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A/ Quelle clinique possibl e au regard de la représentation de l’acte violent criminel chez la personne mise en cause pour ce type de délit ?

1 Violence assertive, transgression et barbarie

Nous faisons état d’une « violence monarchique de l’arbitraire validation signifiante admise comme garantie d’une mise en ordre, d’une structuration des objets appartenant au monde de notre vécu. Elle prend le nom de repères, de valeurs communes.278 » L’admission des règles d’usage dans nos sociétés humaines semble prescrire la nécessité d’un passage par la violence de la limite.

Quelle est la fonction sociale de la ligne que dessine le rituel s’interroge Pierre Bourdieu279 ?

Peut-on dire que le rituel à la fois institue la ligne et légitime le passage de sa limite, soit la transgression de l’interdit ?

Mais ce sur quoi insiste Bourdieu, c’est sur le sacrement ou plutôt la consécration - au même titre qu’une malédiction - de la différence et en particulier de la différence des sexes ou des classes.

Dans un ordre d’idée voisin, cette ligne s’appréhende comme un rappel à l’ordre, ce « rappel à l’ordre qui met le sujet face à ses responsabilités et ses engagements est aussi une violence salutaire.280 »

Cette limite non instituée se révèle insignifiante pour certaines personnes et insupportable pour d’autres, notamment parmi celles que nous recevons en milieu pénitentiaire. La limite entre le prévenu et le condamné, entre le détenu et le surveillant, entre l’en-dedans et l’en- dehors, entre le temps de l’attente du jugement et celui de la purgation de la peine etc.

278Lina V., www.madinin-art.net/sujet/victor-lina/ 2013

279 Bourdieu P., Les rites comme actes d'institution. In : Actes de la recherche en sciences sociales. 280 Hasenbalg V., Sur la violence, http://www.mathinees-lacaniennes.net/

185 Certaines personnes détenues souffrent de ne pas pouvoir admettre la différence de leur statut en l’absence de leur signification au terme d’un jugement. Pour d’autres, c’est la légitimation même du jugement qui demeure en suspens.

Olivier Douville et Claude Wajcman donnent une définition de cette paradoxale violence du symbolique distincte d’autres aspects de la violence :

Ainsi la prohibition de l’inceste, et par extension des séries de prohibitions, seraient assimilables à la violence inhérente à tout ce travail de la symbolisation qui arrache l’humain à sa condition primitive, naturelle, ou animale. Envisager de la sorte cette violence fondatrice suppose de la distinguer de la violence comme agression accidentelle, atteinte portée contre les biens de l’homme et contre ce qui serait le bien des biens, soit son appartenance à l’universelle condition humaine

.

281

Mais la violence ne peut-elle pas être considérée comme une virtualité permanente dont les manifestations obéissent aux ajustements qui s’établissent entre les hommes en regard de leur rapport à la Loi ?

2 La violence et le droit

Wilfried Gontran présente une thèse développée par Askofaré au sujet de la violence. Cette thèse prend appui sur la réponse que Freud a fait à Albert Einstein dans le cadre d’un échange épistolaire.

…la violence, c’est ce qui résulte de la substitution du droit à la force. Quand la civilisation, l’organisation humaine donc, n’est pas encore accomplie, règne la force comme élément régulateur de la barbarie, c’est la loi du plus fort.

L’émergence de la civilisation correspond à l’introduction d’un autre élément régulateur destiné à remplacer le premier : le droit, au sens de l’arsenal législatif à venir qui puise son aspect performatif, c’est-à-dire efficient, de sa référence à la Loi devenant symbolique.282

La violence apparaît donc telle une scorie artificielle de tout progrès en matière de civilisation. Elle en est la paradoxale contrepartie et constitue un reste de cette opération

281

Wacjman C., Douville O., « Présentation », Psychologie Clinique 2010/2 (n°30), p. 5-6.

282 Gontran W., « De la violence comme destin de l'évaluation », Psychologie Clinique 2010/2 (n°30), p. 150-

186 substitutive, car Gontran le souligne, il existe une part de jouissance qui demeure hétérogène à la mise en forme signifiante par le truchement du droit et de ses codes. Cette part de jouissance réfractaire pourrait se situer du côté de la Jouissance autre.

Gontran poursuit

:

…la violence n’est donc absolument pas une version de la force, pas même de la force humanisée c’est-à-dire ce qui perdurait de la barbarie dans la société humaine (pas de violence originelle !) ; elle est, proprement dit, un résultat du processus de civilisation.

283

Dans cette perspective, il n’y a pas à attendre, d’emblée, de celui ou de celle qui a fait preuve de violence qu’il ou elle élabore au creux de l’abîme d’où a pu surgir ce reste, autrement qu’en faisant l’aveu de son incompréhension quand ce n’est pas par une réponse silencieuse.

Alain Vanier s’interroge sur la différence de nature entre une violence originelle qu’il envisage comme possible et une violence actuelle nécessaire. Il met en exergue ce que Freud isole aux premières étapes de ce processus de civilisation où s’affrontent des groupes humains « le groupe dominant substitue, à un moment donné, l’esclavage à la mise à mort. Le corps de l’autre peut servir les intérêts économiques de celui qui impose sa loi. 284» Nous

allons ainsi jusqu’aux formes actuelles de l’exploitation de l’homme par l’homme par le truchement d’un excès qui cristallise le refoulement de la dette de vie. Vanier se référant à l’apport de Walter Benjamin propose de distinguer la violence qui fonde le droit de celle qui en assure la permanence dans certaines configurations, notamment quand il légifère dans la sphère privée : « le droit perd lui-même confiance dans sa propre violence »285. Nous pensons en conclusion que la distinction précisée par Gontran mérite d’être souligner. Elle peut se résumer par le propos suivant : avant le droit était la force – c’est ce que Freud nomme violence de l’individu, violence brute ou force brutale -, avec son avènement, la violence est - c’est ce que Freud nomme le droit de la communauté. La violence est donc consubstantielle au droit qui est un produit de la culture.

283 Gontran W., « De la violence comme destin de l'évaluation », Psychologie Clinique 2010/2 (n°30) op. cit.,

pp. 150-159

284 Vanier A., « Droit et violence », La psychanalyse encore, ss la dir de Claude Boukobza, p. 434 285 Ibid., p. 437

187 3 Dire après le silence ou après le fracas mutique du faire : violence, passage à l’acte.

Celui qui parle ne se reconnaît pas dans ce qu’il a fait, dans l’acte qu’il a commis. Inversement, le détenu mis en cause pour des agissements violents, invité à parler lors d’un premier entretien avec un psychologue, ne trouve souvent rien à dire, selon les premières apparences. La commission actualise une tension et ce n’est qu’après avoir trouvé la possibilité d’une lecture que l’action se traduit en acte de parole.

Ansermet écrit :

…les comportements violents peuvent devenir un recours lorsque l’identité est mise en danger. La violence, c’est aussi une quête identitaire, une tentative de restauration subjective. Il y a toujours une dimension salvatrice dans les comportements violents. Il n’y a pas que la violence de mort, il y a aussi celle qui cherche la vie286

.

Dans cette perspective, la clinique de l’après ou de l’après-coup concerne un patient détenu encouragé à produire de la parole.

Ansermet préconise de considérer le comportement violent comme un « geste ». Un gestus, terme latin qui signifie attitude. « Il désigne une façon de se comporter. C’est un acte, une action. Cette action parle, mais pas à celui qui la fait, qui ne peut que la vivre. Dans un effet de distanciation, le gestus apparaît dans sa dimension d’énonciation. On peut dès lors en faire la chronique, c’est-à-dire la faire entrer dans le temps et dans l’espace, la réinscrire dans un monde symbolique. C’est la « geste » médiévale avec son sens de récit287. »

La chronique donne sens à la violence souligne-t-il

:

La violence fait sortir du temps, le suspend, l’abolit. La chronique au contraire est un traitement de la violence par le temps. La violence défraie la chronique. Celle- ci fait entrer la violence dans l’histoire, la restitue comme acte d’un sujet […] Il s’agit donc de créer une scène et une temporalité qui permettent à l’acte de s’inscrire comme phénomène subjectif, éventuellement même comme histoire

.

288

286 Ansermet F., in Sens et non-sens de la violence. op. cit., p.24-25 287 Ibid., p.25

188 Balier témoigne du fait que selon ses observations, c’est surtout la population masculine jeune qui est concernée par « l’acte criminel violent 289», ce qui l’entraine à envisager

prioritairement les problématiques de la délinquance juvénile, liées à l’adolescence et à la post-adolescence.

Elles se présentent sous la forme :

- D’une activation de la position dépressive exempte d’élaboration soit son échec : il faut que ça bouge !

- D’une polarisation autour des mécanismes en jeu dans de graves troubles du narcissisme et une précarité de son développement face au péril de la pulsion de mort.

D’où la recherche de « compensations mégalomaniaques » afin de faire face à un défaut de maîtrise pulsionnelle.

Il en résulte que les problématiques œdipiennes comme celles relevant de la culpabilité ou de la recherche de la punition, se révèlent de moindre importance du point de vue étiologique selon l’auteur.

Les blessures ne peuvent être vécues sur le mode de la castration mais sur celui de la disparition.290

La démarche de Balier comporte la recherche d’une typologie commune valable pour la population des patients qu’il étudie, elle se décrit comme une formulation explicative en position causale et sert d’appui pour prédire des effets. C’est ainsi que nous est présentée l’hypothèse de pavor nocturnus,291 supposée puis confirmée par les productions offertes,

au décours des entraves à la mentalisation chez ses patients. Cette occurrence répétée des terreurs nocturnes sans support imaginaire serait fréquente dans l’histoire des patients concernés par son étude. Il pose l’hypothèse d’une porosité des frontières entre production onirique, vécu traumatique dans l’enfance et passage à l’acte.

4 La violence de la normalisation

A l’inverse d’une image de la violence propice à provoquer les réactions les plus vives et les plus immédiates, on trouve :

289 Balier C., Psychanalyse des comportements violents. op. cit., p. 23 290 Ibid., p. 58

189 …une autre face de la violence, non celle qui joue dans l’excès et l’effraction, mais celle qui empêche précisément l’excès lorsqu’il est au service de la subjectivation et la division subjective. Violence du lisse, du silence, du gel. Il faut aussi tenir compte de la violence institutionnelle, réponses administratives dévoyées d’une clinique institutionnelle où l’on oppose financièrement le qualitatif au quantitatif292

.

Roland Gori en parle comme de la violence inerte293qui est portée par la passion

conformiste :

Dans cette douce « barbarie » culturelle, la haine creuse le lit d’une crise éthique qui fait symptôme dans le lien social […] Notre civilisation est une civilisation de la haine, produisant le monde et le sujet sous la forme d’objets homogènes, standardisés interchangeables […] Cette civilisation est aussi une civilisation de la transparence…294

Il souligne le rôle que joue le sentiment de culpabilité dans le traitement de cette violence :

… la culpabilité constitue le lien social. Le sentiment de culpabilité est corrélé à la socialisation, il provient de l’intériorisation de la haine et de la violence que mobilise la relation aux autres295

.

Lacan propose d’envisager le sérieux, la dimension du sérieux dans sa fonction de genèse de violences fanatiques à l’encontre de ceux qui s’autorisaient à interroger, à contredire la pensée établie et son ordre. Cette violence du sérieux aurait comme effet une telle dissuasion que serait dispensé, à l’université, un savoir dénué de conséquences296.

5 La violence oblative, la violence prédatrice libérale

La référence freudienne au sujet de la violence s’applique donc à un complexe de situations qui ne résident pas seulement dans le meurtre par sentiment de culpabilité tel que

292Wacjman C., Douville O., « Présentation », Psychologie Clinique 2010., op. cit, p. 6 293 Gori R., op. cit., p. 22

294 Ibid, pp. 34-35 295 Gori R., op. cit., p. 23

190 l’inventeur de la psychanalyse l’a défini comme obscur sentiment provenant du complexe d’Œdipe.

La première réflexion qui émerge de notre pratique nous amène à avancer que ce n’est pas tant une recherche d’allégeance au père passant par l’accomplissement d’une faute quand la culpabilité n’a pu être intériorisée, mais en premier lieu la vérification en flagrance d’une jouissance possible par l’actualisation d’un discours venant garantir l’absence d’impossible.

Si le lien social tel qu’il est tissé par le pacte civilisationnel est empreint d’une violence et d’une haine intériorisée, il l’est notamment par le truchement d’une dette. Dans le contexte postcolonial la haine est l’objet d’un déni voire dans certains cas d’une injonction à oublier. Il devient improbable qu’une élaboration puisse prendre appui sur un pacte quand la barbarie esclavagiste racialisée rétablit le règne de la force et même quand vient l’abolition de son empire c’est pour reconnaître et compenser, les affres de son abnégation, par un dédommagement de son manque à gagner financier.

Le principe de ce dédommagement accompagne, très précocement, comme une contrepartie la pensée « avantageuse » des principaux abolitionnistes du 19ème siècle. Il constitue dans son chiffrage une évaluation, et traduit le souci de recherche de la juste mesure de la perte de jouissance que l’abolition représente et induit pour l’esclavagiste.

Cette perte de jouissance consécutive à l’abolition de l’esclavage est convertie en plus- value au bénéfice de nombre de grands propriétaires d’esclaves et de terres dans ces espaces coloniaux des Amériques en particulier celui de l’espace caribéen où se situe la Martinique. Nous pouvons émettre comme hypothèse que la partie de la population des Etats-Unis qui a choisi comme président Donald Trump afin de mener une croisade contre toute mesure présentant un aspect égalitaire et oblatif telle que la réforme du système national de l’assurance santé mise en place sous la présidence de Barack Obama tendant à l’extension du Medicaid (couverture médicale réservée aux personnes les plus démunies), exprime son refus d’un lien social fondé sur la dette (Le coût décennal de cette mesure nommée Affordable Care Act surnommée « Obamacare » a été estimé à 1000 milliards de dollars). Les groupes humains les plus réactionnaires de cette partie du monde refusent la violence du don, principalement, à l’égard des moins nantis et lui préfère celle de la prise. Cette autre violence profite objectivement aux privilégiés confortés par l’ordre libéral concurrentiel ou aux professionnels de la délinquance et du crime.

191 Cette réaction conservatrice, s’il elle réussit un jour, repousserait l’échéance d’un pacte dans un pays où le meurtre demeure non-symbolisable puisqu’il est nié. Et puisqu’il est nié il ne peut être que répété.