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Construction de la personne, de la vierge à lʼépouse : les saris de mariage

Chapitre 5 : La succession des saris de couleurs : un ordre symbolique

D) Belle-fille en sari bleu

Le sari bleu nʼest porté que de manière temporaire. Il est soit réellement endossé soit juste mis symboliquement (cf page 232).

Le bleu indigo, ou bleu violacé est la couleur du dieu Krishna, dixième avatar du dieu protecteur Vishnu. Krishna est représenté en bleu avec une flûte traversière quʼil utilise pour charmer les bergères. Il incarne la maturité, la séduction et lʼérotisme requis lors de lʼunion matrimoniale (Maucort 2003 : 223). Le bleu évoque la couleur de la gorge de Shiva Nilâkantha ou « celui de la gorge bleue ». En buvant le poison, il sauve la terre de la destruction et garde le signe de son acte sur sa gorge (Mackenzie 1994 in Maucort : ibid). Le bleu, le noir ou le bleu-noir est encore la couleur des serviteurs (Shûdra) et des femmes, couleur de la sensualité-passion « aveugle », ou encore de Kali (Chambard 1995 : 249). Le bleu est une couleur qui est liée aux relations dʼhomme et de femme et à la sexualité.

Après la mise du vermillon, il sʼensuit un don de saris, murdakkî (dont la gestuelle est développée ensuite, cf page 232) par les hommes de la famille : lʼépoux, le frère aîné de lʼépoux et lʼoncle maternel de celui-ci. Parmi un de ces trois saris offerts, lʼun est bleu. Ce rituel permet dʼétablir les relations liées au pardâ, système de réclusion, de respect de la femme indienne vis-à-vis de ses supérieurs. Il correspond à un système de relations et de contacts liés à lʼimpureté et à la souillure, valeurs fondamentales appartenant au système de castes. Dans le cadre du pardâ, le sari bleu représente également le respect, voire la servitude de la femme vis-à-vis des hommes. Par

servitude, jʼentends lʼensemble des services qui incombent à la femme mariée en tant quʼépouse, belle-sœur et belle-fille. La femme mariée, par tous les services et les travaux domestiques quʼelle doit effectuer est sujette à des contacts impurs.

La femme est affiliée à la belle-famille qui comprend les hommes (beaux-frères, oncles, grand-père etc..) quʼelle devra servir. Le statut dʼépouse ne sʼarrête pas au lien établi entre le marié et la mariée, confirmé par la mise du vermillon. Il fait partie dʼun système beaucoup plus vaste de relations entre la femme mariée et les hommes de la famille et de la caste.

Nʼoublions pas non plus, que dans de nombreux rituels, ou même dans lʼhabillement, par exemple, chez le jeune enfant à qui est mis un cordon noir autour des hanches, la couleur noire est présente en petites touches pour repousser le mauvais oeil. Dans le cas du mariage, le sari bleu ou violet, qui sʼapparente au noir en tant que couleur obscure revêt la même action.

Conclusion du chapitre 5

Le changement ordonné des couleurs ne concerne que le vêtement de la femme et pas celui de lʼhomme. Dans le choix des saris de mariage portés par la mariée, les couleurs sont associées à des représentations tantôt ambivalentes tantôt complémentaires. Le blanc est la couleur de la virginité, mais également du veuvage, le rouge est la couleur de la vie et de la mort. En dépit de leur caractère ambivalent, les couleurs sont perçues comme auspicieuses et, en plus, elles sont associées à des couleurs mineures qui créent un équilibre et empêchent le côté néfaste. Le blanc vire au jaune pâle ou est parsemé de motifs clairs. Le rouge est associé au vert, couleur apaisante représentant la fertilité, la naissance, et au doré pour porter la mariée à un statut de personnage royal.

Le jaune, en tant que couleur de lʼor, de la prospérité et de la richesse est la couleur du bonheur et sʼoppose au noir, couleur de la pauvreté et du malheur. Le jaune est la seule couleur de sari qui est portée unie, car cʼest son éclat qui importe et son association à lʼor, matériau brillant.

Bien que chaque couleur ait son caractère distinct, lʼensemble des quatre couleurs est considéré auspicieux. La succession de couleurs des saris est ordonnée de manière à renforcer le caractère auspicieux de chacune. Dans ce registre, deux interprétations se dessinent.

Selon la première, la mariée est considérée comme une déesse. Chaque couleur correspond à une divinité différente qui a une personnalité, un rôle et des attributs distincts. En blanc, elle est Pârvatî, femme de Shiva, incarnant la vertu et la pureté. En rouge, elle est Sîtâ, femme de Râm, incarnant la fidélité. En jaune, elle est Lakshmî, femme de Vishnou incarnant la richesse et la prospérité. En bleu, elle est Kâlî, incarnant lʼaspect destructeur et dangereux.

Selon la seconde, la mariée est associée à une caste. Dans lʼordre du plus pur au moins pur, elle porte le blanc des brahmanes, le rouge des Kshatriya, le jaune des Vaisha et le bleu des Shûdra. Ces différents statuts que revêt la jeune femme sont ceux quʼelle prend au cours de sa vie, au cours de ses activités. Pour nʼen citer que

deux, lorsquʼelle sert à manger, elle a un statut pur, équivalent à celui de brahmane; quand elle est menstruée, elle a un statut impur, équivalent à celui de Shûdra.

Ici, plus que lʼimportance dʼun drapé ou dʼun modèle, cʼest le choix des couleurs du sari, à travers leur fonction métaphorique, qui assure le bon déroulement du mariage et participe à la construction de la personne.

Chapitre 6 - Textures des saris : cacher et révéler les