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Kshatriya et brahmanes: élégantes, modestes et simples

PARAÎTRE DANS LE CHHATTISGARH : LE SARI COMME MODE DE DISTINCTION

SÎDHÂ PALLÂ, extrémité sur le

2- Kshatriya et brahmanes: élégantes, modestes et simples

Le fait dʼêtre Brahmane ou Kshatriya a-t-il une influence sur la façon de porter le sari ? Existe-t-il dʼautres critères distinctifs ? Sur quelles valeurs sʼappuient une femme Brahmane ou Kshatriya pour justifier la manière de porter le sari ? A Ratanpur, Ila (Kshatriya) vient de marier sa fille aînée. Les deux autres filles sont au collège. Son seul fils est le benjamin de la famille veut faire une école dʼingénieur. En novembre 2002, sa fille aînée effectue son premier long séjour, de retour chez ses parents, en compagnie de son petit garçon (âgé de huit mois). La mère et la fille organisent alors des sorties à Ratanpur, au marché de Bilaspur.

La mère porte du synthétique, la fille, du coton amidonné (spécifique au milieu urbain). Les deux saris – cʼest assez rare pour être signalé – sont de couleur kaki. Le mariage de lʼaînée semble avoir pleinement satisfait la famille. Cʼest pour cette raison que la mère fait honneur à sa fille en organisant des sorties et en soignant ses tenues.

Cependant, si Ila vivant en famille nucléaire, se permet de sortir avec sa fille, ce nʼest pas le cas de toutes les familles de haute caste.

Shakuntala est une brahmane séparée de son mari qui la maltraitait. Elle a dû subvenir à ses besoins en travaillant. En tant que femme de haute caste, elle prépare les repas ou exécute de menus travaux dans des familles de brahmanes et effectue des travaux saisonniers dans les champs. Elle jouit dʼune réputation de grande travailleuse. Son rêve est de sʼacheter une machine à coudre pour pouvoir travailler chez elle. Encore une fois, rien dans son apparence ne laisse à penser quʼelle est brahmane. Elle porte des saris synthétiques, ou dʼun mélange synthétique/coton, quʼelle ajuste principalement sur le devant, mais également, on le voit sur la photo, dans le dos. Elle nʼa à prouver ni son identité ni sa caste car elle est connue à Ratanpur. Comme elle le formule elle-même en anglais, elle veut paraître « simple ». Elle prend soin dʼassortir jupon et corsage au drapé. Ici, le corsage noir – manches ballon, orné de fantaisies- contraste avec le sari couleur arc-en-ciel. Le sombre équilibre le vif. Elle porte des bijoux, mais nʼen met que très peu : un collier et des bracelets discrets. Bien quʼelle ne vive plus avec son époux, elle met immanquablement le vermillon. Bien quʼelle travaille et que son sari puisse être dérangé facilement, elle sait effectuer les plis à la ceinture de manière régulière, ni trop longs, ni trop courts, même sans le recours de lʼépingle.

Si les femmes brahmanes et Kshatriya peuvent expliquer leur mode de vie (choix des mets, sorties, rituels) par leur caste, leur choix vestimentaire est en revanche indépendant de leur appartenance communautaire. Quand elles habitent en famille élargie, ce qui les distingue vraiment des autres femmes, cʼest leur obligation de sʼen tenir à des sorties collectives à caractère religieux. Il est hors de question quʼune brahmane ou une Kshatriya aille faire des courses. Placées sous haute surveillance au sein de leur famille élargie, elles se doivent dʼavoir une apparence modeste. Leur sari doit simplement indiquer leur respectabilité. Elles nʼont pas à contrebalancer une appartenance de classe ou de caste présumée inférieure en essayant, de paraître « modernes ». Ici, on voit un groupe de femmes brahmanes, toutes en saris synthétiques, à la célébration du dernier jour de la Navratri, les plus jeunes, à gauche (et la rose) ayant disposé le pan dans le dos (mais le reprenant de côté de manière à se couvrir), les plus âgées, à droite lʼayant arrangé sur le buste.

Enfin, que se passe t-il quand on est une femme de haute caste et quʼon habite dans un village ? Riddhî, Kshatriya, mariée à un instituteur nommé à Puru, qui est également créancier, commerçant dʼun magasin de vêtement, médecin et propriétaire de terres, porte un sari synthétique, à lʼinstar des femmes des villes. Elle met tous les insignes, maquillage et bijoux quʼil incombe à toute épouse de mettre. Elle fait la distinction du sari de fête34. Mais le paraître comporte quelques signes de lʼappartenance au milieu rural, comme le corsage dont les manches sont longues et un peu larges.

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Conclusion du chapitre 3

Le sari porté par les femmes des villes se distingue de celui porté dans les campagnes par le modèle lui-même et les différents styles (un pour les campagnes, deux pour les villes). Même si les âdivâsî et les femmes des villes portent le pan sur le devant, il existe des éléments du style tels les plis, le tombé du jhol, la manière de rentrer le pan qui différencient totalement les unes des autres.

Quant aux modèles, le sari « chhattisgarhi » sʼoppose au « sari des villes» par les couleurs. Le premier a une couleur dominante sombre, le second est composé de couleurs vives pour les épouses, claires pour les veuves. Le fonds est uni pour le premier, imprimé pour le second. Les veuves, en principe, doivent porter un sari uni, mais en réalité, elles revêtent de légères fleurs. Quant au matériau, le sari « chhattisgarhi » nʼexiste quʼen pur coton tandis que celui de la citadine existe en soie, en coton ou en synthétique. Ce dernier matériau est adopté même par les veuves, qui en principe devraient porter du coton. Quant aux suhâgin, elles ont le choix entre les matériaux : au quotidien, le synthétique reste le favori.

Les bords ont un rôle esthétique essentiel en ce qui concerne le sari des âdivâsî et celui des femmes des villes. En principe encore, la veuve nʼest pas autorisée à en porter, mais encore une fois, ils existent bel et bien. Quant aux motifs du modèle chhattisgarhi, ce sont des fleurs et des motifs géométriques, formes entrecroisées qui représentent le travail de la vannerie. On retrouve ces deux catégories de motifs, dans les saris des villes, mais avec une infinité de variétés. En outre, des animaux, divinités ou figures humaines peuvent être représentés, en particulier dans les saris de fête. Cependant, la différence essentielle entre les deux modèles de saris réside dans le fait que pour lʼun, seuls les bords sont agrémentés de motifs et dans lʼautre, les motifs sont disséminés dans toutes les parties du sari, en particulier le pan final.

Le sari « chhattisgarhi » se distingue par une symétrie qui permet une inversion du drapé quand il est porté. Il est hors de question quʼune femme des villes inverse le « sari ». Le pan particulièrement orné est mis sur le devant ou rejeté dans le dos.

Derrière le paraître « femme des villes » se cachent finalement des oppositions tout à fait traditionnelles qui font référence dʼabord à une opposition de statut (épouse

ou veuve) et ensuite à une opposition de circonstances (quotidien ou fête). Ces deux oppositions nʼexistent pas dans le paraître âdivâsî.

Lʼajout de pièces supplémentaires au sari est incontournable si lʼon veut paraître femme des villes. Lʼassortiment de ces pièces est spécifique au paraître des villes : assortir le corsage, le jupon, les bracelets au sari indique le goût de la femme. Les plis sont lʼindicateur de lʼappartenance sociale : il faut savoir les faire et les maintenir dans le jupon. Certaines pièces vestimentaires, comme les corsages de velours élastiques, ne sont pas toujours acceptables : trop près du corps et trop décolletés, ils peuvent être perçus comme vulgaires. La caste intervient dans le paraître des villes, non pas comme signe de reconnaissance, mais comme influençant un paraître « jeune, pieux et moderne » ou « simple et modeste ».

En résumé, le choix du sari, de son modèle ou de son style est déterminé et influencé par le statut de la femme (épouse ou veuve), lʼactivité quotidienne ou religieuse, le type de lʼactivité (faire la cuisine à la maison, sortie pique-nique), lʼorigine (le donneur- famille parentale, époux, beaux-parents, amis), les personnes côtoyées (dans la journée ou dans la cérémonie) et enfin le goût personnel, en plus de la classe sociale ou de la caste.

Chapitre 4 - Paraître « femme des villes » lorsquʼon est

« femme des villages » : les saris « transitoires »

Si jʼai choisi le terme de sari « transitoire », cʼest parce que ce modèle se situe entre celui des âdivâsî portés dans les villages, et le sari des villes, tant par ses motifs, ses couleurs et sa structure que par sa mise en place, son style et le paraître quʼil implique.

Le sari « transitoire » est réellement en « transition » entre le sari « chhattisgarhi » et le modèle urbain de « lʼépouse ». Les générations les plus jeunes âdivâsî ne revêtent plus le sari de leurs aînées et veulent imiter le paraître dʼune femme des villes. Certaines y parviennent et cela leur donne plus de respectabilité. Mais cette réussite nʼest somme toute que relative. Car aux yeux dʼune femme des villes, leur paraître reste caractéristique des villages.

Il sʼagit de comprendre également, dans cette partie, dans quelle mesure les modèles « transitoires » représentent les idéaux des générations les plus jeunes, leurs aspirations sociales ainsi que leurs espoirs et leurs déceptions.