• Aucun résultat trouvé

10. HOSPICE GENERAL – PERIODE 1998-2008

11.1 Vers un compromis civique-connexionniste

1 1 .C S P – P E R I O D E 1 9 9 8 - 2 0 0 8

11.1 Vers un compromis civique-connexionniste

Contrairement aux RA de l’HG, les RA du CSP s’inscrivent dans une relative continuité avec les précédents. Concernant la mise en page et le format des RA ceux-ci ne changent pas et sont identiques d’années en années. A relever cependant que tout comme l’HG, le CSP publie des RA qui sont de plus en plus dense (11 pages en 1990, 35 en 1998). On peut ainsi supposer que le CSP, comme toutes les institutions du travail social, est touché par une demande de plus de « transparence » sur son activité, expliquant peut-être l’épaississement des rapports. A noter qu’entre 1995 et 2004, on ne trouve plus d’image dans les RA, ce qui les rend plus « sobres » et moins « chargés émotionnellement ».

Contrairement aux RA de l’HG dans lesquels la forte dimension civique, qui avait longtemps prévalue, s’est en partie dissoute, tout comme le « ton engagé » qui avait pu être adopté, celui des auteurs des RA du CSP ne s’est quant à lui pas essoufflé :

« Un très grand nombre de personnes continue d’être touché par de graves difficultés en Suisse (chômage, précarité, invalidité, problèmes familiaux, etc.) ou dans leur pays d’origine (guerres, persécutions, etc., qui les amènent à chercher refuge dans notre pays). Dès lors, le comité se doit d’apporter à la direction du CSP et à ses collaborateurs un appui régulier dans la recherche de moyens pour lutter contre les difficultés et l’exclusion auxquelles sont confrontées les victimes des problèmes précités » (Bauer, 1998, p.5).

« Les raisons de ce « mal-vivre » sont sans doute multiples et propres à l’histoire de chacun(e). Mais la morosité économique actuelle, l’individualisme exacerbé, entre autres facteurs, accentuent la fragilisation de personnes qui ne trouvent plus leur place dans cette société. […] La pauvreté affective et/ou relationnelle de ces personnes amène à réfléchir et donne tout son sens à l’une des tâches de l’assistant(e) social(e), à savoir l’accueil, l’écoute interactive, dans la mesure des disponibilités en temps… Si ces moments d’échange sont parfois les seuls contacts des usagers du CSP avec le monde extérieur, il faut savoir les privilégier, même si l’action du travailleur social, ne se mesure pas alors en efficacité concrète et directe » (1998, p. 9) - « On est entré dans une ère d’opulence où le pouvoir économique est devenu de plus en plus fort, où les conflits sociaux se sont durcis et où le fossé entre les riches et les pauvres n’a cessé de se creuser » (Dubois, 2001, p.7).

En effet, dans ces passages, on retrouve toujours cette façon caractéristique de décrire et de rapporter les réalités douloureuses vécues par le public accueilli et observées sur le terrain, tout en les renvoyant, en premier lieu, à une « carence de l’organisation sociale » (Castel, 1995, p.28). En effet, si du côté de l’HG on a pu identifier une nette tendance à l’individualisation des parcours d’aide102, les auteurs des RA du CSP, bien que signifiant que les difficultés rencontrées sont « propres à l’histoire de chacun(e) », s’attachent à rendre compte des facteurs structurels jouant un rôle dans l’accroissement du phénomène d’exclusion. A nouveau, on repère une forte dimension civique dans les propos des auteurs, ceux-ci cherchant, d’une part, à informer le public sur les problèmes qui touchent une frange de la population, tout en prenant part au débat démocratique, à savoir en soulignant le type de

102 Tendance largement rapportée par la littérature spécifique.

changements (structurels) qui devraient être opéré pour que la situation des personnes précarisées s’améliore. On retrouve d’ailleurs deux formes de critiques civiques typiques, dans les propos des auteurs, portées en direction des mondes marchand et industriel. A savoir une critique de l’individualisme et de la « démesure » dont font preuve les « riches » au détriment des « pauvres » (car s’opposant à la solidarité civique), ainsi qu’une critique de la « technocratie », en l’occurrence en signifiant que le travail social ne saurait se mesurer « l’action […] ne se mesure pas en efficacité ». A noter qu’en mettant en avant les pratiques sensibles et non quantifiables du travail social (accueil, écoute, disponibilité), les auteurs exposent des dimensions de l’action se trouvant « sous les régimes de justification en public » (Thévenot, 1990 ; Breviglieri, 2005). En effet, on comprend que le travail de proximité103 (Breviglieri, 2005) engagé par les professionnel.le.s, et mis en avant par les auteurs, ne repose pas sur un lien de type paternaliste (monde domestique) mais se tisse, en réalité, à l’aune de différentes « modalités d’engagement »104 (Breviglieri, 2005 en référence à Thévenot, 1990) (ici les savoirs-faire d’accueil et d’accompagnement des travailleurs.se.s sociaux.ale.s (Ion, 1998)) et qui, en l’occurrence, trouvent racine hors des registres justifiables :

« Tous ceux qui font appel aux différents secteurs du CSP bénéficient d’une écoute attentive et compréhensive […] tous doivent pouvoir compter sur la compréhension de ceux qui les accueillent » (Berthoud, 1998, p.6).

Il est d’ailleurs intéressant de relever que les auteurs soulignent eux-mêmes l’existence de ces différentes modalités d’engagement (ou pluralité des modes d’accueil et d’accompagnement) lorsque ceux-ci notent qu’« il faut également mentionner la différence d’approche ou de sensibilité dont les différentes institutions peuvent faire preuve et qui font qu’un usager se sentira adéquatement aidé ici et non là » (1999, p.11).

Dans le même registre les auteurs soulignent cependant :

« Mais cette écoute, même de qualité, est insuffisante. Elle ne peut être qu’un préalable à un encouragement et à une aide véritable. Les bénéficiaires sont tout naturellement invités à agir, à prendre des décisions, souvent à modifier leur comportement. Cette incitation a nécessairement le caractère d’une exigence » (Berthoud, 1998, p.6).

On retrouve ainsi, tel que cela ressortait déjà dans les propos des auteurs dès 1997, le souci d’éviter que les professionnel.le.s entretiennent des liens « avilissants » avec le public. Berthoud, dans son propos, met alors en avant l’idée d’« empowerment ». Littéralement « donner du pouvoir », cette notion sert, en travail social (dès le milieu des années 90), à parler de support et d’appui donné aux individus dans le but qu’ils/elles puissent agir par eux/elles-mêmes (Genard, 2013 ; Grimard & Zwick-Monney, 2016). Dès 1998, on observe que les auteurs se montrent désormais soucieux que l’accompagnement social ait pour ambition première l’émancipation des individus qu’il va s’agir, comme en témoignent les propos de Berthoud, d’ « inciter ». Tout comme les auteurs des RA de l’HG, à la même période, les auteurs se montrent fortement préoccupés d’« activer » les demandeuses et demandeurs d’aide, cela afin qu’ils/elles ne s’« engluent » pas dans le dispositif d’aide.

A nouveau, cela semble bien confirmer que le CSP a également intégré les critiques ayant touché les anciennes « œuvres charitables ». A l’heure où l’individu est de plus en plus érigé comme étant le premier acteur de son changement (Astier, 2007), il semble en outre logique que ces nouvelles

103 A l’inverse de la proximité qu’entend permettre le CASI mais qui, elle, trouve à se justifier par des principes marchands et connexionnistes.

104 Pour plus de détails voir : « Le régime de familiarité. Des choses en personnes » (Thévenot, 1994) et du même auteur : « l’action qui convient » (1990) & « L’action pluriel » (2006).

conceptions de l’individu n’aient laissé aucune des institutions du travail social indifférentes.

Concernant le CSP, cette « nouvelle » manière d’aider transparaît très nettement dans les passages consacrés à l’activité du secteur « occupation et emploi ».

« 28 personnes sous contrat au 31 décembre 1998 […] l’une développant un projet, l’autre cherchant à comprendre sa situation pour l’accepter ou tenter d’y remédier […] le temps pour chacun d’évaluer sa situation particulière, ses compétences, son degré d’adaptabilité sociale et professionnelle, ses manques, ses perspectives, au sein d’un projet » (1998, p. 12) - « Le secteur s’est développé durant l’année conformément aux prévisions. L’expérience acquise a permis de préciser le concept tant au niveau d’une « pédagogie » insertionnelle que de l’examen des besoins […] Il s’agit de reconnaître et de mettre en valeur les compétences humaines, professionnelles et sociales de personnes sans emploi, en processus d’insertion ou de réinsertion » (1999, p.12-13).

Comme dans les RA de l’HG, on observe que les auteurs mettent ici en avant un accompagnement reposant sur des principes de justice connexionnistes. En effet, dans ce passage, un accent particulier est mis sur le développement de soi (Boltanski & Chiapello, 2011), dont on perçoit qu’il est jugé nécessaire pour rompre l’isolement des individus. La dynamique insertionnelle défendue par les auteurs vise ainsi à amener le public à travailler sur certaines de ses failles personnelles susceptibles de nuire à sa réinsertion, autrement dit à sa capacité à s’insérer dans de nouveaux projets. La « pédagogie insertionnelle » évoquée par les auteurs repose ainsi sur l’idée que, pour permettre à cette frange

« exclue » de se réinsérer, il est nécessaire de faire « plier » certaines de ses rigidités (manques), cela en misant sur le développement de compétences susceptibles de la rendre, peut-on supposer, davantage employable.

Cette grammaire politique de type connexionniste est complétement nouvelle dans les RA du CSP et coïncide avec le développement de ce nouveau secteur. Rappelons, cependant, que ce secteur est entièrement financé par l’État. On peut dès lors supposer que cela conditionne évidemment la façon dont les auteurs vont décrire l’activité. Hypothèse qui semble se vérifier du fait que cette rhétorique de l’« autodétermination », qui ressort particulièrement dans les passages consacrés à ce secteur, est bien moins présente que dans les comptes rendus d’activité des autres secteurs105.

En 2002, toujours dans la rubrique consacrée au secteur « occupation et emploi », les auteurs évoquent pour la première fois l’utilisation de l’outil du contrat dans le cadre de leur intervention :

« Notre approche propose au participant d’entrer dans une réflexion individualisée sur sa situation. Il s’agit de se fixer des objectifs atteignables et évaluables, de respecter un engagement personnel par contrat dont les termes et les exigences sont définis ensemble. Cette pédagogie de la responsabilité vise à transformer le sentiment démobilisant d’être une « victime du système » en sentiment d’être acteur de sa propre existence » (2002, p.12).

On retrouve ainsi, comme avec le CASI, l’idée que la contractualisation de la relation d’aide va permettre à l’individu de formaliser un projet, cela tout en l’incitant à l’autonomie. Comme le notent eux-mêmes les auteurs, il s’agit bien de responsabiliser les individus, afin que ceux-ci, malgré les contingences fâcheuses et les caprices du destin, trouvent en eux-mêmes la capacité de rebondir, de reprendre pieds, en un mot, d’échapper aux affres de l’immobilisme. Tout comme le CASI, la matrice du contrat mise en avant par les auteurs est de nature connexionniste, marchande, civique et

105 Et cela bien que nous ayons identifié, dès les années 1997, la tendance des auteurs à défendre une intervention visant non plus à « secourir » uniquement, mais bien à « autonomiser ».

industrielle. En effet, on saisit que l’outil du contrat va simultanément viser à aider les personnes

« actrices » à développer un projet (logique connexionniste), à saisir les opportunités (logique marchande106), à permettre la prévision par la formalisation d’objectifs mesurables (logique industrielle) et, bien sûr, à les « traiter » de façon juste, le contrat incarnant une sorte de « garantie contre les litiges sur les conventions » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 2006, p.132, citent Livet, 1993) (logique civique).

En 2000, les auteurs nous confirment que l’outil du contrat a le vent en poupe au sein du CSP, ceux-ci évoquant :

« L’ensemble des AS a eu la possibilité de se former sur les notions de contrat et d’évaluation afin de donner les moyens permettant d’aider les personnes sollicitant le CSP à reprendre leur situation en mains » (2000, p.8).

Si la pédagogie sur laquelle repose le CASI de l’HG et le contrat auquel font référence les auteurs des RA du CSP se ressemblent, une différence de taille apparaît cependant. En effet, le CASI, est un formulaire « standardisé » (propre à la NGP) qui plus est inscrit dans la loi, dès 2007107. Il est par ailleurs lié à un supplément financier, aspect dont il n’est pas question dans la forme du contrat présentée par les auteurs du CSP108. Ainsi, bien que l’HG et le CSP se retrouvent sur leur intention de contractualiser l’aide dans un but de « stimuler » les personnes à réfléchir à leur condition et à puiser dans leurs propres capacités afin de se « remettre en mouvement », dans le premier cas, il prend une forme gestionnaire, dans l’autre, il reste à niveau strictement « pédagogique ».