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PARAÎTRE DANS LE CHHATTISGARH : LE SARI COMME MODE DE DISTINCTION

PLANCHE 2 (b) : MISE EN PLACE DU SARI CHHATTISGARHI

B) Deux oppositions majeures

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Si ces couleurs sont lʼenjeu de telles discussions, telles adaptations et tels compromis entre un époux et une épouse, ce nʼest pas seulement une question de goûts ou de caractère, cʼest quʼelles impliquent le présupposé de deux oppositions majeures. Les couleurs vives représentent le statut dʼune épouse dont le mari est vivant ainsi que ses valeurs associées : le bonheur de la femme et sa prospérité. En revanche, les couleurs claires sont associées au veuvage, associé à la perte de lʼépoux et au chagrin conséquent.

B) Deux oppositions majeures

1- Les saris de lʼépouse et les saris de la veuve

Yves Delaporte, dans sa synthèse sur « le vêtement dans la société traditionnelle », indiquait déjà que le vêtement pouvait donner des indications «sur la situation du porteur au sein de la communauté » (Delaporte 1991 : 973). En effet, le sari permet de savoir si la femme a son époux vivant ou décédé.

La notion de femme mariée nʼétant pas suffisante en Inde, il faut toujours préciser « femme dont lʼépoux est vivant », suhâgin, ou « femme dont lʼépoux est décédé », vidhâvâ. Sʼil est aisé de traduire vidhâvâ par veuve, rendre compte du mot

suhâgin est difficile : le terme « suhâgin » suhâg (saubhâgyâ) est traduit par « état

auspicieux de lʼépouse dont le mari est vivant » ou « bonheur conjugal » (Mac Gregor 1997 : 1003).

Il est courant, dans les ouvrages et dans les conversations, de lire et dʼentendre que la veuve porte un sari de coton blanc, sans bord. Ce dire souligne bien les caractéristiques à travers lesquelles deux paraître vont sʼopposer.

Il existe trois oppositions fondamentales entre le sari de lʼépouse et le sari de la veuve : lʼune est fondée sur la couleur, la deuxième sur lʼornement et la troisième sur la structure. En plus de ces oppositions, il existe une distinction entre le sari porté au quotidien et le sari de fête. Ce distinguo porte en principe sur le sari de lʼépouse et non sur celui de la veuve. Enfin, le choix du matériau découle de ce jeu dʼoppositions.

a- Couleur / non couleur

Lʼopposition de la couleur permet tout dʼabord de reconnaître la distinction de statut. Le sari de lʼépouse est de « couleur ». Par couleur, on entend « toutes les couleurs » excepté le blanc et le noir. Le rose (gulâl) est la couleur de la femme mariée par excellence. En principe, le sari de la veuve est blanc. En réalité, il est souvent de ton clair, beige ou bleu, ce qui rappelle la couleur blanche.

Le blanc est considéré comme une couleur calmante. Enveloppant le corps, le sari ainsi apaise la douleur et lʼesprit tourmenté de la veuve qui doit, en principe se consacrer à prier pour lʼâme de son mari défunt. Au contraire, les couleurs gaies sont stimulantes, énergétiques, donc adaptées à la vie active dʼune épouse.

b- Imprimé / uni

Ensuite, il existe un contraste puissant entre le sari imprimé de lʼépouse, censé évoquer le bonheur dʼavoir son époux vivant, et le sari uni, ou supposé tel, de la veuve, représentant la douleur dʼavoir perdu son mari. En réalité, lʼornement du sari de la veuve dépend de différents facteurs (son âge, sa place dans la famille, la durée de son veuvage, sa caste…). Sʼil existe, il reste léger, il est composé de fleurs de couleur claire qui se fondent dans la masse claire ou alors, de couleur noire, par petites touches. Par contre, lʼornement du sari de lʼépouse est rempli de fleurs, de formes géométriques ou dʼanimaux.

Il existe un principe : une veuve rejette les couleurs vives (ou le doré) et adopte des motifs discrets. Mais ce principe nʼest pas suivi à la lettre. Excepté ceux portés le jour où la femme prend son veuvage, il existe peu de saris vraiment unis, blancs et sans bords. Durant la première année, le principe dʼaustérité est généralement respecté, mais il se relâche par la suite. Lors dʼune cérémonie célébrée en faveur de

lʼaccueil de la mariée, dans la caste Gupta (commerçants), des femmes, veuves depuis un certain temps, avaient revêtu exceptionnellement des saris à fleurs de couleur (ressemblant au sari ci-dessus, à gauche).

Il existe cinq variantes de saris de veuves :

- uni blanc sans bord, sans ornement, extrémité à rayures possible (durant la première année de deuil)

- partie centrale unie ou légèrement parsemée de motifs, bords à motifs blancs ou noirs

- fond blanc ou clair, orné de fleurs claires

c- Structure en trois parties / une seule partie (planche 3)

Le sari de lʼépouse est constitué de la partie centrale, dʼune extrémité et de bords longitudinaux. Celui de la veuve est doté dʼune extrémité, mais nʼa en principe jamais de bords… même si en réalité, encore une fois, il en a bel et bien.

Le sari a une taille standard de cinq mètres cinquante de long sur un mètre dix de large. Les dimensions des bords sont variables, de un à une dizaine de centimètres, en fonction des modes. Lʼextrémité (pallâ, ânchal), partie la plus ornée

du sari est de dimension moins variable, de 70 centimètres — longueur équivalant la longueur dʼun bras (de lʼépaule aux doigts).

Au contraire du drapé « chhattisgarhi », le sari nʼa pas dʼinversion possible. Dans le langage courant, les termes désignant les trois parties sont généralement donnés en hindi:

- lʼextrémité (ou le pan) particulièrement ornée : lʼân

chal ou le pallâ (ou

encore pallu ou pallav).

- les deux bords longitudinaux (ou bordures longitudinales) : kinârî.

- la partie centrale : « sari » ou phûl (« fleurs »), terme dérivé des motifs qui composent ce type de drapé. Zamîn, terre, utilisé dans les villages, nʼest pas employé.

Les ouvrages mentionnent par contre cette partie centrale sous le nom de deh, qui signifie « corps » (Lynton 1995, Chishti et Sanyal 1989).

Il y a des parties de sari dont la femme parle et dʼautres quʼelle ne mentionne pas. La partie centrale est peu évoquée dans les conversations, car elle nʼa pas à subir de retouches ou elle ne risque pas de toucher le sol. Kinârî est évoqué car on y rajoute des ourlets : le sari ne doit être porté ni trop long, ni trop court. Ân

chal et pallâ

sont les termes de référence continuelle quand les femmes parlent de leur sari car cʼest la partie qui sʼadapte et sʼutilise le plus.

PLANCHE 3 : SARI DE LʼEPOUSE