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Le mélange de scientificité et de superstitions caractéristique de la culture créole

Des catastrophes à l’origine de l’évolution des représentations populaires et scientifiques

2. Premières évolutions des représentations, entre sciences, politiques et croyances populaires

2.3. Le mélange de scientificité et de superstitions caractéristique de la culture créole

Prenons ici la Réunion pour illustrer ce phénomène. Certaines éruptions du Piton de la Fournaise ont marqué les esprits réunionnais ; notamment lorsque les manifestations de

surface se font en dehors de l’Enclos Fouqué22 (Encadré 2.5), ou lorsque des dommages

matériels ou humains sont engendrés. Cela a pu entraîner de nouveaux processus participant à l’élaboration des représentations du risque volcanique observées à travers cette étude. Ce fut le cas en avril 1977 sur le territoire de la commune de Sainte-Rose et en mars 1986 sur celui de Saint Philippe où des coulées de lave impactèrent directement les villages.

Encadré 2.5 : Des zones de faiblesses à l’origine des coulées « hors Enclos »

2.3.1. Analyse du « miracle » de 1977 à Sainte-Rose

Le chapitre précédent nous a permis de constater que la dimension spirituelle du volcan ne laissait aucun doute. D’autant que les sociétés réunionnaises et antillaises mêlent, au quotidien, religions et superstitions de manière intrinsèque. Les représentations d’une large

Installé sur les pentes est du Piton des Neiges, le Piton de la Fournaise présente une morphologie dissymétrique, suivant son axe est-ouest. La caldeira de l'Enclos ouverte à l'est est caractérisée par ses grandes pentes rejoignant l’océan. Le flanc est du volcan a tendance à "glisser" vers la mer, engendrant une zone de faiblesse. Cela favorise l'ouverture de fissures sous la poussée du magma suivant certains points de sortie privilégiés. L'emplacement des coulées qualifiées d’ « hors Enclos » depuis 1774 en est la démonstration.

Revenons succinctement sur la chronologie des événements, éruptifs comme sociaux contribuant à l’évolution des représentations du risque volcanique.

L’éruption dura 11 jours, au mois d’avril 1977. Bien qu’ayant débuté dans l’Enclos Fouqué, deux fissures éruptives hors Enclos apparaissent à 24h d’intervalle. Le 08, une première fissure, sur les hauteurs de Bois-Blanc, entraîne l’évacuation de plus de 800 habitants mais la coulée de lave n’atteint pas le village. Le 09, une seconde fissure, ouverte au-dessus du village de Piton-Sainte-Rose va être bien plus dévastatrice. 2500 personnes évacuent, une trentaine

d’habitations sont détruites par une coulée de lave de 500 m. de largeur(Figure 2.2). Réactivée

le 13, elle atteindra la mer après avoir épargné deux bâtiments particuliers : l’Eglise et la gendarmerie. Cette dernière ne sera que peu mentionnée lors de l’engouement créé par la

sauvegarde de l’Eglise, considérée miraculée et rebaptisée depuisNotre Dame des Laves(Figure

2.3). La Foi des réunionnais, et surtout des habitants vivant à proximité de la Fournaise, s’en

trouvera d’autant renforcée. Des pèlerinages annuels ont désormais lieu sur le site, attirant un grand nombre de croyants mais aussi de curieux.

Outre l’aspect et les conséquences spirituelles chez les réunionnais, cette éruption fut le

déclencheur qui poussa «les autorités, le département, le CNRS[à décider]de la construction d’un

observatoire volcanologique et confient sa gestion à l’Institut de Physique du Globe de Paris. L'observatoire est opérationnel fin 1979. »(IPGP23). La dimension scientifique24a ainsi tout autant bénéficié de la manifestation éruptive du Piton de la Fournaise en cette fin des années 70.

L’observatoire de la Réunion est situé à Bourg-Murat, village de la Plaine des Cafres, à 15 km du sommet du Piton de la Fournaise. Créé en 1979 suite à l’éruption de 1977 qui toucha le village de Sainte-Rose, Alfred Lacroix avait pourtant proposé sa création dès 1936.

2.3.2. L’angoisse de l’évacuation de 1986 à Saint-Philippe

Le Piton de la Fournaise connait une activité effusive à la fréquence élevée. Depuis plusieurs décennies, les éruptions se succèdent au rythme moyen d’une éruption par an ; les rares années sans activité éruptive étant "compensées" par les années en comptant deux voire plus. Les réunionnais s’habituent progressivement aux manifestations de leur volcan. Les avancées scientifiques connaissent un développement exponentiel au fil des années. Favorisées par la médiatisation grandissante qui s’opère en parallèle, les éruptions de la

23Site de l’Institut de Physique du Globe de Paris :www.ipgp.fr.

24La partie suivante y est toute consacrée, s’attachant à observer et retranscrire l’état actuel des connaissances en volcanologie et ses aléas associés.

Fournaise sont de plus en plus vécues comme un phénomène géophysique, naturel, explicable et analysé scientifiquement. Peu à peu, le volcan réunionnais est intégré à la vie sociale.

Près de dix ans se sont écoulés depuis le "miracle" de Sainte-Rose. Quatre nouvelles éruptions sont déjà répertoriées. La cinquième marquera particulièrement la commune voisine et ses habitants. En effet, en mars 1986, Saint-Philippe est touchée par une éruption courte mais

impressionnante au niveau des quantités de matières émises. Malgré la crainte de « tout

perdre»25 face à de nouvelles coulées hors-Enclos, les habitants des zones menacées sont devenus familiers des phénomènes volcaniques. Ils seront tout de même marqués par l’évacuation rendue obligatoire le 20 mars, suite à une fissure de 600 mètres de long, projetant des fontaines de lave de 300 mètres de hauteur, s’ouvrant sur le flanc sud-est de la Fournaise, en dehors de l’ Enclos. Deux coulées de lave s’engagent dans les ravines habituellement empruntées par les cours d’eau saisonniers. L’une d’elles, la plus au nord, atteint la mer après

avoir coupé l’unique route entre les communes de Saint-Philippe et Sainte-Rose, la RN2(Figure

2.2). Un plan ORSEC est rapidement mis en place, quelques 500 personnes sont évacuées

d’urgence. Huit maisons sont détruites et les habitants des maisons se trouvant isolées entre les deux coulées de lave connaissent de réels moments d’angoisse qui font désormais partie des déterminant des représentations du risque d’une partie des réunionnais.

A la suite de l’éruption marquante de 1986, les manifestations du Piton de la Fournaise vont être très régulières de 1987 à 1992 : une éruption par an environ. Puis le volcan plonge dans une période de sommeil de 5 ans et demi. En 1998, son réveil est annoncé, une éruption exceptionnelle débute alors. Elle va se révéler être le déclencheur d’une nouvelle évolution du rapport des habitants à leur volcan.

« En mars 1998, nous avions la possibilité de faire une descente vers la coulée du volcan, après que l'alerte d'interdiction ai été levée. Mon mari et moi-même avons pris une journée de congé pour y aller, nous sommes partis tôt le matin, avons laissé la voiture assez loin, avons pris le bus qui était prévu pour nous emmener jusqu'à l'endroit où il fallait attendre pour faire passer d'abord un 1er groupe pour aller voir cette fameuse coulée au 1er cratère, il y avait des gendarmes pour nous encadrer et faire passer au fur et à mesure un petit groupe de personnes. Nous voilà embarqués, on sent la fumée, la chaleur du volcan et lorsque on marche sur les cendres encore chaudes, les semelles de nos baskets sont bouillantes, çà craque sous nos pieds (il suffisait de déposer un steak sur la cendre chaude il cuisait aussitôt) et tout à coup le feu, la pluie arrive au même moment fine, le mélange du feu et de l'eau c'est magnifique, car les craquements sont plus intenses, plus de fumée mais le feu du volcan est toujours là et tout à coup pas loin de moi un nouveau craquement et du feu, impressionnant. Je me rappelle qu'au même moment, une dame de notre groupe se met à crier en disant j'ai peur, au secours c'est dangereux si le volcan se réveille et nous engloutit je veux partir, elle crie, pique une crise, les gendarmes essaient de la calmer en lui disant qu'il ne fallait pas venir marcher pour voir le spectacle si elle avait peur en disant, rassurez-vous toutes les précautions sont prises et si l'alerte a été levée et que les visites sont possibles c'est parce qu'il n'y a pas de danger immédiat, elle s'est mise à pleurer et s'est petit à petit calmée.

Je garde de ce moment un souvenir inoubliable, il faut le voir et entendre pour vraiment se rendre compte qu'on vit un moment exceptionnel mais en même temps, un laps de temps j'ai eu peur en me disant qu'est-ce que je fais là, si le volcan s'ouvre et m'engloutit en me brûlant vive etc... Puis la beauté de cette éruption m'a fait oublier toutes mes peurs »Madame M., une habitante de la Réunion.

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