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Construction de la personne, de la vierge à lʼépouse : les saris de mariage

Chapitre 5 : La succession des saris de couleurs : un ordre symbolique

A) Vierge en sari de coton blanc

Le sari blanc de coton est revêtu le soir du premier jour, pendant la première phase des rituels du mariage. Le matin de ce premier jour, les hommes de la caste vont chercher des branches et feuillages et construisent ainsi le lieu de célébration des rituels (mandap). À la tombée de la nuit, les femmes vont recueillir de la terre (cf page 216) qui est déposée dans le foyer à lʼendroit où va être célébré le mariage ; le rituel de lʼonction de curcuma (haldî hâyî) peut commencer. Dans lʼordre hiérarchique, les tantes paternelles, les tantes maternelles, la mère et les sœurs appliquent le mélange purificateur des pieds à la tête. Cette première phase du mariage, qui sʼeffectue au domicile de la jeune fille (il en est de même pour le jeune homme), correspond aux rituels préliminaires : préparation de lʼespace de célébration, préparation du corps de la jeune femme, puis préparation de la venue des dieux.

Le sari blanc est lié à un moment dʼémotion. La tante paternelle (bua) la plus âgée revêt le premier sari à la jeune fille. Toutes les deux sont seules et la jeune femme doit verser des larmes. Cʼest un instant douloureux qui inaugure la séparation avec les parents. La tante reste aux côtés de sa nièce puis lʼaccompagne à lʼendroit où sʼeffectue le rituel.

Le sari blanc est également désigné sous le terme de lata en chhattisgarhi, probablement issu de latthâ en hindi, défini comme « un sari rude de coton » (Mac Gregor 1997 : 883). Lʼindication de la matière est effectivement indiquée après la couleur. Pourtant, les représentantes des castes emploient lʼexpression anglaise

cotton sârî pour bien se démarquer du sûtî sârî (hindi et chhattisgarhi) des âdivâsî.

La première dénomination renvoie à une matière plus fine que la seconde, laquelle évoque le sari de coton épais (encore appelé « chhattisgarhi sari », cf chapitre 2).

Dans les couleurs associées aux varna donc, le blanc est associé aux brahmanes, caste supérieure. Dans le jeu du chaupar, Jean-Luc Chambard relie le blanc au nord, aux neiges de lʼHimalaya et à la pureté (Chambard 1995 : 246). Brenda Beck voit en le blanc une couleur auspicieuse, qui indique la stabilité, le bien-être et lʼabsence du mal (Beck 1969 : 556). Pourtant, le blanc est la couleur de la

veuve, considérée comme inauspicieuse (cf chapitre 3). Comment peut-on expliquer ces faits, qui semblent, au premier abord, contradictoires ?

Si le premier sari porté par la jeune fille vierge est dit « blanc », il ne lʼest jamais complètement et se distingue du sari de la veuve. Si la partie principale blanche est unie, les bords sont ornés de motifs colorés. Les jeunes femmes âdivâsî, quant à elles, rejettent le blanc au profit du crème ou du jaune clair. Couleur et port sont associés. Quels que soient les groupes, le style correspond au type urbain et lʼextrémité du sari est portée dans le dos (ultâ). La jeune femme nʼa pas de raison de se couvrir la tête car, non mariée, elle est dans son domicile parental et nʼest pas en contact avec les hommes issus de la belle-famille. Elle ne porte ni bijou ni maquillage ; ses cheveux sont simplement relevés et noués. Sous ce vêtement, la jeune fille a lʼapparence dʼune ascète et est considérée comme Pârvatî, femme de Shiva (Stevenson 1930 : 69). Akôs Ostör (1982) a déjà souligné les analogies entre la jeune fille vierge et la veuve. Bien que ces deux statuts soient différents (le premier est auspicieux, le second est inauspicieux), ils ont des points en commun, comme celui de la solitude. Bien que tout soit fait pour distinguer la jeune fille vierge de la veuve, on ne peut nier lʼévidence : la couleur du sari et lʼabsence de parure indiquent une certaine similarité de statuts. Dans les deux cas, lʼénergie féminine (shakti) doit être contrôlée et modérée au moyen de la couleur blanche (ou jaune pâle) supposée être « rafraîchissante » (Beck 1969 : 558-559).

Dans cette première phase, contrairement à celle qui va suivre, la jeune fille ne doit pas attirer le regard des dieux et des humains. Le rituel est conçu pour rafraîchir et purifier la future épouse et pour apaiser les dieux et les mauvais esprits. Il y a comme une valorisation des matières premières dites naturelles : le matériau est de coton et la couleur est claire pour permettre lʼabsorption du mélange purificateur.

Le port du premier sari sʼinscrit dans les rituels purificateurs précédant le mariage. Le sari blanc de coton est associé au statut de la jeune fille et à son appartenance au milieu parental. Tout comme dʼautres éléments du rituel (lʼabri de feuilles et la terre), il permet, par son action rafraîchissante, de purifier le corps et la personne. Son action est renforcée par le matériau, le coton, et multipliée par le mélange du curcuma et dʼhuile, enduit sur le sari et la peau.

Chez les âdivâsî, le blanc nʼest pas la couleur du veuvage (sauf en cas de phénomène de sanskritisation) et la marque de la distinction entre la femme mariée dont le mari est vivant (suhâgin) et celle dont le mari est mort (vidhâvâ) nʼest pas forcément visible. Chez eux, la question du jaune pâle (plutôt que le blanc) est davantage liée à un système de codification différent quʼà la seule volonté de se démarquer de la couleur du veuvage. Pour les âdivâsî, le sari de mariage est nécessairement « jaune ». La première tenue est toujours jaune même si ce jaune pâle se rapproche du blanc. Cette teinte correspond à la couleur du curcuma appliqué pendant le rituel. Quant aux « castes répertoriées », le choix semble se porter vers le sari jaune pâle.

Le mélange jaune et frais, auspicieux et purificateur, est composé de curcuma (haldî) et dʼhuile (tel). Lʼhuile est à base de moutarde (sarson

) ou de sésame (tillî).

Lʼeffet recherché avec ces ingrédients est dʼabaisser la température du corps de la jeune fille afin dʼécarter le mauvais œil (nazar). Ces rituels de préparation tournent autour du thème de la fraîcheur. Lʼabri de feuilles et de branchages (man

dap),

couleur verte, a le même rôle que le jaune et le blanc. La terre, associée à lʼeau, a une action identique. Le tout sʼinscrit dans le déroulement dʼun rituel auspicieux (shubh) et purificateur (shuddh).

Le lendemain, lʼonction de curcuma et dʼhuile se prolonge jusquʼà la cérémonie des vêtements (chikot), durant laquelle la femme la plus âgée de la caste (la grand-mère paternelle) fait le don de tissu aux hommes et de saris aux femmes tout en disposant un peu de mélange auspicieux sur le front de chaque personne. Le rituel sʼachève par un jeu : les femmes sʼéchangent des saris et se badigeonnent de curcuma sur différentes parties du visage. Le rituel, qui a commencé par un moment grave et douloureux (la mise en place du sari blanc, le début de lʼonction) avant de devenir extrêmement solennel (le don de vêtements parmi les membres de la caste), sʼachève finalement dans le rire. Le lendemain, les femmes se parent pour aller au temple et demander lʼintercession des dieux. Le port du sari blanc prend fin après le bain rituel que cinq ou sept femmes font faire à la mariée.