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L’éveil de la conscience populaire, impuissant face à la méconnaissance scientifique et aux enjeux politiques4

Des catastrophes à l’origine de l’évolution des représentations populaires et scientifiques

1.2. L’éveil de la conscience populaire, impuissant face à la méconnaissance scientifique et aux enjeux politiques4

Face aux manifestations de la Montagne Pelée qui s’amplifient, les habitants des hauteurs descendent vers la ville de Saint-Pierre, pensant y trouver refuge. Les établissements scolaires ferment, le tramway arrête de fonctionner et les pompiers sont mis à pied d’œuvre afin de dégager les cendres encombrant les rues. En fin d’après-midi et jusque

tard dans la nuit, un bateau5affrété pour la circonstance évacue les volontaires vers

Fort-de-France. Pourtant en parallèle, les acteurs politiques de l’époque tentent de rassurer les populations. Le gouverneur6 se rend à Saint-Pierre dans la journée puis rentre à

Fort-de-France d’où il envoie un message télégraphique au Ministre dès le lendemain disant : «une

éruption s’est produite à la Montagne Pelée dans la nuit du 2 au 3 mai. L’éruption semble en décroissance.»

Le maire de Saint-Pierre, certain d’être en sécurité mais aussi – et surtout ? - en campagne législative, tente de rassurer ses concitoyens. Selon lui, la source de la menace est bien trop éloignée de la ville pour présenter un quelconque danger. Il rédige et signe un communiqué

officiel, affiché dans la ville le 6 mai : «Nous croyons pouvoir vous assurer que, vu les immenses

Le 3 mai, vers 2h du matin, «le cratère crache des flammes et des pierres […] les sources se tarissent». (Louis, 2001 :47). Les cendres assombrissant la lumière du soleil, la journée se passe dans une semi obscurité.

Le 5 mai, un lahars dévaste une usine, générant un petit raz de marée qui pousse les habitants vers les hauteurs. Les victimes sont au nombre de 23 mais cet événement va vite être dépassé par l’ampleur de la catastrophe à venir.

vallées qui nous séparent des cratères, nous n’avons pas à craindre un danger immédiat et que la lave n’arrivera pas jusqu’à la ville ; les éléments seront localisés aux endroits déjà éprouvés. Ne vous laissez donc pas abattre par des paniques sans fondement. Ne vous découragez pas, redoublez d’ardeur et reprenez vos occupations habituelles afin de donner le courage et la force nécessaire au peuple si impressionnable de Saint-Pierre et des environs pendant une heure de calamité publique.» (Hess, 1902). Pourtant, malgré ce message rassurant, des dizaines de personnes quittent la ville et s’embarquent sur les bateaux spécialement affrétés en direction du sud de l’île.

Plus tard, la recherche des responsabilités de la catastrophe sera lancée. Une polémique politique se créera. Le second tour des élections législatives devant avoir lieu le 11 mai, le Gouverneur mais également, le Ministre des Colonies ainsi que le Gouvernement de Métropole seront mis en cause. La gravité du risque volcanique aurait été sous-estimée pour maintenir la population sur place afin qu’elle puisse voter. Est-ce dans ce but que le maire de Saint-Pierre s’adressa aux habitants afin de les rassurer et d’éviter un trop grand nombre de départ en-dehors de la ville ? Nous pouvons alors émettre la supposition d’un accord avec les médias de l’époque afin de faire concorder les témoignages rassurants. En effet, le lendemain du communiqué communal, soit la veille de la catastrophe, le directeur du

journal «Les Colonies» proclame à son tour l’inutilité de la panique et des mouvements

d’exode : «Nous avouons ne rien comprendre à cette panique. Où peut-on être mieux qu’à

Saint-Pierre ? Ceux qui envahissent Fort-de-France s’imaginent-ils qu’ils seraient mieux là-bas qu’ici si la terre vient à trembler ? C’est une grossière erreur contre laquelle il faut mettre en garde la population. » Jusqu’au bout, les représentations de la population sont totalement différentes de celles des maires, des journalistes et même de celles des scientifiques. A 19h, un rapport de la commission scientifique chargée de vérifier les caractéristiques et la dangerosité des

événements éruptifs indique qu’il n’y a «rien d’anormal… La position relative des cratères et des

vallées débouchant vers la mer permet d’affirmer que la sécurité de Saint-Pierre reste entière.»

Dans un contexte d’enjeux politiques, renforcé par de mauvaises représentations du risque volcanique, des milliers de personnes meurent sans avoir eu le temps de fuir. Plusieurs coulées pyroclastiques détruisent une large partie du nord de la Martinique, dont la totalité

de la commune de Saint-Pierre. «Dans la ville ensevelie, une époque entière a disparue» (Louis,

2001 : 11). Pourtant, malgré tout, l’attachement au lieu de vie demeurera le plus fort. La Guyane puis les Etablissements français de l’Océanie proposent d’accueillir les martiniquais souhaitant s’expatrier. Ceci dans le but de densifier leur population ou de faire évoluer les

Jeudi 8 mai, à 8h02, après plusieurs manifestations pyroclastiques fugaces tout au long de la nuit, une explosion détruit latéralement une partie du dôme. Une nuée ardente dévastatrice s’abat vers le sud-ouest, sur la région de Saint-Pierre, ravageant 58 km² du territoire et faisant près de 29 000 victimes (Chrétien, Brousse, 2002 ; Lesales, 2002). Cette éruption perdurera jusqu’en 1905.

mentalités de leur pays grâce à l’apport de la culture antillaise. Pourtant, la crainte d’un mouvement de panique face à une telle proposition et à l’arrivée potentielle de plusieurs navires dans le port (les habitants pourraient penser que le danger pour l’île est global et imminent), l’offre ne connaîtra pas de suite. De plus, comme leur répond lucidement et très justement Victor Sévère, alors maire de Fort-de-France et Président de la Commission de

secours aux sinistrés, «le sentiment général de la population est de n’abandonner le pays qu’à la

dernière extrémité : nous l’aimons d’un amour d’autant plus ardent qu’il est plus éprouvé». Après la catastrophe, Saint-Pierre sera reconstruite. Elle ne retrouvera cependant jamais son

dynamisme et son rayonnement d’avant l’éruption. Lafigure 2.1expose la cartographie des

zones touchées par l’éruption de 1902 à laquelle sont associés quelques clichés présentant l’impact de cet événement et l’aspect du Saint-Pierre moderne. Les ruines toujours présentes sur le site témoignent du choc psychologique sans précédent de cet événement auprès des survivants et de leurs descendants, comme auprès de ceux des victimes.

Zone du cratère, mise en place d’un dôme Isopaques des retombées aériennes en mm Limite sud des lapilli du 8 mai 1902 (diamètre > 1cm) Zone dévastée le 8 mai 1902

Parcours des coulées pyroclastiques dans la vallée de la rivière blanche Zone dévastée le 30 août 1902

Saint-Pierre avant 1902 Saint-Pierre après 1902

Saint-Pierre aujourd’hui

Figure 2.1 : L’impact spatial de la crise éruptive de la montagne Pelée 1902-1905

(Mas, 2012. D’après données et photographies de Lacroix, 1904 ; Chrétien et al, 1988 ; Bourdier, 1994)

2. Premières évolutions des représentations, entre sciences, politiques et croyances

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