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PARAÎTRE DANS LE CHHATTISGARH : LE SARI COMME MODE DE DISTINCTION

PLANCHE 3 : SARI DE LʼEPOUSE Structure et dénominations des parties

C) Les styles à lʼendroit et à lʼenvers

1- De lʼusage de sîdhâ et ultâ

Le style de la femme des villes comprend deux variantes définies par la façon de porter lʼextrémité: soit « à lʼendroit » (sîdhâ), soit « à lʼenvers » (ultâ). Le style « à lʼendroit » est plus conventionnel. Il est porté essentiellement dans les cérémonies et par les femmes de la génération de plus de quarante ans aussi bien au quotidien que dans les fêtes. Le style « à lʼenvers » est porté par les femmes jeunes dans le quotidien et même dans les fêtes. Il est considéré comme un style urbain par excellence, jeune et moderne.

Dans la variante « à lʼendroit », le pan orné est ramené sur le buste, de lʼépaule droite à la

ceinture, mais des plis sont soigneusement effectués. Le jhol

disposé sur la hanche est peu visible. Malgré des éléments communs (le pan porté sur le buste), le type urbain se distingue franchement du style régional à jhol tant par les plis que la longueur du drapé et le soin accordé à lʼarrangement. Ce style est porté lors de

cérémonies, durant lesquelles la femme exhibe fièrement lʼextrémité richement décorée sur le buste. Il est particulièrement adapté, en outre, à la manière de recevoir les offrandes (cf chapitre 8).

Quant à la variante « à lʼenvers », lʼextrémité, au lieu dʼêtre ramenée sur le buste, est rejetée dans le dos, de la hanche droite par-dessus lʼépaule gauche. Ce style est considéré, dans des ouvrages généraux sur le sari, comme urbain et donc, comme dʼintroduction récente. En fait, il existe plusieurs divinités drapées de ce style dans des représentations artistiques qui datent de périodes aux alentours de lʼépoque chrétienne, telle la déesse de Sarnath (VI è siècle après J. C) (Bushan 1958, Loth 1979, Lynton 1995). Le regain dʼintérêt

citadin pour ce style est expliqué dans lʼouvrage de Mukulika Banerjee et Daniel Miller (2003). Après avoir été adopté par la femme du célèbre poète écrivain Tagore, il a été repris par des nationalistes indiennes et mis à la mode (Banerjee, Miller 2003 : 254). Râni Târâbâi, nationaliste, au caractère combatif et rebelle, portait ainsi le sari (Ghurye 1966 : planche 359). Ce style symbolise non seulement lʼattachement de la femme indienne à sa nation, mais également un esprit de nouveauté et de non conventionalité.

Il sʼinscrit également dans une volonté dʼuniformiser les manières de porter le sari, de cacher les différences sociales et régionales. Le synthétique est, en outre, adapté à ce style où le pan, décoré plus simplement, flotte avec légèreté dans le dos.

La distinction du pan du sari « sur le devant » ou « dans le dos » nʼest pas seulement liée à la distinction entre le sari de fête et le sari quotidien, mais à la génération et à la classe sociale.

Les femmes le portent devant une fois quʼelles ont eu des enfants, qui, plus est sʼils ont lʼâge de se marier (à gauche, en sari rose), les jeunes, au contraire, même dans une cérémonie, disposent lʼextrémité du sari dans le dos (à droite, en sari vert). De milieu aisé, la femme se permet, même plus âgée, de porter « à lʼenvers », de milieu modeste, elle porte « à lʼendroit ».

Lʼopposition de lʼendroit et de lʼenvers ne réside pas seulement entre ces deux styles, lʼun conventionnel, et lʼautre, plus libéral. Elle réside dans lʼopposition développée jusquʼici du statut de lʼépouse dont le mari est vivant ou décédé. En effet, la femme, après avoir perdu son mari, revêt un sari blanc « inversé ». De face, on voit le revers du pan qui part du bas, à gauche, pour remonter vers lʼépaule droite, couvrir la tête et être enroulé autour du bras gauche. Ce style est nommé également « berhâ » (litt. Be – sans – ,

rhab, rhav ou rhao (CH) – sans manière). Ce

terme selon le dictionnaire Mac Gregor, signifie aussi bien « tordu », « de travers », « incliné » que

« difficile », « incontrôlable », « qui trouble lʼordre », ou encore « audacieux » et « étrange » (Mac Gregor 1997 : 744 et 746). De façon générale, le préfixe « be » sʼapplique à des termes pour leur donner des connotations dépréciatives (idem : 744). Cette inversion de sari sʼeffectue principalement chez les hautes castes, brahmanes et Kshatriya. Cependant, on la retrouve, par effet de sanskritisation30, chez les autres castes et même, exceptionnellement chez une veuve âdivâsî, dont le fils était ingénieur. Chaque veuve a une manière personnelle, ensuite, de disposer le pan final, soit en lʼenroulant autour de lʼépaule gauche, soit autour de lʼépaule droite. Le terme de lapet(a) ka pallâ désigne lʼextrémité du sari qui est « enroulée » autour de lʼépaule.

Selon le dictionnaire Mac Gregor, lapetnâ se traduit par « enrouler », « entourer » (to

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wrap) mais également il a des connotations dépréciatives telle que « tordre » ou « se

trouver dans une situation difficile » (idem : 886).

Il arrive que des veuves alternent le style de sari « à revers » avec celui « sur le devant », mais elles ne portent jamais le style du pan rejeté dans le dos. Elles portent le « à revers » à domicile. Lorsquʼelles sortent, elles lʼarrangent avec le pan sur le devant. Malgré tous les interdits auxquels sont sujettes les veuves au niveau du paraître, celles-ci savent saisir les occasions, non pas pour braver les interdits, mais pour au moins mettre de temps à autre un joli sari, du moins, avec quelques couleurs et quelques fleurs. Ici, une femme Thakur est de sortie. Elle accompagne son fils, ayant des difficultés à se remettre dʼun accident grave, chez un sorcier. Une des raisons principales qui lui permet un tel sari, réside dans le fait quʼelle habite, actuellement, au domicile de ses fils, à Ratanpur, et non pas dans le village de son époux défunt. Par conséquent, en tant que mère, belle-mère et grand-mère, elle a une certaine autorité dans la famille. Son statut, son autorité, la durée de son veuvage (de quelques années déjà) liée à son goût personnel, lui donnent la possibilité de revêtir un sari agrémenté de quelques fantaisies et de le mettre à lʼendroit. Remarquons cependant, quʼhormis le sari – et quelques bracelets – , aucun autre ornement de statut marital nʼest possible.

Malgré le fait que les veuves aient la possibilité dʼalterner le pan de sari dʼune manière ou dʼune autre, il nʼen reste pas moins que les connotations liées au sari « à revers », porté principalement dans le quotidien, sont très dépréciatives et révélatrices de la place et du peu de considération, voire du mépris, que portent les gens aux veuves accusées, selon lʼexpression populaire, dʼavoir « mangé leur mari ».

Il existe une variante dans la manière de disposer lʼextrémité. Au lieu de faire remonter lʼextrémité autour de lʼépaule, de la ramener sur le devant afin de la rentrer à la ceinture. Nîche ka pallâ caractérise le pallâ qui est porté « en bas ». Nîche signifie « en bas » et comporte une connotation « dʼinfériorité », voire de « soumission » (Mac Gregor 1997 : 577). Il est difficile de généraliser ce style de sari à un groupe, mais les cas que jʼai pu recenser étaient des femmes de basses castes, même si lʼune dʼentre elle était reconvertie. Quoiquʼil en soit, les connotations sont dépréciatives, et jamais une femme mariée ne porte un sari dont lʼextrémité est portée sur le bas du corps de cette façon.31

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Chantal Boulanger décrit, chez les Aiyangar Tengalai (brahmanes du sud de l’Inde) l’extrémité du sari pliée et rentrée à la ceinture. Mais cette extrémité est associée à un style qui n’est pas inversé.