sur un accueil phénoménologique du discours des patients. Elle prône ainsi « un mode

d’approche naturel, exempt d’interprétations trop réductrices »267. D’autre part et dans un

265 Chiland C. L’entretien Clinique, p. 17 266 Ibid., p. 21

267 Lambotte M-C., Le discours mélancolique. De la phénoménologie à la métapsychologie,

178 second temps, elle envisage l’élaboration métapsychologique comme clef de voute de la démarche psychanalytique.

Cette consécution est commentée par Julieta de Battista dans une autre thèse, elle y précise que le temps de la clinique suppose, à la fois une ouverture à la phénoménologie du patient et, en même temps, une implication de l’analyste « comme faisant partie du symptôme » du premier. Commentant ce qu’écrivait Freud en 1912, dans ses « Conseils aux médecins sur le traitement analytique », elle rapporte que :

Une intervention analytique ne peut pas être conduite comme une investigation théorique. L’analyste ne doit pas spéculer ou méditer sur le cas pendant qu’il analyse. Il ne faut pas qu’il fasse une sélection du matériel, au cas contraire on risque de trouver ce que l’on sait déjà. Il doit lui prêter une attention

constamment flottante : le sens du matériel n’est saisi qu’après coup. Il faut alors que l’analyste se laisse conduire par le hasard et surprendre par les changements sans y faire intervenir ses préjugés ou son savoir préalablement acquis […] Mais une fois l’analyse finie, il peut soumettre le matériel acquis au travail synthétique de la pensée. Là commence la tâche du chercheur.268

2 Emergence du cas

L’intérêt que le cas clinique représente pour la recherche, est mis en exergue par Freud à travers son travail d’écriture rendant compte de l’originalité de sa méthode au regard de la médecine. C’est cette approche que vient souligner Mareike Wolf-Fédida, en explicitant ce qu’il en est de la fonction de représailles du contre-transfert au moyen de l’analyse et de la dimension du péril auquel le clinicien doit faire face (contre ses propres mécanismes de défense) en réalisant la mise en forme du cas. Wolf-Fédida souligne en effet l’articulation nécessaire entre la clinique et le modèle théorique en écrivant que, par exemple le cas du petit Hans, « sert de base à certaines mises au point269 » de notions théoriques. Elle indique

ensuite que « c’est pour abréger que le psychanalyste se sert du cas de l’Homme aux loups comme d’une référence ultime à laquelle s’ajoutent toutes les publications qui suivent.270 »

Nous pouvons retenir que la mise en forme du cas clinique aurait notamment pour fonction

268 Battista (de) J., Le désir dans les psychoses Problématiques et incidences de la cure à partir de

l’enseignement de Jacques Lacan,

269 Wolf M., Le cas en controverse, p. 138 270 Ibid., p. 147

179 la mise à distance, de l’analyste ou plus largement, du clinicien, au regard de ses propre affects. L’écriture du cas est aussi une traduction par le langage d’une pratique vivante et donc promise à une précarité au regard de l’instant.

Nous trouvons chez Freud les éléments suivants pour la conception du cas clinique. La lecture comparée des Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle271 (l’homme aux rats) et d’un ensemble de notes manuscrites rédigées par l’auteur et éditées après sa mort, sous le nom de Journal d’une analyse272 (l’homme aux rats) nous fournit des éléments de réflexion sur le parti d’élaborer cet objet d’étude que constitue le cas.

Le point commun entre le texte qu’il a publié (l’homme aux rats) et les notes personnelles qui forment son manuscrit, est que les deux écrits se rapportent au traitement du même patient par le moyen de la psychanalyse.

Si nous nous intéressons à ce qui les différencie nous pouvons retenir l’élément d’analyse suivant : chez Freud, l’écriture du cas procède d’une tendance à la mortification de la chose, à sa réification.

Cette écriture s’attache au début à viser la reproduction la plus exhaustive du récit du patient seulement après la séance, c’est ce qui est privilégié dans le « Journal d’une analyse ». L’auteur s’engage ensuite vers une autocensure, un dépouillement, un effeuillage, et en définitive vers une véritable construction distincte d’une transcription d’un enregistrement : c’est ce que nous trouvons dans ses « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle ». Cette construction est, en fait, précédée d’une destruction, Freud parle de mise en pièce voire de gâchis. En effet le dépouillement s’accompagne parfois de la destruction des premiers jets, des documents originaux.

L’écriture d’un cas s’appréhende ainsi au regard de l’opposition entre écrire et publier que Lacan a traduit à travers le terme de poubellication.273

Nous retenons donc comme élément clé de notre méthode le fait d’intégrer la perte, les Schlamperei ou négligences que Freud semblait paradoxalement affectionner.274

En somme, une triple exigence s’impose, recevoir le discours du patient en faisant preuve de neutralité bienveillante et d’attention flottante, chercher dans un temps ultérieur à se remémorer les moindres détails tout en sachant accueillir avec bonheur, les négligences

271 Freud S., Les cinq psychanalyses. 272 Freud S., L’homme aux rats.

273 Lacan J., L’objet de la psychanalyse, le séminaire XIII, non édité 274 Freud S., L’homme aux rats, op. cit., p. 26

180 afin de donner à la chose ouvragée, la forme propice à faire place à l’élaboration du vide comme effet de la représentation.

3 Le cas et la vignette

L’élection du cas comme objet de recherche a conduit certains auteurs, à le définir comme un rapport, comme une mise en rapport entre un évènement et son contexte. Le cas serait un évènement situé.275

Nous partirons de cette notion de rapport pour faire entendre que le cas que nous visons à isoler résulte des coordonnées d’un sujet considéré dans une relation thérapeutique singulière. Nous inférons à la fois une typologie commune entre les cas à partir de l’analyse des productions de parole en référence au lien social et une écriture plusieurs fois amendable d’une expérience clinique.

C’est d’un côté, la part d’intelligibilité souvent inaperçue, de prime abord, de sa parole, par celui qui s’exprime. C’est d’un autre, son tissage dans le temps au fil des rencontres, mais aussi, le maintien des places respectives du patient et du clinicien pour conduire le déroulé de cette parole. Ce qui constitue la caractéristique du cadre de ce que nous tentons de mettre en exergue tout au long de notre démarche. Le cas dans cette perspective peut s’entendre comme un trait porteur d’une morphologie propre. Fédida souligne qu’à certaines conditions :

…le récit d’un cas dans la psychanalyse offre – bien au-delà de sa fonction illustrative « concrète » - l’avantage de construire un objet psychique inédit et de rendre énonçable un texte (une texture) en quelque sorte écrit à deux…276

Le cas se distingue de la vignette en ceci que la construction du cas peut reposer sur une présentation plus ou moins globale ou entière d’une démarche thérapeutique alors que la vignette consiste en une synthèse concise et fragmentaire de cette démarche. Nous retiendrons en outre, que le cas est un construit au terme d’une psychothérapie ou d’une analyse, alors que la vignette concerne un moment dans une pratique clinique qui peut être en cours.

275Leplat Jacques, « De l’étude de cas à l’analyse de l’activité » 276 Fédida P., Le cas en controverse, op. cit., p. 45

181 Notre présente approche, dont les postulats se réfèrent à la démarche clinique, n’use pas, cependant de l’entretien clinique à visée de recherche ou de l’entretien de recherche. La singularité de notre méthode résulte d’un choix hiérarchique. En effet, ce deuxième temps de notre travail ne se définit pas comme le fait de soumettre au champ de la clinique le format de la méthodologie de recherche mais d’envisager une lecture possible d’une pratique clinique à l’aide des outils de recherche. Ce renversement d’accent, dira-t-on, subordonne temporellement la recherche à la préséance de la clinique ou plutôt demeure inscrit dans un abord de la recherche considérant comme probante celle dont la méthodologie s’accorde avec la clinique du cas (Trichet, Hamon, Gaspard : 2015).

Par conséquent la présentation des cas qui va suivre ne vise pas à constituer un échantillon ordonné par un souci de représentativité envisagé après coup, elle ne vise pas non plus à faire émerger un objet reproductible à partir d’un format préalablement conçu.

En effet, nous soutenons à l’instar de nombre de chercheurs qui se sont situés dans le domaine de la recherche universitaire à partir d’une implication durable dans une pratique sur le terrain, l’idée du fondement d’une recherche s’appuyant sur une clinique vivante, c’est-à-dire sur une expérience professionnelle dans le champ de la clinique aux côtés du patient. La notion de liminalité du praticien, devenu ou devenant, chercheur (Saint-Martin (de), Pilotti, Valentim, : 2014) illustre la sensibilité de l’enjeu identitaire. Mais il importe de considérer l’enjeu méthodologique de cette question dans le champ de la psychologie clinique se référant à la psychanalyse.

Prenant le support d’un terrain constitué par le souci de l’élaboration d’une demande d’un patient. Nous considérons pertinent d’y prélever des questions pouvant être l’objet d’un projet de recherche.

Dans cette perspective, nous puiserons dans notre pratique clinique en milieu pénitentiaire se déroulant sur plusieurs années, les contenus qui seront l’objet de la présente recherche. Nous présenterons 2 vignettes cliniques illustrant des situations issues de notre pratique en lien avec la problématique étudiée.

Les vignettes présentées décrivent brièvement des situations cliniques ayant permis de mettre en évidence l’émergence d’une problématique subjective articulée aux modalités manifestes et discrètes du lien social, dans les entrelacs de l’embarras du patient invité à parler, à se diviser.

Nous présenterons ensuite, 6 cas cliniques également prélevés de notre exercice consacré au suivi psychologique et à l’offre de psychothérapie auprès de patients-détenus faisant

182 face à la sanction sociale venue en réponse à l’acte répréhensible, portant atteinte à autrui, qu’ils ont commis.

Dans notre expérience, la fréquence des séances reflète les difficultés structurelles auxquelles, singulièrement les psychologues sont confrontés. Elle suit actuellement le rythme moyen d’une fois par trimestre et par patient. Ces séances se déroulent pendant une durée de 15 minutes à une heure. Après le départ de trois collègues, seuls 2 psychologues sont actuellement en poste dans notre service occupant moins de 2 ETP (équivalent temps plein) de psychologue pour une population de 1000 détenus en moyenne.

4 Clinique sous contrainte

Balier évoque un aspect de sa démarche auprès des détenus ou des personnes en liberté mais relevant d’un suivi socio-judiciaire :

« Seule comptait la rencontre avec la personne, désireuse d’essayer de comprendre ce qui s’était passé dans sa vie. Il va sans dire que ma démarche ne consistait pas à attendre la demande…277 »

Dans notre pratique trois modalités de rencontre sont à considérer.

La « demande » ou la sollicitation spontanée : Le détenu lors de l’entretien de dépistage qui a lieu avec l’infirmier ou l’infirmière sollicite parfois spontanément son interlocuteur au sujet d’une prise en charge psychologique. La réponse la plus fréquente qui lui est apporté consiste à relayer cette demande auprès de l’équipe pour qu’elle parvienne au psychologue. Une réponse plus singulière est aussi apportée par l’infirmier, elle consiste à demander au détenu les raisons de sa sollicitation, bref à chercher à savoir un peu plus sur ses motivations et finalement à remettre en cause pour un temps le possible développement de cette forme d’appel en véritable demande.

La « demande » prescrite par le juge ou décidée par calcul. Les magistrats ont transformé les recommandations du législateur en un dogme qui induit une absurdité hypocrite, l’obligation ou l’injonction de suivi en milieu carcéral comme condition d’une mesure de clémence en matière de remise de peine.

277 Balier C., Compréhension dynamique du développement psychique des agresseurs rencontrés en prison,

183 La proposition de rendez-vous à l’initiative du psychologue. Nous invitons systématiquement tous les détenus incarcérés pour des motifs ayant trait à la violence envers autrui. Après avoir présenté sommairement le thème de notre recherche, nous recueillons l’avis de notre interlocuteur en vue de sa participation ou pas à ce travail et nous lui faisons dans un second temps l’offre d’être suivi par nous ou par un autre collègue. Nous présentons dans le chapitre qui suit, ce qui peut constituer les prémisses à ce tournant méthodologique qui se situe en amont de la formulation de nos hypothèses :

Notre recherche n’est pas sans envisager les implications voire les retombées de cette interrogation sur notre pratique clinique et plus généralement sur la pratique clinique en milieu pénitentiaire.

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Chapitre II : Prémisses d’u e clinique de

l’ap s coup

A/ Quelle clinique possible au regard de la représentation de l’acte violent criminel