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Le mot violence, tel un truisme, serait exempt de devoir être expliqué ; il est dans le discours en concurrence avec le mot agressivité qui paraît relever d’une comparable évidence.

Les courants de pensée évoqués précédemment réservent à ces notions un traitement à l’aune des représentations qui ont cours dans leurs champs respectifs.

Parmi les tenants de la méthode expérimentale, nombreux sont ceux qui ont proposé des protocoles, programmes et outils permettant de mesurer des observables isolés comme entités objectivables. Ce sont des comportements, des contenus verbaux associés à leur mode d’expression, des états du corps etc.

Pour l’inventeur de la psychanalyse, la violence n’est pas une notion ayant eu le privilège de sa sagacité.

D’ailleurs, le terme de violence n’apparaît sous la plume de Freud – de manière significative – que dans Malaise dans la civilisation (1929) et « Pourquoi la guerre ? » (1933).140

Depuis nombre de psychanalystes (Bergeret, 1984 ; Sibony, 1998 ; Askofaré, Sauret, 2002 ; Balier, 2005) ont retenu la violence au rang des phénomènes à considérer à mi- chemin entre le sujet, sa jouissance et le lien social.

140 Askofaré S., Sauret M-J., « Clinique de la violence Recherche psychanalytique », Cliniques

128 Après Pierre Fédida141 qui met en exergue la violence neutre et sans visage qu’évoquait

Hanna Arendt142, une phénoménologie de la violence comme objet d’étude semble avoir

émergé récemment avec un auteur comme Michael Staudigl143.

La violence concerne chacun de nous d’abord quand elle est considérée sous l’angle métapsychologique d’une transformation de l’énergie psychique en mouvement et en tendance en lien avec la pulsion, puis dans le prolongement de cette approche quand elle est appréhendée à partir de l’articulation de la notion d’agressivité et de celle de l’objet et enfin quand elle est entendue comme une atteinte à autrui, à l’ordre social et est définie sous les noms de violence, d’agression…

Quelle soit relationnelle, criminelle ou institutionnelle, la qualification d’une situation de violente, la transforme en objet souvent décrié.

Selon Philippe Jeammet « la vie est une violence qui procède par transformations permanentes de la matière… 144». Cette approche de la violence, à partir de la vie,

s’appuie essentiellement sur son substrat biologique et ses racines étymologiques et nous conduit à penser que primitive ou secondaire, fondamentale ou corrélée, la violence découle de notre expérience de vivant.

Philippe Gutton s’emploie à décrire la violence à partir de ses conséquences additionnelles, ainsi, elle pourrait se définir comme un excès. La violence serait un phénomène anti-sujet, un processus entrainant une désubjectivation145, une destruction du

sujet par un autre ou par soi.

Michèle Agrapart-Delmas, se référant aux travaux de Jean Bergeret, considère, à juste titre, qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre la violence et l’agressivité. Elle choisit comme critères de différentiation, l’intention et le plaisir éprouvé. La violence représentée et entendue dans la perspective de sa finalité, est une défense, « le but de la violence est de se protéger, pas de faire du mal à autrui […] La violence n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise… 146»

141 Fédida P., Le concept et la violence 142 Arendt H., Eichmann à Jérusalem

143 Staudigl M., « Esquisse d’une phénoménologie de la violence », Revue germanique internationale 144 Jeammet, P., Sens et non-sens de la violence. p. 179

145 Gutton P., Violence et Adolescence

129 A l’opposé de la notion de violence, Agrapart-Delmas situe celle d’agressivité par rapport à une intentionnalité. « L’agressivité est un terme récent qui apparaît au milieu du XIXe siècle où il se substitue à celui de méchanceté… » Mais au final l’auteur neutralise les critères proposés pour cette distinction en envisageant un « glissement » de la violence vers l’agressivité. L’agressivité serait telle une violence déniaisée.

Marie-Jean Sauret et Sidi Askofaré font d’abord remarquer que « la violence n’est pas un concept de la psychanalyse », ils entendent néanmoins que la psychanalyse ne peut faire fi de la violence autant comme catégorie que comme phénomène.

A l’encontre de l’hypothèse d’une virginité archaïque ou fondamentale de la violence, les auteurs avancent :

…il n’existe pas de « réalité pré-discursive », la violence est structurellement liée au lien social. Et ceci, notamment, si comme nous le pensons, social veut dire en psychanalyse : lien à l’Autre (et non pas grégaire, groupal ou sociétal). Dans cette perspective, il n’y a donc de violence que dans et par rapport au lien social147.

En clair, la violence n’est pas antérieure à l’institutionnalisation de nos complexes, elle en révèle les incidences, elle est retour de ce qui tire sa consistance d’avoir été banni,

l’interdit et de ce qui en demeure réel et hors d’atteinte.

Nous empruntons le chemin des précurseurs qui se sont intéressés en amont de ce qui détermine la violence comme l’agressivité tant chez l’individu que dans le champ social.

B/ L’émotion comme prémisse de la relation et condition de l’image

Une manifestation d’un affect intérieur, elle n’est ni une action ni un geste mais tend à en déterminer la réalisation ou le déclenchement telle est l’émotion. L’émotion s’appréhende chez l’enfant dans le registre de l’impression et des réactions subjectives d’où émerge l’objet. L’émotion écrit Wallon, « est une première forme de compréhension »148. Elle est,

pour ainsi dire, une amorce archaïque de l’intelligence, mais inversement, une condition de sa faillite. Elle révèle donc un aspect de l’élaboration psychique.

147Askofaré S., Sauret M-J., « Clinique de la violence Recherche psychanalytique », Cliniques

méditerranéennes. op. cit.

130 Les émotions les plus immatures et les plus dissociées, organisées sommairement en système d’attitudes, peuvent, selon Wallon, donner lieu à des attitudes d’agression, de menace, de défense ou de supplication dans des situations où elles ne répondent à aucune nécessité manifeste.

Ensembles et dans des proportions diverses, pensée et émotion, imprègnent, les mouvements. Ainsi une certaine constance du ressenti permet à l’objet d’être perçu. C’est ainsi que s’opère l’accès à l’image et à la représentation.

L’analyse de toute perception particulière montre qu’elle déborde l’impression d’où elle est effectivement sortie. Il appartient donc à une sorte d’indice, parfois très subtil, d’entrainer la perception. De sa détermination exacte et précise, de son choix judicieux, bien qu’irréfléchi, dépend la justesse ou l’opportunité de la représentation. Il peut d’ailleurs varier suivant les circonstances. Il ne consiste pas dans un code rigide, mais dans le pouvoir d’être à lui seul l’occasion de l’image149.

À partir d’observations d’enfants présentant des déficiences d’adaptation et diagnostiqués comme idiots, arriérés, et épileptiques selon la nosographie de l’époque, Wallon note un paradoxe : « nombre d’enfants rageurs n’ont à aucun moment de réactions agressives et dans leurs accès se bornent à hurler, vociférer, menacer, trépigner, tournoyer, se jeter par terre,150 … ». Ce qui correspond à des bribes d’actions résultant du processus de décharge d’affects.

On en déduit que la conversion d’un état émotionnel en une réaction offensive, en une agression, est une construction, un tant soit peu, sophistiquée.

C/ Le complexe

La notion de complexe s’articule à celle de l’émotion dans une perspective plus élaborée. Le complexe, en effet, lie sous une forme fixée un ensemble de réactions qui peut intéresser toutes les fonctions organiques depuis l’émotion jusqu’à la conduite adaptée à l’objet 151.

149 Wallon H., Les origines de la pensée chez l’enfant, p. 458 150 Wallon H., L’enfant turbulent, p. 24

131 Le complexe est défini comme une redondance qui détermine la représentation consciente. Mais c’est en référence à Freud que Lacan développe cette définition du complexe et à l’appui de ce qui du complexe relève de l’Inconscient, il y ajoute celle de l’imago en tant que représentation inconsciente dont la fonction est « d’établir une relation de l’organisme à sa réalité152».

Il peut s’entendre comme un réseau de souvenirs, un multiplicande de diverses appréhensions ou réactions qui prennent leurs sources dans les expériences les plus précoces notamment marquées par des traumatismes.

Cette mise en forme du divers s’opère au fil d’expériences contrariées, car jalonnées pour le moins, de heurts, de satisfactions, de détresses, de réconforts etc. Leurs différentes occurrences se prêtent à une lecture dotée de sens à la faveur des attentions le plus souvent accompagnées des interlocutions venant du milieu. C’est ainsi qu’elles tendent à s’organiser sous la bannière tissée du complexe. Cette dernière image indique que le complexe qui actualise la recherche d’une survivance notamment comme relai des exigences du besoin, concoure à l’émergence de l’imago maternelle dont une déclinaison consciente s’illustre à travers la figure d’attachement153.

La notion de complexe pourrait être comparée à un aspect de la définition que Paul F. Schilder donne à l’image du corps en tant que donnée préconstruite, en tant que « déjà là » avant d’être perçu par la conscience154. Il y manquerait le modèle opératoire décrivant le

lieu d’inscription de ce « déjà là ».

Le complexe du sevrage s’offre en négatif comme un processus de ruptures et de retrouvailles qui s’établit dès la naissance pour l’enfant, dès l’accouchement pour la mère. « La mère en répondant aux besoins, introduit paradoxalement du même coup la menace de mort…L’imago maternelle, salutaire, apporte ainsi avec elle le signe de la mort, instituant la pulsion de mort155. »

Il convient de noter que la croyance ou la conviction délirante qui appartient aux premières modalités de la connaissance, procède de cette orientation convergente de la survivance, génératrice de l’information qui borne le complexe.

152 Lacan J., Ecrits, p. 96

153 Cette connivence proposée ne vise pas à nier la divergence des postulats entre la thèse Bowlby et celle de

Freud au sujet d’une théorie des pulsions.

154 Schilder P., L’image du corps, p. 36 « …chaque changement reconnaissable entre dans la conscience déjà

chargée de sa relation à quelque chose qui s’est déjà passé avant. »

132 Après un moment d’étonnement, l’objet dont parle à ce moment Lacan et qui se présente comme une image, est propice à être perçu selon les modalités de l’amour du prochain et de l’identification à l’œuvre dans l’imago du semblable. Ce semblable n’est pas un autre reconnu pour lui-même mais une image ressemblante supportant l’intégralité virtuelle de soi - Lacan lui donnera le nom de petit autre - ce qui signale une perspective névrotique du procès spéculaire et néanmoins conditionne l’ire de la jalousie primordiale. Ce moment peut se réduire à fixer cet objet dans une identité de forme non substituable et étrangère, si l’on se situe dans une perspective psychotique.

Ansermet se réfère à la pensée de Lacan dans la perspective de définir les sources infantiles de la violence.

Il y aurait ainsi pour Lacan trois étapes dans la constitution du sujet. La

première, réelle, serait donc celle du complexe du sevrage où, entre l’enfant et la mère, le désir apparaît dans la béance de la mort. La deuxième étape, imaginaire, serait l’assomption de la division du sujet dans l’aliénation au semblable. La troisième étape, symbolique, serait celle où le discours vise à donner un sens à ce qui n’en a pas, faisant surgir l’objet. Le sens donné est celui de la castration. 156

Il rappelle la fonction structurante de l’identification primaire pour le sujet à travers la rivalité avec l’autre en tant que confondu avec soi-même, puis celle de l’identification secondaire qui suppose la mise en place de la fiction œdipienne. Le complexe d’Œdipe « est donc là pour résoudre le complexe de sevrage et le complexe d’intrusion »157. La

violence serait donc la conséquence d’une régression vers un lieu où le sens corrélé à la castration est invalidé, inopérant.

D/ L’agressivité