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Couleurs et ornements : combinaison et structure

PARAÎTRE DANS LE CHHATTISGARH : LE SARI COMME MODE DE DISTINCTION

PLANCHE 1 : SARI CHHATTISGARHI DE COTON Structure et dénominations des parties

4- Couleurs et ornements : combinaison et structure

a- Les couleurs de la partie centrale, zamîn

Quelle que soit la couleur, quelle que soit la tonalité, neufs, les saris ont des teintes profondes. Au fur et à mesure des lavages, les couleurs se modifient et éclaircissent, ce qui pose un problème aux femmes âdivâsî et aux Raut, car les couleurs délavées indiquent la pauvreté.

Chaque couleur porte un nom en chhattisgarhi et en hindi: Nom de couleur chhattisgarhi hindi Violet foncé masrenka begemi

Violet clair bhata halkî bêgemi

Vert hariya harâ

Rose gulal gulâl

Les habitants de Puru et de Ratanpur ne choisissent que les couleurs précédemment citées. Chaque caste qui réside dans un village (Puru, Kera) ou dans un quartier de ville (Djuna Shahar à Ratanpur) porte de préférence une couleur spécifique. Les Kanvar, à Puru, élisent « majoritairement » le vert, tandis que les Gond, à Djuna Shahar, le bleu, mais tous alternent ces deux couleurs. Tâchons de nous faire comprendre à travers quelques exemples. Sâvitrî, Kanvar de Puru, possède trois saris chhattisgarhi : deux verts et un bleu. Inversement, une femme Gond de Djuna Shahar en possède deux bleus et un vert. Quant aux saris violet clair et rose, il sont rares et en voie de disparition.

Sans être réellement un signe de reconnaissance, la couleur semble être un facteur dʼintégration à la caste ou au village, un signe dʼappartenance, mais qui évolue au fur et à mesure des années.

Dʼun côté, il est commun dʼentendre que les couleurs foncées sont des couleurs « impures » élues par les « basses castes ». Le bleu-noir est considéré, par les hautes castes, comme une couleur portant malheur. Quand, pour obéir à une mode quelconque23, les femmes des hautes castes choisissent des couleurs sombres, elles jettent leur dévolu sur des matières nobles telles que la soie, ou plus communes comme le synthétique. En outre, quand elles portent une couleur sombre,

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celle-ci, le plus souvent, est minoritaire par rapport à un autre ton, tel le rouge (Chishti et Sanyal 1989 : 238).

De lʼautre côté, Delphine Maucort (2003) a démontré que la couleur noire des vêtements des femmes Bhopâ-Rebârî du Gujarat nʼétait pas considérée comme impure, mais témoignait du chagrin causé par le deuil de leur divinité. Les âdivâsî et Raut portent le sari chhattisgarhi sombre dans la vie quotidienne, mais également pendant les fêtes, à lʼoccasion des mariages notamment. Pour eux, la couleur foncée, loin dʼêtre impure, porte chance. Il peut donc exister une différence de perception de la couleur entre les âdivâsî et les gens du système de castes.

Les couleurs foncées sont un moyen de cacher des taches et des impuretés que le travail implique. Effectivement, sur une couleur sombre, celles-ci apparaissent moins. En outre, si le noir nʼest pas ou peu porté ou porté seulement dans le cadre dʼune mode passagère, il est essentiel en petites touches dans les rituels pour repousser le mauvais œil. Dʼailleurs, le cordon noir que met lʼenfant à la ceinture, ou le collier de la femme porte chance. Par conséquent, si la couleur indigo permet de protéger des salissures – en les cachant aux regards – , elle permet également de protéger la personne dʼéléments maléfiques qui peuplent les forêts.

Quant au vert, il est associé tout dʼabord aux couleurs des feuillages de la forêt, lieu dʼhabitation des âdivâsî (qui signifie les « habitants de la forêt »). Certains en ont dʼailleurs revendiqué la propriété. Ensuite, le vert est la couleur du plumage du perroquet. Dans les villages, lʼoiseau est attrapé, le plus souvent par les Oraon, vendu aux habitants des villages qui adorent lʼapprivoiser. En outre, le perroquet est le symbole dʼune danse (sua nac- littéralement la « danse du perroquet »). Cʼest également lʼun des motifs de sari des villes. Enfin, le perroquet est considéré comme le compagnon idéal de la femme, restant souvent seule à la maison à attendre les siens, ami à qui elle peut raconter ses chagrins et auprès de qui elle peut se consoler de ses malheurs.

En fait, ce nʼest pas la couleur seule qui importe, mais lʼidée quʼelle soit associée à dʼautres caractéristiques liées à la pauvreté : un matériau épais24,

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L’ouvrage de Chishti et Sanyal mentionne un sari indigo de soie porté par les brahmanes dans un district du Madhya Pradesh (Chishti et Sanyal 1989 :184).

lʼabsence de décoration à lʼextrémité et une manière spécifique de porter le vêtement.

Lʼimportance accordée à cette opposition entre couleur claire et couleur sombre renforce lʼambivalence avec laquelle les âdivâsî sont perçus par les gens du système de castes. Dʼun côté, ils savent que les Gond et les Kanvar sont descendants dʼune caste royale et les placent à égalité avec les Kshatriya (guerriers). De lʼautre, ils plaignent et méprisent tout à la fois les femmes Gond, Kanvar et Raut dʼeffectuer de durs labeurs dans des conditions difficiles. Elles ne sont pas perçues comme impures par leur naissance, mais parce quʼelles sont confrontées dʼune manière ou dʼune autre à des salissures. Non seulement elles se salissent, se tachent, se souillent facilement, mais plus encore elles cherchent à cacher ces taches et ces impuretés par des vêtements de couleur sombre.

b- Les couleurs et les motifs des extrémités (anchara / ânchal)

Les deux extrémités symétriques de chaque côté du sari sont composées chacune de trois bandes unies, rouges, vertes, bleues, roses ou violettes. Je leur donnerai le terme de « bandes », plus larges, pour les différencier des « rayures », plus fines. Ces bandes sont parallèles à la largeur et sont perpendiculaires à la longueur. Elles sont séparées par deux bandes claires de même largeur, chacune étant composée de trois rayures fines, dont la couleur reprend, soit celle de la partie centrale, soit des trois bandes. Là encore, le nombre de bandes a pu évoluer selon les années, car jʼai recensé, avant les années 2000, quelques rares cas de cinq bandes.

Lʼassociation de couleurs de lʼextrémité du sari (composée de trois bandes de couleur, de deux bandes blanches internes et de rayures fines de couleur) varie selon la teinte dominante ou majoritaire de la partie centrale. Le violet foncé (indigo) et le vert sont combinés réciproquement (violet/vert et vert/violet). Le

c- Les bords longitudinaux (dharî, kinarî) : structure, couleurs, ornement

Tout comme les deux extrémités, les bords longitudinaux sont symétriques, mais leur ornement et leurs couleurs sont plus riches et plus variés.

Il ne faut pas généraliser un motif et un symbole qui orne les bords. Ces ornementations, qui sont au centre de lʼouvrage de Chishti et Sanyal (1989) sur le tissage25, sont davantage connues par le fabricant que par celle qui revêt le sari. En outre, comme lʼatteste lʼouvrage, un motif peut avoir plusieurs interprétations selon lʼinformateur : le dessin en dents-de-scie, par exemple, peut être soit un temple, soit une boucle dʼoreille ….

Les bords sont composés de trois bandes tissées sur le fond du sari. Le fond du sari est du même tissage que la partie centrale – car celle-ci est la base du drapé. Cʼest par-dessus cette base, extension de ce que lʼon nomme la partie centrale, quʼest brodé lʼornement.

La bande centrale, la plus large, est composée soit de fleurs, soit de croisillons. Ces bandes sont encadrées ou séparées par des bandes plus fines, rouges, blanches ou vertes. Entre le motif principal et la partie centrale, une ou deux rangées de motifs sont tissées : dents-de-scie, pointes de flèche emboîtées (parfois les deux à la fois) ou temples. Les espaces entre les bandes ont lʼaspect de rayures. En ce qui concerne les couleurs :

- celles des fleurs dépendent de la variété : blanches, jaunes ou rouges, - les croisillons sont jaunes,

- les dents de scie sont jaunes ou blanches et la guirlande de temples est jaune,

- les bandes secondaires sont rouges, vertes ou blanches.

- Bande centrale à fleurs

On trouve trois variétés de fleurs : une blanche à six pétales, supposée être la fleur de tamarin (mais qui ne lʼest pas, en fait), une deuxième également à six pétales mais rouge, et une troisième à onze pétales (karan).

La fleur de tamarin, chichola (chhattisgarhi) ou imli (hindi), est typique du sari de la région. Cʼest celle qui est supposée être sur les ilias sari. Cette fleur est utilisée dans des mélanges purificateurs préparés après la naissance à la mère de lʼenfant. Elle est aussi présente dans certains produits de beauté, tel que le savon. Dans le domaine médical, la fleur de tamarin est réputée pour ses propriétés antiseptiques.

En réalité, cette fleur blanche à six pétales, bien que reconnue comme telle par bien des informateurs et des informatrices, nʼest pas le tamarin. La véritable fleur de tamarin a une forme plus géométrique, sans pétales (Chishti et Sanyal 1989 : 119). Il mʼavait effectivement été dit par deux commerçants que la chichola nʼétait plus représentée et quʼil sʼagissait en fait de la fleur de coton (rui phûl) à huit pétales (idem : 119). Il existe bien une fleur à six pétales présentée comme telle, mais la variété nʼest pas indiquée (idem : 221).

Cette fleur blanche à six pétales a un cœur. Généralement tissée de fils blancs, chaque fleur est encadrée dans le sens largeur de deux traits de la même couleur. Le tout est tissé selon la couleur dominante du sari : vert, bleu, violet ou rose. Longitudinalement, les fleurs sont encadrées de chaque côté par une bande rouge, quelle que soit la couleur du fond. Du côté intérieur, il existe une autre bande (verte si le fond est violet ou rose, violette si le fond est vert) et une série de motifs blancs (alignée dans le sens de la longueur). Ce sont de petits triangles à trois étages que jʼai nommés précédemment motifs en « dents-de-scie » (ibid : 167).

La fleur de karan (arbre médicinal) est tissée de fils jaunes sur un fond violet. Les « dents de scie » sont reliés à la base par une sorte de guirlande. Cette fleur a neuf pétales. Le cœur est composé de deux cercles emboîtés. Entre les fleurs de karan se trouvent des fleurs à quatre pétales plus longs, séparés par des pétales plus courts.

Quant à la version rouge de la fleur de coton, elle est encadrée de deux bandes, dont chacune est composée de triangles sans base, supposés être des pointes de flèches blanches. Vers lʼintérieur du sari se trouve une ligne de motifs en dents-de-scie jaunes.

- Bande centrale à croisillons

Jusquʼà lʼan 2000, la bande à croisillons existait seulement sur les saris verts et violets clairs, mais pas sur les indigos. Cependant, je lʼai recensée, lors du mon dernier séjour en 2005, sur ces derniers. Cela reste exceptionnel. Cʼest certainement dû au changement de lieu de fabrication (de Nagpur à Surat).

La structure générale ne diffère pas dʼun modèle à un autre. La bande est composée de croisillons jaunes, séparée dʼune rayure blanche. Une série de deux lignes de motifs en dents-de-scie est tissée sur le fond vert ou violet. Ces deux lignes sont face à face. Il existe des variantes, comme lʼajout de la couleur rouge : soit en fine rayure entre deux motifs, soit à la place dʼun motif. Cependant, le rouge est toujours mis en touches pour souligner les autres couleurs.

La question qui se pose maintenant est de savoir si ces bords ont une fonction dʼappartenance ou de distinction dʼun groupe ou dʼun autre. Les croisillons existant essentiellement sur le sari vert, cette couleur étant portée de préférence par les Kanvar, on le trouve porté davantage par ce groupe. Ensuite, la fleur blanche, allant de pair avec lʼindigo, est portée davantage par les Gond. Enfin, la fleur de karan et la fleur de coton rouge, la première sur un sari de fonds bleu, la seconde, sur un fonds vert, sont portées par des femmes Raut, chacune étant de villages différents. Il est vrai également que je nʼai jamais vu de femme Kanvar, dans le village de Puru, porter les motifs que jʼai recensés sur les Raut.

Le groupe a ses préférences, mais la politique dʼachat dépend de facteurs extérieurs, qui suivent le jeu de lʼoffre et de la demande : le commerçant, le lieu de ce commerce, le lieu de fabrication et lʼentreprise.