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Chapitre 4. La démarche méthodologique

3. Les données récoltées

3.5. Vers une perspective systémique

Mangenot (2000) propose d’adopter une perspective systémique pour décrire et évaluer l'intégration des TIC dans la didactique des langues. Cette perspective s'intéresse « moins à l'étude isolée de telle ou telle variable (les logiciels, les enseignants, les apprenants, l'institution) qu'aux relations entre ces variables » (p.38). Une des méthodes reconnues consiste à faire appel à la théorie de l’activité (désormais TA) qui vise à mettre en valeur la complexité des paramètres en jeu dans chaque situation.

Selon différents chercheurs (Zourou, 2006, Sensevy, 2007), la TA permet de mieux appréhender les activités collectives dans un contexte social. De ce fait, elle parait intéressante pour l’analyse d’une activité aussi complexe qu’un projet de formation faisant appel à une multitude de partenaires, de ressources et d’outils.

170 Voir chapitre suivant.

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Le principe fédérateur est que les actions sont toujours insérées dans une « matrice sociale » composée d'individus et d’outils. La prise en compte du contexte dans la compréhension d'une activité est une caractéristique fondamentale de la théorie de l'action. Si la théorie de l’activité (Activity theory) a été fondée en premier lieu par les recherches de Vygotsky, ce sont surtout les recherches de son étudiant et futur collègue, Leont’ev (Bourguin, 2000), qui ont permis la mise en place d’une première définition des trois unités de l’activité (voir infra). Le chercheur scandinave Engeström a complété ces recherches en proposant un modèle complexe de l’activité que nous utiliserons pour nos descriptions du projet (voir ch.5). Après avoir décrit les différentes unités de l’activité, nous indiquerons les implications de cette théorie dans le champ de la recherche en didactique et formation.

3.5.1. L’activité, une structure hiérarchique dynamique

Le concept d’activité est constitué de deux unités, l’action et l’opération. Il offre un ensemble de perspectives sur l’activité humaine ainsi qu’un ensemble de concepts pour la décrire. Cependant, comme l’explique Bourguin (2000), les limites entre les différents niveaux de la structure hiérarchique d’une activité sont mouvantes et floues. Nous définirons ces différentes unités en indiquant les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres.

Les opérations : Elles sont exécutées inconsciemment et sont orientées par une base d’orientation non consciente. Les opérations correspondent à des actions dont le modèle s’est démontré réellement fiable en fonction de certaines conditions (Bourguin, 2000). Les opérations permettent aux participants d’agir sans penser consciemment à chaque petit pas d’exécution. De ce fait, elles ne sont pas accessibles à l’auto-réflexion consciente de l’acteur.

L’action : elle peut être individuelle ou collective mais est toujours dirigée vers un but conscient (intermédiaire par rapport à l’objet qui motive l’activité). Il est nécessaire de considérer l’action dans un contexte pour être capable de la comprendre. Cependant, une action est souvent poly-motivée, c’est-à-dire qu’une seule et même action peut appartenir à plusieurs activités. De ce fait, l’action effectuée peut être interprétée différemment suivant l’activité dans laquelle on la considère.

Bourguin (op.cit.) précise que l’exécution d’une action est planifiée, « en utilisant un modèle, et au cours d’une phase appelée orientation. Sa réalisation peut donc être

considérée comme une séquence orientation-exécution » (p.43). Plus le modèle mis en oeuvre est fiable, plus l’action a des chances d’atteindre son but. Dans le cas contraire, le sujet entre dans une phase d’analyse et d’apprentissage au cours de laquelle il sera certainement amené à modifier le modèle défaillant et, ainsi, augmenter son expérience. L’activité : elle est en relation étroite avec un but conscient, une motivation et peut donner lieu à une multiplicité d'actions. Chaque activité possède un objet vers lequel elle est dirigée, qui la différencie d’une autre activité, et qui en motive l’existence. Contrairement à l’action (qui peut être réalisée individuellement ou en groupe), elle est toujours un phénomène collectif, dans lequel il faut distinguer les sujets actifs (qui sont conscients de l’objet de l’activité) des passifs. Tous font partie d’un ensemble d’individus qui partagent le même objet. Chaque activité est en relation constante avec les autres comme l’explique Zourou (2006) : « les activités se développent dans le temps et sont alimentées par d’autres activités qui ont eu lieu antérieurement. Il se tisse donc un réseau de relations dynamiques où les phases d’une activité précédente serviront de ressource aux phases d’une activité suivante » (p.74).

3.5.2. La modélisation de l’activité

Pour conceptualiser la structure d’une activité et les interrelations entre les différents paramètres en jeu, Kuutti172 s’est appuyé sur le modèle traditionnel de Vygotsky qui distingue trois pôles : sujet – objet – outil (matériel ou cognitif).

Figure 9 - Le modèle simple de l’activité

Cependant, ce premier modèle ne permettait pas de considérer toutes les relations qui existent entre un individu et le reste de son environnement, en particulier, le fait que l’activité soit un phénomène collectif. Il a donc été étendu par Engeström pour représenter la structure basique d’une activité qu’il définit comme le modèle systémique le plus simple en terme d’unité d’analyse. Ce modèle prend en compte les relations dynamiques entre

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l’individu et son environnement pendant l’accomplissement d’une activité. Son modèle comporte six pôles : sujet, outil, objet, division du travail, communauté et règles qui donnent lieu à une production (ou réalisation) (Engestrom, 1999, p.31) :

Figure 10 - Le modèle complexe de l’activité

Ce modèle complexe indique bien que l’individu en activité fait partie d’une communauté qui représente l’ensemble des sujets partageant le même objet d’activité. Elle peut subir de nombreuses modifications, en particulier le départ ou l’arrivée de nouveaux sujets. Ces modifications peuvent entraîner des changements concernant les autres éléments de l’activité, comme par exemple une redéfinition de la division du travail. Les règles (rules) qui peuvent être plus ou moins explicites, contrôlent les relations entre le sujet et la communauté. Bien qu’elles soient un héritage culturel relatif à la communauté, elles sont ouvertes à de nouveaux développements. Elles relient le sujet, la communauté et l’objet. De son côté, la division du travail (division of labour) correspond à l’organisation de la communauté dans le but de la réalisation de l’objet. Elle définit ce que chaque sujet d’une communauté doit faire pour réaliser l’activité dans laquelle il est impliqué. La division du travail reflète les responsabilités des individus envers les autres membres de la communauté. Elle peut refléter les différentes fonctions que jouent les individus. Tous les éléments du modèle peuvent évoluer au cours de l’activité. Ces changements concernent aussi bien le sujet, l’objet et la communauté, que les éléments médiateurs (l’outil, les règles et la division du travail). Les conflits émergents internes à l’activité en sont les principaux facteurs de transformation.

3.5.3. La théorie de l’activité et la recherche en didactique et pédagogie

De nombreux chercheurs se sont interrogés sur les implications possibles du modèle d’Engeström à notre champ de recherche. Le premier intérêt est évidemment descriptif car

il permet « d’identifier des dialectiques et des tensions constituantes de ces dialectiques » (Sensevy, 2007, p.89) ce qui permet à l’analyste de mieux comprendre la complexité du contexte auquel il doit faire face. En effet, le modèle reflète bien la réalité de l’apprentissage, l’inscrivant dans un contexte social car « apprendre, c’est participer à une expérience personnelle et collective. On n’apprend pas seul, mais avec et grâce aux autres et en transformant, de manière personnelle et créative, ce qui a déjà été appris par une communauté humaine » (Springer, 2009, p.27).

Taurisson (2007) indique que le modèle dans son état actuel ne peut suffire à la description des situations pédagogiques car il ne prend pas en compte la spécificité de la présence de l’enseignant. En effet, l’enseignant ne peut faire partie de la communauté (la classe) car il conserve une certaine relation de distance (voir ch1.4.2) et il a un effet continu sur l’ensemble des éléments. Il propose de le mettre au sommet du triangle de l’activité, qui devient une pyramide :

Figure 11 - Le modèle d’une pédagogie de l’activité (Taurisson, 2007)

Ce modèle reflète aussi la fonction de médiateur. De plus, Taurisson (op.cit.) a remplacé l’élément « communauté » du modèle original par « Groupes de travail » et « objet » par « compétence ».

Cependant, la limite de ce modèle est qu’il ne permet pas d’aller au fond de l’analyse,

favorisant uniquement des discours très généraux comme l’explique

Bruillard (2004) : « Des théories peuvent fournir des cadrages utiles, mais dès qu’elles se focalisent, quelle est leur validité ? » (p.17). Il est rejoint aussi par Zourou (2006) qui indique que le modèle ne permet pas de prendre en compte les évolutions entre les

différentes composantes de l’activité, se limitant à un moment précis. La solution serait d’appliquer le modèle dans chacune des étapes.

Pour notre part, nous ferons appel au modèle complexe développé par Taurisson (op.cit.) pour définir les différentes variables qui interviennent dans le projet F1L à son lancement. Nous précisons que nous n’avons pas assisté à des modifications majeures qui auraient nécessité de « réinitialiser » la description en cours de route.