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Carte 2.4 : Cartographies mentales des représentations de la zone menacée par le risque volcanique en

Guadeloupe(Magnier, CASAVA 2011)

BILAN

Au terme de ce chapitre, nous constatons que les catastrophes éruptives historiques ont déterminé en grande partie l’évolution du rapport des sociétés aux volcans. Elles ont influé leurs représentations du risque volcanique et par là-même leur relation et leur pratique du territoire. Le retour sur les crises volcaniques passées nous a permis d’évaluer les vulnérabilités sociales de chaque époque et d’en constater les conséquences plusieurs dizaines

d’années après47. Les représentations des événements éruptifs d’antan façonnent la

«mythologie identitaire» de nos sociétés étudiées. (Joutard, 2000). «Les catastrophes naturelles sont sans doute une des formes privilégiées de la catastrophe, ce qui en dit long sur les rapports entre l’homme et la nature dans nos sociétés. Cette définition permet-elle de comprendre le processus de la mémoire des catastrophes ? Selon qu’elle accorde ou non le statut de catastrophe à un phénomène naturel, une communauté est marquée différemment» (Berlioz & Quenet, 2000 : 28). Si la mémoire

nous restitue le passé, elle est également, comme le dit Lecocq (1993in :Weil-Barrais, 1993 : 305),

"la forme de notre présent et l'esquisse de notre avenir".

L’inconscience et l’insouciance du début du XXème siècle allaient de pair avec les faibles connaissances en volcanologie de l’époque et la diffusion médiatique alors restreinte. Ces crises volcaniques ont profondément et durablement marqué, autant la mémoire collective des populations créoles que le monde des sciences géophysiques. Les représentations des populations à propos de la thématique des éruptions passées sembleraient tendre vers une réduction de la vulnérabilité humaine car les faits historiques sont connus dans leurs grandes lignes. Or les détails font défauts, la mémoire s’estompe avec le temps. Ce sont pourtant eux qui participent à l’élaboration d’un savoir juste, s’approchant au plus près de la réalité scientifique. Les événements majeurs sont connus de tous (la destruction de la ville de Saint-Pierre en Martinique ou l’indécision de l’évacuation massive en 1976 en Guadeloupe par exemple) mais ne suffisent pas à construire une culture du risque volcanique adéquate. Certains guadeloupéens pensent qu’il n’y a pas eu d’éruption effective en 1976, que ce n’était qu’une fausse alerte de grande ampleur. Le caractère phréatique du volcanisme explosif demeure peu connu. De plus, la population paraît sélectionner ce qu’elle garde en mémoire. D’autant que les émotions modifient l’ensemble des composantes de cette dernière, notamment en augmentant la quantité de détails mémorisés et le sentiment de réalité d’un souvenir (Halbwachs, 1925 ; Joutard, 2000 ; Ricoeur, 2000). Ainsi, les traumatismes du passé risquent d’avoir un impact dans le présent mais surtout lors des décisions futures. Une part non négligeable des habitants réunionnais ne vivent plus sereinement suite aux dernières alertes, le Piton de la Fournaise débordant d’activité depuis une dizaine d’années. Les sociétés martiniquaises et guadeloupéennes ne peuvent, quant à elles, rester figées sur les deux

Malgré l’avancée des sciences, la dimension spirituelle demeure ancrée dans les sociétés créoles ultramarines. Le moindre signe sortant de l’ordinaire est rapidement interprété puis relayé comme événement mystique. Tout comme dans le chapitre précédent, la fréquence des

éruptions48, possède une influence sur les représentations des populations : elles apparaissent

alors différentiées entre réunionnais et antillais. Si ces derniers vivent dans la hantise d’une prochaine éruption de leur volcan, les réunionnais ont acquis une expérience tendant presque vers l’habitude, l’accoutumance des épisodes éruptifs à leur vie quotidienne. Appréhender les comportements qu’adopteraient les populations en cas de nouvelle crise volcanique est délicat. Des recherches se sont penchées sur les contrastes existant entre la réalité des comportements de réponse en cas de crise majeure et les mythes sur les comportements inadaptés, persistant malgré des preuves empiriques du contraire (Quarantelli, Dynes, 1972). En termes de représentations d’une éruption future et des comportements annoncés, il existe encore trop d’approximations et de doutes. Une grande part des PSE avoue leur méconnaissance sur un grand nombre de points ou ne répond pas du tout à certaines questions par ignorance. La vision du volcan en tant que moyen punitif divin est encore bien présente dans les esprits créoles modernes. Les croyances et représentations symboliques à caractères spirituels et superstitieux sont puissantes. Les populations présentent ainsi une fâcheuse tendance à s’en remettre à Dieu pour décider de leur sort plutôt que d’aller vers l’information préventive et de réduire d’autant leur niveau de vulnérabilité.

L’expérience des uns ayant servi tout autant ou presque aux autres. Seuls les traumatismes les plus forts sont uniques à la société impactée. Mais les témoignages concordent sur le fait que l’expérience sert à tous surtout que les trois îles à l’étude sont rattachées à la même métropole. Les informations retenues des épisodes éruptifs de chacune servent d’archives ouvertes aux autres territoires exposés au même type de risque. Les mauvaises expériences qui se transforment par la suite en mauvais souvenirs vont durablement impacter les représentations des habitants et potentiellement agir sur leurs comportements futurs en cas de nouvelles crise. Nous pourrons le constater dans la suite de la recherche.

Les effets cumulatifs de l’expérience sont en effet à l'origine de l’essence même d’une société et de son savoir-faire, de ses connaissances, de ses capacités de communication ou relationnelles, de ses compétences actuelles et à venir. Elle permet ainsi non seulement de ré-accéder à son passé, mais surtout d'agir dans le présent et le futur. Les connaissances accumulées au fil du temps et des expériences les guideront au cœur de leurs actions à venir, notamment en permettant leur planification. Tout futur demeure incertain et source de spéculations mais parallèlement, le passé collectif n’a jamais été aussi présent dans notre société, via le rappel régulier lié aux sources d’informations disponibles et au nombre croissant des cérémonies commémoratives. La reconstruction incessante des souvenirs des catastrophes répond à des questionnements présents.

Réduire le niveau de vulnérabilité humaine passerait par l’entretien d’une mémoire non-sélective couplée à l’apport d’un message préventif adapté, que nous discuterons en fin de ce travail. Informées, les PSE vivraient moins dans la crainte, parfois irrationnelle, que l’on pressent au contact quotidien des habitants. Identifier un danger permet de l’appréhender au mieux, en réduisant le sentiment de peur initial. Les réactions et décisions en cas d’urgence gagneraient en cohérence. Il serait par la suite possible de renforcer ce sentiment émergeant de sécurité grâce à l’optimisation des connaissances.

Acteurs et état des lieux de l’information préventive

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