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3. L’enseignant de langue étrangère

3.2. De l’approche communicative à la perspective actionnelle

3.2.1. L’approche communicative

Après avoir longtemps parlé de méthodologie d’enseignement (traditionnelle, directe, structuro-globale audio-visuelle…), nous observons qu’avec les années 60-70, le terme « approche » est privilégié par prudence, « dans la mesure où l’absence de noyau dur théorique ne va pas lui permettre de se constituer en une véritable méthodologie » (Puren, 1994, p.32). L’approche communicative (AC) est apparue au début des années 70 et a conquis très rapidement le marché des méthodes d’enseignement du

28 Pour cela, voir Cuq et Cruca (2005), Bertocchini et Costanzo (2008) et la majorité des ouvrages de formation en didactique du FLE.

FLE, ce qui contribua fortement à sa diffusion. Nous avons fait le choix de présenter son évolution car nous avons observé que ses effets sont toujours présents sur la pratique des étudiants analysés dans le cadre du projet F1L.

La langue y est conçue comme un instrument de communication ou d’interaction sociale. Les habiletés sont développées à travers des activités pleinement interactives (voir infra

pour la définition du terme). Les aspects linguistiques (sons, structures, lexique…etc.) deviennent une des composantes d’une compétence plus globale : la compétence de communication. Comme l’indique Germain (1993), ce sont les travaux de Hymes qui ont eu la plus grande influence sur l’évolution de l’approche communicative : « Pour Hymes, une théorie linguistique ne peut être qu’une partie d’une théorie plus générale portant sur la culture et la communication. Autrement dit, toute linguistique doit être fondée sur une théorie sociale et une pratique ethnographique. (…) Selon Hymes, pour communiquer entre eux, les membres d’une communauté linguistique doivent posséder à la fois un savoir linguistique et un savoir sociolinguisitique, c'est-à-dire non seulement des connaissances d’ordre grammatical mais également d’emploi de la langue selon la diversité des situations de communication » (p.24).

En partant de cette théorie, Moirand (1990) conceptualise la compétence de communication en indiquant qu’elle contient quatre « composantes » (p.20) : linguistique, discursive, référentielle et socioculturelle. Critiquant l’absence d’une composante stratégique que Moirand considère comme faisant partie d’un autre plan29, Germain (1993) considère pour sa part que la compétence communicative est constituée de quatre types de compétences : grammaticale, socioculturelle, discursive et stratégique.

Cependant, en parallèle à la diffusion de l’AC, s’est développée30 la notion des « quatre compétences » qui indiquait la compétence orale (compréhension et production) et écrite (compréhension et production). Rosen (2005) explique clairement que cela est dû à une erreur de traduction du terme « skill » qui peut prendre différents sens en anglais. Dans le cadre de l’AC, il aurait dû plutôt être traduit par « aptitudes (ou savoir-faire, ou capacités, ou habiletés) » (p.123). Elle indique que ce problème terminologique n’est pas anodin car il a aussi induit une modification des objectifs de l’enseignement de la langue étrangère. En se cantonnant à la dimension langagière (orale et écrite), les enseignants

29 « Les « stratégies » ne relèvent pas d’une « compétence stratégique », composante à part entière de la C.C. mais interviendraient lors de l’actualisation de cette compétence dans une situation de communication concrète » (Moirand, 1990, p.20).

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pourraient négliger les dimensions sociolinguistiques et ne prendraient pas en compte les « expériences antérieures des apprenants (acquises en L1 ou lors de l’apprentissage d’autres L2) » (ibid). Dans les entretiens réalisés à la fin de l’observation de notre terrain (voir ch.4), certains étudiants ont précisé à plusieurs reprises qu’ils avaient pris en compte les « quatre compétences » dans la construction des tâches, ce qui confirme la présence toujours d’actualité (peut être moins aujourd’hui) de cette confusion.

Un autre point essentiel de l’AC est l’exposition des apprenants aux documents authentiques. Cet intérêt est l’effet des travaux d’un autre linguiste américain, Chomsky. En effet, Roulet (1999) explique que « les hypothèses chomskyennes sur l’acquisition du langage postulent que notre capacité d’apprentissage doit être exposée à des données langagières assez riches pour qu’elle puisse dégager des généralisations concernant le système et, j’ajouterais, l’emploi de la langue. Cela implique qu’on fournisse aux apprenants non des données linguistiques fabriquées, réduites, simplifiées, soigneusement graduées (…) mais qu’on les expose à des données authentiques (c'est-à-dire non fabriquées pour les besoins du linguiste ou du pédagogue) » (p.12). Nous précisons que cette notion d’authenticité a été largement débattue par les chercheurs depuis sa proposition. En effet, plusieurs soutiennent que le document « authentique » utilisé en classe de langue ne l’est plus puisque les « conditions extralinguistiques de réception et de production ne sont pas authentiques » (Germain, 1993, p.103). À ce propos, Ellis (2003) établit une distinction entre l’authenticité situationnelle et l’authenticité interactionnelle. Autrement dit, les documents ayant perdu leur authenticité situationnelle, en sortant de leur contexte initial, permettraient quand même d’initier une communication entre apprenants et enseignant qui pourrait être, elle, authentique car elle concerne des sujets réels. À travers nos analyses des ressources utilisées par les étudiants (ch.6), nous reviendrons sur la distinction proposée par Ellis.

En plus des critiques précédentes, Germain (1993) indique que la plus virulente est d’avoir mis le code linguistique au second rang « au profit d’une centration sur le message à transmettre ou sur l’emploi de la langue » (p.94). Il indique cependant que les chercheurs conscients de ces problèmes ont proposé différentes solutions, que ce soit pour la phonétique ou le vocabulaire. En ce qui concerne la grammaire, l’AC a toujours privilégié une « grammaire notionnelle, grammaire des notions, des idées et de l’organisation du sens » (Martinez, 1996, p.74) rejetant les pédagogies répétitives issues des pratiques behavioristes. Cependant, Springer (2009) constate « encore dans la salle de classe une

tendance vivace à maintenir des formes, sans doute plus édulcorées, du conditionnement behavioriste » (p.26). De plus, la diffusion d’Internet ainsi que l’apparition d’outils assez faciles à prendre en main pour la conception des exercices autocorrectifs (QCM, textes à trous…) ont conduit à donner une deuxième31

vie au béhaviorisme, occultant même certaines des avancées de l’AC (Guichon, 2006). Nous sommes conscient que ces exercices pourraient être utiles pour la maîtrise du code (la grammaire, la phonétique, le lexique…) mais il faudrait éviter d’en abuser car ils ne permettent pas ou très peu32

de communication entre les apprenants. Certains chercheurs parlent alors de micro-tâche (voir ch3).

Pour finir, il faut indiquer que l’objectif principal de l’AC a été d’apprendre à

communiquer en langue étrangère en formant des « étrangers de

passage33 » (Rosen, 2009). Pour cela, elle a donné une grande importance aux notions d’autonomie des apprenants en les rendant actifs et responsables du processus d’apprentissage. Elle a aussi fait appel à des activités de type « jeux de rôles » ou « simulations ». Cependant, malgré la large diffusion de l’AC, nous avons relevé différentes critiques et faiblesses, ce qui a amené la communauté scientifique à proposer, après trente années de développement, le lancement d’une nouvelle perspective.