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4. Les interactions en classe de langue

4.1. Le discours en interaction : quelques notions

4.1.3. La relation interpersonnelle

La notion d’engagement nous amène à décrire les relations qui se tissent dans l’interaction. En effet, « (…) il ne suffit pas que deux locuteurs (ou plus) parlent alternativement : encore faut-il qu’ils se parlent, c'est-à-dire, qu’ils soient « engagés » dans l’échange, et qu’ils produisent des signes de cet engagement mutuel » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p.17-18). Nous avons choisi de décrire cette notion et les indicateurs de sa constitution car nous les réutiliserons pour l’étude de la relation qui se construit entre les participants dans le cadre du F1L (ch.7 et ch.8).

Afin d’être engagés dans une interaction, les locuteurs doivent maintenir une certaine attention intellectuelle et affective. La manifestation la plus saillante de l’engagement réside dans le « système de régulation » (Traverso, 1999) : « le locuteur interroge du regard son interlocuteur (signaux phatiques, qui se réalisent aussi sur le plan prosodique, et par de courtes verbalisations de type « hein »), et ce dernier manifeste son engagement en orientant sur le locuteur son attention visuelle, en effectuant des hochements de tête et en émettant différentes productions verbo-vocales (signaux régulateurs) » (p.17).

Kebrat-Orecchioni (1992) considère la relation comme un système comportant trois dimensions générales, chacune d’entre elles recouvrant de nombreuses variantes, à savoir : 1) la relation « horizontale » : à travers certains marqueurs discursifs, elle propose de

définir les degrés de distance et de familiarité que partagent les locuteurs.

2) la relation « verticale » : qui renvoie au système des « places », qui peuvent évoluer au cours d’une interaction.

3) la relation « que je dirai non pas « affective » (car il s’agit ici de décrire des attitudes discursives, et non des états psychologiques), mais conflictuelle vs consensuelle » (op.cit., p.35-36).

Vion (1992) fait la distinction entre deux types de relations symétriques et complémentaires, les premières se caractérisant par l’égalité entre les participants, tandis que les secondes se fondent sur la maximalisation de la différence. Certes, le contexte social ou culturel peut fixer dans certains cas une relation complémentaire (par exemple mère-enfant, médecin-malade) mais il précise qu’une « interaction déterminée a toutes les chances de mettre simultanément en œuvre plusieurs rapports de places. Si les concepts de symétrie et de complémentarité sont définis de manière rigoureuse, il faut s’attendre à ce que la réalité soit plus complexe » (p.125). Charaudeau et Maingueneau (2002) rajoute à

cela la notion de « hiérarchie » indiquant qu’il existe des échanges complémentaires non hiérarchiques (la relation commerçant-client) et hiérarchiques (la relation maître-élève). Ces différentes distinctions seront prises en compte dans nos analyses (voir ch.7 et ch.8).

La constitution d’un type particulier de relation dépendra de toute une série de facteurs (Kerbrat-Orecchioni, 1992) dont :

1. les propriétés intrinsèques, et relatives de chacun des participants (les catégories socioprofessionnelles).

2. la nature de la relation existant au préalable entre eux.

3. le type particulier de contrat qui les lie durant l’échange communicatif.

4. corrélativement : le nombre des participants, le caractère plus ou moins formel de la situation d’interaction, etc.

Kerbrat-Orecchioni ajoute aussi qu’il existe des facteurs en rapport avec ce qui se passe à l’intérieur de l’interaction elle-même, à travers le jeu de certains types d’unités.

La relation interpersonnelle n’est que très rarement figée au cours de l’interaction. En effet, sa principale caractéristique est qu’elle est « évolutive et presque toujours négociable : l’interaction est un processus dynamique, où rien n’est jamais définitivement déterminé à l’ouverture ni acquis une fois pour toutes» (Charaudeau & Maingueneau, 2002). De plus, certaines interactions connues pour leur caractère de complémentarité peuvent déboucher sur des moments plus symétriques comme nous chercherons à le montrer dans nos corpus d’analyses (voir ch.4, ch.7 et ch.8).

La relation partagée peut être perçue en étudiant le discours des participants. En effet, les chercheurs s’accordent pour dire qu’un locuteur donné ne s’exprime pas de la même façon selon le contexte, la situation de communication et la fonction sociale qu’il occupe. Gadet (2007) appelle cela la « variabilité diaphasique » qui concerne aussi bien le lexique (par ex. automobile/voiture/bagnole) que la syntaxe et la morphosyntaxe (différentes formes d'interrogation, omission du « ne » de la négation) et la phonétique. Mais à ces éléments du système linguistique, Gadet propose d'ajouter des choix d'ordre pragmatique orientant le discours vers plus de familiarité ou vers plus de formalité (par exemple, choix du tutoiement/vouvoiement, marques d'adresse). Enfin, selon elle, l'ensemble des facteurs précités « se combinent pour constituer du sens, jusque dans l'évaluation de

caractéristiques de proximité ou de distance » (p.144). Cette idée de « réglage » proximité / distance nous semble particulièrement pertinente pour analyser une situation dont la distance51 – géographique et culturelle – constitue un paramètre incontournable comme les échanges en ligne dans le cadre du projet F1L.

Gadet (opt.cit, p.137) explique que le type d'activité (« enjeux de l'échange, situation matérielle, sujet traité, médium ») et les protagonistes (« interlocuteur, présence ou non d'un public, relations entre les locuteurs, degré de formalité ») peuvent être des facteurs influençant le discours.

Un autre indicateur qui permet de décrire la proximité de la relation est l’usage des termes d’adresse. Il s’agit de l’ensemble des expressions dont le locuteur dispose pour désigner le destinataire de son message. Ils regroupent les pronoms d’adresse, tu et vous, mais également les noms d’adresse, c’est-à-dire les noms propres, les termes de parenté, les titres (Monsieur, Madame, Mademoiselle…), les termes de profession, les termes affectueux ou injurieux. Outre le type de terme à utiliser, le problème se pose de savoir dans quelles conditions il convient de recourir à un terme d’adresse (c’est-à-dire avec quel acte de langage et dans quelle situation). Ces termes jouent un rôle fondamental pour le marquage de la relation interpersonnelle car « ces expressions ont très généralement, en plus de leur valeur déictique (exprimer la « deuxième personne », c’est-à-dire référer au destinataire du message), une valeur relationnelle, servant à établir entre les interlocuteurs un certain type de lien socio-affectif » (Charaudeau & Maingueneau, 2002, p.30). L’observation de ces marques énonciatives peut nous renseigner sur le degré d’appartenance, par les différents membres, au projet F1L. Elle peut également nous informer sur le positionnement des participants les uns par rapport aux autres.

4.1.4. L’ethos

La complexité de la relation pédagogique nous a amené à nous intéresser à l’image qu’affichent les enseignants dans leur discours. La communauté scientifique fait appel à la notion d’ethos, qui trouve son origine dans la Rhétorique d’Aristote. Elle prend place au sein de la triade logos/ethos/pathos, en désignant les qualités morales que l’orateur affiche dans son discours, sur un mode généralement implicite (il ne s’agit pas de dire

ouvertement que l’on est pondéré, honnête ou bienveillant, mais de le montrer par l’ensemble de son comportement), afin d’assurer la réussite de l’entreprise oratoire. La

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personnalité de l’énonciateur est donc l’instance subjective qui joue le rôle de garant de ce qui est dit (Kerbrat-Orecchioni, 2005).

De plus, depuis Aristote, la notion d’ethos a été « adaptée » dans plusieurs branches de la littérature pragmatique et interactionniste contemporaine. En premier lieu, elle entretient une relation étroite avec la microsociologie goffmanienne : si le terme d’ « ethos » n’apparaît pas, des notions similaires sont bien présentes sous d’autres habillages, tels que « présentation de soi » ou « gestion de l’identité ».

D’une autre côté, comme l’indique Kerbrat-Orecchioni (2005), la notion a aussi été développée en pragmatique contrastive, mais avec un sens passablement éloigné de sa signification originelle, puisque l’ethos (communicatif) désigne le « profil communicatif » ou « style interactionnel préféré » d’un groupe ou d’une société donnée. Nous adopterons cette acception du terme ethos pour analyser notre corpus (voir ch.6). Brown et Levinson (1978)52 donnent la définition suivante :

‘Ethos’, in our sense, is a label for the quality of interaction characterizing groups, or social categories of persons, in a particular society. (…) In some societies ethos is generally warm, easy-going, friendly!; in others it is stiff, formal, deferential; in others it is characterized by displays of self-importance, bragging and showing off (…) in still others it is distant, hostile, suspicious (p.248).

En analyse du discours, tout discours oral ou écrit suppose un ethos construit par le locuteur. En référence aux travaux de Maingueneau, Charaudeau et Maingueneau (2002) précisent que « l’énonciateur doit légitimer son dire : dans son discours, il s’octroie une position institutionnelle et marque son rapport à un savoir » (p. 239), construit à partir d’un « rôle » et d’un « statut ». Maingueneau (1999) indique que deux raisons l’ont incité à recourir à cette notion : « son lien crucial avec la réflexivité énonciative et le rapport entre corps et discours qu’elle implique » (p.76). Ainsi, les modalités de son dire permettent de connaître le locuteur bien mieux que ce qu’il peut affirmer sur lui-même.

Cependant, malgré cette liaison entre énonciation et ethos, il faut garder à l’esprit que « le public se construit aussi des représentations de l’ethos de l’énonciateur avant même qu’il ne parle. Il semble donc nécessaire d’établir une première distinction entre ethos discursif et ethos prédiscursif » (op.cit., p.91).

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Même si dans certaines situations, il peut arriver que les co-énonciateurs n’aient aucune représentation sur l’énonciateur, cela est assez rare surtout dans les échanges pédagogiques (voir infra). En effet, toute situation induit des attentes en matière d’ethos. De plus, la « scène d'énonciation » joue un rôle déterminant dans la construction de l'ethos (Maingueneau, 1999) :

L'énonciateur n'est pas un point d'origine stable qui « s'exprimerait » de telle ou telle manière, mais il est pris dans un cadre foncièrement interactif, une institution discursive inscrite dans une certaine configuration culturelle et qui implique des rôles, des lieux et des moments d'énonciation légitimes, un support matériel et un mode de circulation pour l'énoncé (p.82).

L'ethos est indissociablement lié à une situation d'énonciation. L’identification de l’ethos communicatif des tuteurs nous permettra à la fois de mieux comprendre s’ils se positionnaient en tant qu’enseignants ou en tant qu’étudiants et aussi si une évolution significative dans leur ethos a été observée, ce qui marquerait, selon nous, un changement dans la relation.

4.2. Les interactions et les relations dans la classe de