• Aucun résultat trouvé

PARAÎTRE DANS LE CHHATTISGARH : LE SARI COMME MODE DE DISTINCTION

Plan 2 : Le centre ville de Ratanpur

A) Description du sari « chhattisgarhi »

1- Le sari et ses dénominations

Selon le contexte, les informateurs, le mode de questionnement, le sari est désigné sous plusieurs termes: sârî chhattisgarhi, sûtî sârî, lugrâ, lacha, ilias sârî,

chichola sârî, âdivâsî sârî, dhartî châp, bayy sârî, chaque désignation révélant des

caractéristiques différentes.

La première formulation, – chhattisgarhi sârî – est celle qui mʼa été indiquée dès mon arrivée sur le terrain, mʼa été présentée comme dʼorigine récente et liée au mouvement de revendication de la formation de lʼEtat.

La seconde formulation, plus explicative, mʼa été donnée quand jʼai commencé à demander des précisions sur ce drapé. Elle avait trait au matériau qui le composait : cʼétait un « sari de coton », « sûtî sârî ».

Les expressions de lugrâ et lacha (ou lacchha) mʼont été transmises quand je posais une question directe (de type « quel est ce sari ? »). Les plaisanteries faites par mes amies autour de ces termes ont traduit une ambivalence caractéristique du sari chhattisgarhi. Ces termes existent bel et bien en hindi. Lugrâ est un terme dépréciatif décrivant un « tissu rapiécé », un « vêtement vieux » (Mac Gregor 1997 : 897). Lachchhâ existe en hindi : cʼest un « paquet », un « bracelet » ou un « lambeau » (idem : 881). Mais lachchha correspond aussi au mot hindi latthâ, qui signifie « rude étoffe de coton » (idem : 882). Quoiquʼil en soit, si en hindi, les connotations de ces termes sont dépréciatives, elles ne le sont pas en chhattisgarhi.

Cʼest Lakshmî Dash, femme du villlage de Puru, qui a employé lʼexpression

chichola sari. Chichola, le nom de la fleur de tamarin (imli en hindi), est lʼun des

motifs tissés sur les bords21. Les commerçants de Ratanpur ont quant à eux prononcé la formule de ilias sârî qui est utilisée par les âdivâsî qui portent ce drapé.

Ilias correspond à la marque et au nom de lʼentreprise qui le fabrique.

Quant à la désignation âdivâsî sârî, elle fait référence au groupe dʼappartenance qui le porte. Mais le terme est justement employé par ceux qui ne le

21

Les noms des drapés de l’ouvrage de Chishti et Sanyal (1989) sont effectivement présentés selon le motif des bords.

portent pas ou plus. Il mʼa été nommé ainsi par des hommes du système de castes pour montrer la distinction de ce groupe avec le leur. Gân

v ka sârî, « sari des

villages » peut être employé de façon assez péjorative par des personnes résidant justement en ville, mais la connotation nʼest pas toujours négative. À Ratanpur, en effet, la majorité des habitants sont dʼorigine rurale et ont encore leur famille dans les villages où ils retournent fréquemment.

Un jour que nous regardions ensemble les saris que porte justement Sâvitrî, femme Kanvar résidant à Puru, nous avons lu ce qui était imprimé sur un sari neuf :

dhartî châp et bayy sârî. En hindi, dhartî signifie « terre » et châpâ « impression »

(traduction obscure), tandis que Bayy est le nom dʼune société qui fabrique le sari et dʼautres produits.

Voici un tableau résumant les termes désignant le modèle de sari chhattisgarhi, de coton épais et porté essentiellement par une population âdivâsî. Tableau des termes

Chhattisgarhi Hindi Information

Chhattisgarhi sârî idem Appartenance régionale

Âdivâsî sârî Porté par des âdivâsî

Sûtî sârî Matériau coton

Lugrâ

Lugrâ

Sari (CH),

Tissu rapiécé, vêtement vieux (H)

Lacha, lachcha

Lachchhâ

Sari (CH) Lambeau (H)

Ilias, Bayy sârî idem Noms de lʼentreprise et la

société

Dhartî châp Nom technique

Les différentes dénominations de sari changent donc, en fonction de la question, du moment et de lʼinformateur. Le sari nʼa pas un seul nom, mais une variété de noms. Mis côte à côte, ces termes donnent une série dʼinformations : le matériau et les motifs, la marque de lʼentreprise, la région de provenance et la personne qui le porte… Notons simplement que le nom de la couleur et les lieux de fabrication (en lʼoccurrence, le Maharashtra et le Gujarat) ne sont jamais évoqués. Enfin, les termes énoncés sont en majorité hindi, mais également chhattisgarhi. Si le mot existe dans ces deux langues, il nʼa pas forcément le même sens ou la même connotation.

2- Caractéristiques générales

a- Matériau et longueur

Le sari chhattisgarhi est un sari de coton épais dʼune longueur de sept mètres – par conséquent plus long que le sari standard des villes22et dʼune largeur dʼun mètre dix. La longueur et lʼépaisseur du sari sont adaptées au fait que celui-ci nʼest pas porté avec corsage et jupon, qui couvrent le corps. Par conséquent, sa longueur permet un double pliage plus couvrant, son épaisseur permet une opacité qui couvre les membres et la peau.

b- Contraste entre une partie centrale unie et des bords à motifs

Il est composé dʼune partie centrale unie, de bords longitudinaux ornés de couleurs et, en outre, de deux extrémités à rayures. Les couleurs dominantes ont changé car en 1998, il existait des tons clairs et foncés de violet, vert ou, plus rarement, dʼorange. Après 2000, les couleurs portées étaient plus sombres, vert foncé ou indigo (bleu violacé) seulement, lʼorange ayant dʼailleurs disparu.

Les deux modèles de sari de coton qui restent portés depuis 2000 sont donc le vert et le bleu foncés, le bleu se déclinant en diverses tonalités, plus ou moins violacées allant jusquʼà lʼindigo.

Le contraste est puissant entre la partie centrale unie, de couleur généralement sombre et les bords qui sont soit ornés de couleur vive, soit de couleur

22

blanche. Bien que ces bords soient de petite taille par rapport à cette partie centrale, ils ressortent visuellement et font la fierté des femmes qui le portent. La sobriété du sari sombre est égayée par la vivacité des bords.

c- Symétrie et possibilité dʼinversion

La principale caractéristique de ce drapé de coton est, quʼau contraire du sari standard des villes, il est conçu de façon symétrique. Les deux pans de sari, à chaque extrémité, sont composés de bandes et rayures, mais surtout, sont identiques, que ce soit au niveau des dimensions, du nombre de bandes et rayures et des couleurs.

Cette symétrie permet au drapé dʼêtre réversible, cʼest-à-dire que la femme peut commencer à mettre le sari par une extrémité ou une autre. Les raisons sont liées à des valeurs morales et pratiques (cf chapitre 9, page 294). La femme fait lʼinversion essentiellement par économie, pour ne pas user plus une extrémité quʼune autre, mais également pour se couvrir lors du bain. Elle noue une extrémité pour se couvrir, lave lʼautre, puis inverse à nouveau les pans. Cette symétrie est une différence essentielle et qui semble spécifique à ce modèle de sari, car il est impensable, pour une femme des villes qui porte le sari standard, de lʼinverser.

Au contraire du sari bleu, le sari vert a un endroit et un envers, qui se voit si lʼon regarde les motifs du bord longitudinal. Dans le premier cas, les fils sont de couleur inversée. La fleur

blanche sur fonds bleu (à gauche) dʼun côté devient bleue sur un fonds blanc (à droite). Dans lʼautre cas et comme sur de nombreux tissus brodés, lʼenvers se

reconnaît aisément, le fil nʼest pas bombé et ne ressort pas comme sur lʼendroit.

PLANCHE 1 : SARI CHHATTISGARHI DE COTON