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Chapitre 4. La démarche méthodologique

2. L’observation ethnographique du terrain

2.1. La démarche ethnographique

Cambra Giné (2003) considère que l’objet de cette approche ne s’arrête pas à une description empirique des actions pédagogiques mais qu’elle a pour objectif de changer « nos conceptions de l’acte didactique, celles des autres enseignants et de tous les impliqués dans ce domaine de connaissance qu’est la didactique des langues » (p.13).

Elle considère la recherche en ethnographie éducative comme un paradigme de recherche bien défini en sciences du langage et en sciences de l’éducation et explique aussi que (op.cit.) :

Épouser une perspective ethnographique présuppose une conception multiple et holistique de la réalité, ce qui signifie s’interdire de chercher « la » vérité et de faire des prédictions. La recherche ethnographique est interprétative. (…) L’approche ethnographique est empiriste et naturaliste. Pour comprendre l’interaction, il faut comprendre aussi le contexte à l’intérieur duquel elle se produit et qu’elle produit (pp.15-16).

À travers une compréhension approfondie du contexte dans lequel ont lieu les interactions, il sera plus aisé au chercheur de pouvoir comprendre ces dernières et donc de les décrire. Ce point de vue est partagé par Cicurel et Bigot (2005) qui insistent sur l’importance de « considérer la classe comme l’ethnographe son terrain et tenir compte de l’architecture du lieu, du contexte géographique et social, des langues en contact pour pouvoir dessiner la carte des influences de cet ensemble de facteurs sur le développement et la nature des échanges ainsi que sur les discours des professeurs qui font la classe » (p.6).

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Cette démarche est inductive et se fonde sur de « nombreuses observations empiriques» (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p.63). Dans notre cas, les données ne peuvent qu’être issues d’une classe de langue et leur observation constitue une étape préliminaire et nécessaire pour mettre en vue ce qui ne paraît pas évident sans elle, comme le préconisent les auteurs du rapport du projet Socrates Mailbox (Magli & Barchechath, 1998).

Bigot (2002) indique trois étapes dans une démarche ethnographique :

 L’observation du phénomène étudié et la collecte de données potentiellement pertinentes.

 La définition du sujet en partant des observations ciblées.

 Le test des hypothèses que le chercheur complète par des entretiens approfondis, des observations plus ciblées, l’analyse des discours produits… De leur côté, De Ketele et Roegiers (2006) ont insisté sur l’importance de définir un objectif général avant de se lancer dans l’observation d’une situation à étudier. Ils reconnaissent l’existence d’une observation dite « libre », mais elle comporterait aussi un objectif comme « se familiariser avec une situation, observer un phénomène sous un maximum d’aspects possibles,… Plus cet objectif est clair et explicite, plus cet acte de sélection s’en trouvera facilité, plus circonscrit deviendra l’objet sur lequel l’attention est dirigée » (p.15). Dans notre cas, notre objectif général était en rapport avec notre problématique qui cherchait à mieux comprendre l’acquisition de compétences professionnelles dans une situation de formation active.

Durant la phase d’observation, le chercheur s’emploie à récolter une multitude de données comme les notes d’observation, les journaux de bord, les entretiens, les traces écrites de séances de concertation (comptes rendus) et autres. Les avancées des outils technologiques ont permis de nouveaux procédés de « capture de la réalité » qui consistent à enregistrer et filmer les acteurs en situation de classe de langue comme l’ont fait certains chercheurs en interaction didactique comme Dejean-Thircuir (2004) ou Rivière (2006). Il est à noter que cette procédure peut s’avérer assez contraignante à mettre en place (besoin de matériel de capture, acceptation de l’ensemble des acteurs impliqués, dérogations officielles) et exercerait une certaine influence sur la situation écologique. Un des intérêts de la recherche en CMO, indiqué entre autres par Mangenot (2007), est une plus grande « facilité » (p.120) dans la capture des données d’échanges (oraux et écrits) car elle a lieu dans des environnements « confinés » et « archivables », qu’il s’agisse d’environnements

pédagogiques comme les plateformes de formation (voir ch.3) ou ceux « tout public» comme les mondes virtuels (Second Life145), les jeux en réseau (World of Warcraft146 ou Thélème147) et les réseaux sociaux (Facebook). De plus, ce moyen de capture n’exerce aucune influence sur les échanges car il a lieu de manière invisible.

Une fois les données récoltées, commence la phase d’archivage et de transcription148

en vue de l’interprétation. La fin de cette étape donne au chercheur une vue globale sur le corpus ce qui aide à mieux préciser le sujet de recherche149 et à comprendre les processus de déroulement du cours. Cette compréhension permettra de formuler des questions et des hypothèses qui pourront être suivies par de nouvelles analyses des données accompagnées d’entretiens et de nouvelles observations.

La dernière étape est celle d’analyse et de rédaction. Dans tous les cas, nous nous accordons avec Cambra Giné (2003) qui assure la nécessité de mettre en place « des combinaisons de ces techniques ou des méthodes imaginées ad hoc selon les besoins de la recherche » (p.97). Elle conseille le procédé de triangulation des données (voir infra).

Comme toute stratégie de recherche, la démarche ethnographique comporte aussi certaines difficultés. En premier lieu, elle nécessite beaucoup de rigueur et de disponibilité de la part

de l’observateur. En effet, comme l’expliquent Magli et

Barchechath (1998) « l'ethnographie demande du temps : du temps pour l'observation, du temps pour l'immersion dans une culture et l'appropriation de ses codes culturels, du temps pour construire une narration traduisant la richesse et la complexité de ce qui a été observé » (p.9). Durant ce temps non négligeable, le chercheur se trouve constamment face à la crainte de ne pas obtenir des résultats assez significatifs pour répondre à son objectif. Pour résoudre ce problème de disponibilité, certains analystes font appel à des personnes extérieures (étudiants, collègues ou professionnels) pour l’observation ou n’assistent pas à l’ensemble des séances, se focalisant sur certaines.

145 Univers virtuel en 3D qui permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels et de créer le monde qu’ils souhaitent. Plusieurs chercheurs ont proposé d’utiliser ce monde pour créer des cours ou des centres de langues (Lamy, 2009), pour plus d’informations sur Second Life (http://secondlife.com/).

146 Jeu en ligne multijoueurs, pour en savoir plus (http://eu.battle.net/wow/fr/). Une équipe issue du laboratoire strasbourgeois « Cultures et sociétés en Europe » a développé un jeu vidéo multijoueurs sur Internet pour apprendre le français, pour en savoir plus (http://www.theleme-lejeu.com/).

147 Une équipe issue du laboratoire strasbourgeois « Cultures et sociétés en Europe » a développé un jeu vidéo multijoueurs sur Internet pour apprendre le français, pour en savoir plus (http://www.theleme-lejeu.com/).

148 Un autre intérêt de la CMO est que cette phase est simplifiée s’il s’agit de données écrites.

149 Voila pourquoi certains chercheurs anglo-saxons l’appellent « Data First Theory » comme Allwright et Baily (1991, p.51).

De plus, du fait du caractère empirique et écologique de cette démarche, les tenants de l’ethnographie sont critiqués par les expérimentalistes (voir supra) pour ne pas avoir assez

de rigueur et de se baser exclusivement sur leur interprétation

subjective (Crinon et al., 2002). Cambra Giné (2003) considère que c’est la subjectivité qui constitue la force de cette approche qui ne s’intéresse qu’à des situations réelles et non à une reconstitution de la réalité en laboratoire. Elle précise que « faire une recherche ethnographique c’est accepter la singularité de chaque classe et jouer sur cette compréhension plurielle de la réalité. L’ethnographe ne cherche pas de généralisation des résultats de ces études de cas, mais par les multiples apports sur des façons concrètes de faire, il aide à composer un portrait riche et dense des cultures de classe » (p.19).