• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4. La démarche méthodologique

2. L’observation ethnographique du terrain

2.3. Deux postures d’observation

L’observation d’une classe peut avoir trois fonctions : « une fonction descriptive, une fonction formative et une fonction évaluative » (Germain, 1999, p.171). Notre objectif se trouve à la charnière entre les deux premières fonctions, car, bien que nous cherchions à mieux comprendre le projet, nous souhaitons nous servir de ces analyses pour construire de nouvelles formations d’enseignants. La première question à laquelle nous devions répondre était sur notre place d’observateur au sein de ces dispositifs.

Cambra Giné (2003) préconise une « immersion prolongée du chercheur dans le contexte objet d’étude » car « d’une part, il faut pouvoir se placer dans la perspective des participants afin de comprendre ce qui se passe à partir de leur point de vue (…) d’autre part, il est nécessaire de respecter la culture du groupe en gardant un certain recul » (p.98). En effet, en étant présent sur les lieux de l’observation, le chercheur peut se familiariser avec les lieux et les acteurs à condition que la fréquentation du terrain soit assez longue (Le Guern, 2007).

Cependant, il est nécessaire de distinguer entre deux types d’observation : « l’observation directe et transparente (l’observateur participe à l’action, et les observés savent qu’ils le sont) (…) l’observation indirecte opaque (l’observateur est invisible, les observés ignorent qu’ils le sont) » (Narcy-Combes, 2005, p.104).

Nous avons tour à tour eu recours aux deux types d’approche pour essayer de « capturer » la complexité de notre terrain. D’un côté, la spécificité des échanges en ligne via la plateforme nous a permis de les observer indirectement et de façon invisible, derrière notre

écran. D’un autre côté, la situation en face à face en France nous a amené à prendre la posture d’observateur direct et participant.

Pour accéder à la plateforme du partenaire, nous avons utilisé les codes d’accès de l’enseignant, ce qui nous permettait d’observer l’ensemble des échanges. Si tous les participants avaient entendu parler de notre recherche, nous étions réellement invisible au sens où nous n’avions pas d’effet sur le dispositif puisque nous n’y avons jamais posté de message. Nous avons donc observé le développement et l’enrichissement de l’espace discursif en ligne que nous avons pu archiver (voir infra).

En ce qui concerne l’observation directe du cours en face à face, nous avons dû réfléchir davantage à la place que nous aurions et à la relation partagée avec les étudiants. Sur cette question de place du chercheur, la communauté scientifique s’est interrogée. Les chercheurs en sociolinguistique connaissent bien le « paradoxe de l’observateur » indiqué par Labov, qui doit observer des pratiques qui ont lieu quand il n’est pas présent (Bigot, 2002, Gadet, 2003). Refusant la prise de distance de certains chercheurs, Le Guern (2007) conseille au contraire d’entrer en interaction avec les enquêtés car « entrer dans un terrain, y demeurer et y mener des observations suppose donc avant tout que l’enquêteur comprenne les places qu’on lui attribue, qui varient évidemment selon les circonstances et les interlocuteurs » (p.24).

Personnellement, nous ne croyons pas que l’observateur en situation présentielle puisse devenir invisible. Sa présence aura toujours une certaine influence sur le dispositif, aussi avons-nous choisi d’être un des éléments du contexte. Cela nous a poussé à réfléchir au moyen adapté pour nous immerger dans la classe, en gagnant la confiance des étudiants en prévision des entretiens (voir infra) sans que cela paraisse trop artificiel. Cela nous a amené à adopter une posture d’observateur participant qui est intéressante car elle « procure d’excellents résultats : les données y gagnent, outre en authenticité, en qualité et en intérêt, en compréhensibilité du point de vue des acteurs ; et c’est un accès sans équivalent aux pratiques non officielles, sur lesquelles les observés ne diront rien à un enquêteur, qu’ils les trouvent trop banales ou trop peu légitimes. La durée de l’insertion finit par avoir pour effet d’assouplir la relation enquêteur/enquêté » (Gadet, 2003, n.p.).

Comme nous l’avons indiqué dans notre introduction, nous avons, grâce à notre formation et notre expérience, acquis un niveau avancé dans la maîtrise des outils informatiques, ce

qui nous a paru constituer une entrée intéressante pour ne pas garder une place passive. Nous avions proposé de participer au cours en tant que soutien technique151. Notre proposition fut acceptée directement par l’enseignant qui a uniquement émis la condition que nos interventions ne concernent pas la conception pédagogique afin de neutraliser les effets que nous pourrions avoir sur la situation observée.

Dès le premier cours, nous sommes arrivé avec les autres étudiants et l’enseignant nous a présenté au groupe après la description du cours et du projet, en indiquant que nos objectifs étaient assez généraux à ce stade de notre réflexion. Il a aussi précisé que nous assurerions un soutien technique et qu’il ne fallait pas hésiter à nous solliciter pour donner un « coup de main »152. Notre posture se différencie du participant à part entière par le fait que nous n’avons pas conçu d’activité pédagogique ni échangé avec les apprenants. En effet, nous n’intervenions qu’en support aux étudiants et à leurs demandes, ce qui nous permis de mieux comprendre certains de leurs choix et difficultés. Cette fonction nous a permis de nous intégrer efficacement à la classe et d’être accepté plus rapidement par les autres étudiants.

Ayant fait le choix de ne pas travailler sur les interactions en classe présentielle, nous n’avons pas mis en place de procédés médiatiques d’enregistrement. Dès le début du cours, nous nous placions au fond de la salle et nous prenions des notes sur un carnet de bord (Cambra Giné, 2003) ce qui nous permettait de nous fondre dans le décor. L’usage du journal de bord s’est avéré très intéressant puisqu’il nous a permis de réaliser un traçage du développement de l’activité pédagogique à travers une série d’observations empiriques. En ce qui concerne notre participation durant le premier créneau horaire (en salle informatique), nous pouvons la qualifier d’intervention majoritairement réactive. Dès le début, nous faisions le tour des groupes en même temps que l’enseignant en proposant notre aide. Cela nous permettait d’observer tout en nous rendant utile. Entre les cours, nous échangions avec l’enseignant ainsi qu’avec les étudiants. Dans le second cours, nous n’avions plus de fonction technique et nous nous installions au même niveau que les étudiants afin de pouvoir prendre nos notes.

151 Notons que Zourou (2006) avait utilisé ce même procédé en 2002 mais au moment de l’organisation de notre observation, nous ne le savions pas puisque la thèse n’avait pas été encore soutenue.

152

Nous avons tenu dès le premier jour à réduire la distance153 entre les « sujets observés» et nous, afin de ne pas être perçu comme un observateur évaluateur. Nous avons adopté un registre familier « étudiant » avec un tutoiement direct (se distinguant du vouvoiement pratiqué par l’enseignant) tout en rappelant toujours aux étudiants qu’ils pouvaient faire de même. Avec le recul, nous pensons qu’un autre élément a joué en faveur de notre « acceptation », il s’agit de la relation que nous partagions avec l’enseignant qui se trouve être en même temps le professeur du cours et notre directeur de recherche. Ce statut partagé d’étudiant a opéré un certain rapprochement qui nous a semblé bénéfique, que ce soit dans l’observation ou dans l’organisation des entretiens qui font partie des données que nous exposons dans ce qui suit.

Nous conclurons cette partie en nous référant à Cambra Giné (2003) qui explique que : « l’observation est l’acte de regarder et d’écouter attentivement. Mais l’ethnographie est aussi, et surtout, un engagement avec des personnes (…) avec lesquelles nous avons partagé des écoutes, des échanges, des interprétations, c'est-à-dire que le terrain, en tant que lieu de relation sociale, est le fondement de la construction de savoirs scientifiques » (p.281).