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10. HOSPICE GENERAL – PERIODE 1998-2008

10.4 Introduction du CASI

Outre le départ de Torracinta, l’un des autres changements majeurs, en 2005, est l’entrée en vigueur du Contrat d’aide social individuel (CASI). Généralisé dès 2005 et inscrit dans la loi en 2007, il s’agit (comme évoqué en début d’exposé) d’un outil d’accompagnement reposant sur un logique contractuelle à caractère incitatif. Il est destiné à tous les bénéficiaires et vise les objectifs suivants :

« Les objectifs principaux sont de garantir un minimum vital social, renforcer les incitations notamment financières à l’insertion (suppléments d’intégration), lutter contre les abus et uniformiser la pratique de l’aide sociale. Cette dynamique s’appuie sur un nouvel outil, le CASI que signent le bénéficiaire et l’assistant social. Un projet d’insertion et des objectifs successifs sont établis qui doivent mener progressivement à l’autonomie sociale et financière ainsi qu’à la réinsertion professionnelle […] Le nouveau système a également introduit le fait qu’en fonction de l’atteinte des objectifs stipulés dans le CASI, des suppléments liés aux efforts d’insertion peuvent être délivrés » (2006, p.10).

Si jusqu’alors le forfait d’aide sociale était de 1260.- Frs par mois, la grande nouveauté est qu’une partie de ce montant va être transformée en « supplément d’intégration » (SI). A l’époque ce supplément est fixé à 300.- Frs (il baissera par la suite). Si le bénéficiaire de l’aide remplit les objectifs élaborés dans le CASI il obtient donc le SI, si ce n’est pas le cas, il perçoit 960.- Frs Mr. Lopez, lors de notre entretien, nous donne une information clé à propos de l’introduction du CASI. En effet, jusqu’alors, l’HG n’appliquait pas les normes CSIAS94 et cela notamment car la vie, à Genève, est plus chère que dans les autres cantons romans. Face aux contraintes budgétaires, et pour réaliser des économies, l’État a cependant décidé qu’il était dorénavant préférable d’adopter les normes CSIAS95 Or, c’est notamment pour éviter une vague de « rébellion » chez les bénéficiaires de l’aide sociale, à qui l’on ne pouvait « subitement ôter » 300.-Frs, que le SI a été imaginé (Lopez, 2019 ; Duruz, 2017).

Dès son introduction, une partie de la prestation n’a donc plus été automatique. Bien que l’introduction du CASI découle de toute évidence d’une volonté de l’État et des cadres de l’HG de mieux contenir les dépenses d’aide sociale96, on observe cependant combien les auteurs appuient sur le

94 La conférence suisse des institutions d’actions sociales est l’association professionnelle nationale de l’aide sociale. C’est elle qui édicte des normes en matière d’aide sociale à l’échelle Suisse. Cependant, chaque canton décide s’il veut les appliquer ou non.

95 Ces éléments sont bien évoqués par les auteurs cependant, à la lecture du passage qui suit, les implications concrètes ne sont évoquées qu’« à demi mot » : « Courant 2004, le Conseil d’État a décidé de calquer ses prestations financières sur les nouvelles normes de la CSIAS. En lien avec cette décision, l’Hospice général introduit un nouvel instrument d’aide à la réinsertion, le contrat d’action sociale individuelle (CASI), qui sera généralisé en juillet 2006 en même temps que l’introduction d’un nouveau barème – et plus globalement un système – d’assistance ».

96 Notons, par ailleurs, que l’année 2005 est également marquée par l’entrée en vigueur « d’enquêtes systématiques à l’ouverture des dossiers » (2005, p.3) (elles ne l’étaient pas avant). En 2006, dans le dossier du

fait que le CASI est un vrai « levier d’intégration » en cela qu’il permet « d’impliquer davantage la personne assistée » qui, en formulant des « objectifs d’insertion », « devient actrice de son projet de vie » (2005, p.5). Les années 2005-2006 marquent ainsi une vraie rupture avec le modèle d’aide sociale qui jusqu’alors prévalait. Si les changements engagés découlent évidemment d’enjeux budgétaires, on comprend que ceux-ci sont également liés à une volonté de toujours mieux « cibler » les populations prises en charge par l’aide sociale (Castel, 2005).

Bien que le CASI97 soit un outil standardisé et appliqué à tous les usagers et usagères de l’aide sociale, il est intéressant d’observer qu’il est présenté, par les auteurs, comme un moyen de mieux prendre en compte la singularité des personnes accompagnées « le CASI est plus mobilisateur et tient compte de la situation et de la réalité de la personne » (2005, p.5). A cet effet, l’introduction du CASI (qui revêt les caractéristiques typiques du « contrat-projet » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 2006)) peut également être appréhendé comme une réponse aux critiques qui s’attachaient à dénoncer le caractère

« déshumanisant » et « oppressif » des anciens services sociaux « classiques ». A priori plus ajusté à la situation particulière de la personne, on comprend que le CASI est défendu, par les auteurs, en cela qu’il rompt avec la « logique du guichet » (monde industriel) s’adressant à des « catégories abstraites de bénéficiaires » (Castel, 2005, p.44). Dorénavant, c’est le projet du bénéficiaire qui va être au centre de l’accompagnement. En 2008, les auteurs justifient d’autant plus la mise en place du CASI par sa capacité à « assurer un traitement plus équitable des bénéficiaires d’aide » tout en mettant « en évidence un développement constant des projets de réinsertion et une amélioration de l’accueil de l’usager » (2008, p.9).

Tout comme les nouvelles procédures institutionnelles, le CASI est donc présenté par les auteurs comme capable de produire plus de justice sociale, celui-ci permettant d’éviter d’éventuelles discriminations du fait qu’il soit utilisé de façon identique avec tout un chacun.e, tout en permettant l’ajustement à chaque situation. On comprend cependant que le rapprochement qu’entend permettre le CASI n’est pas de nature domestique (perçu comme avilissant). En réalité, comme nous le laisse entrevoir les justifications émises par les auteurs, la proximité (Breviglieri, 2005) permise par le CASI repose sur deux logiques : une logique de marché, tout d’abord, puisqu’il entend permettre la prise en en compte des besoins particuliers des bénéficiaires devenus « clients ». Et une logique connexionniste, cet outil cherchant précisément à permettre aux individus de retisser des liens (et donc à se défaire de tous ceux qui sont « préjudiciables » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 2006)). Le CASI, en aidant les personnes à aller vers (vers l’« autonomie », vers la « réinsertion », vers de nouvelles

« connexions », etc.), vise ainsi bien à permettre l’unification de leur réseau98.

Si au début des années 1990 le chômage et la désaffiliation étaient identifiés par les auteurs comme des problèmes structurels nécessitant des réponses collectives, on identifie ainsi combien

mois de l’ARTIAS, un dossier sobrement nommé « le contrôle des prestations d’aides sociales », rédigé par Marc Piguet, chef du service des enquêtes de l’HG. Il est intéressant de relever qu’en introduction, Piguet relève l’existence de divergences sur ces questions, certains soutenant qu’il est du ressort de l’AS de faire ces contrôles, d’autres défendant la nécessiter d’engager d’autres professionnel.le.s pour faire ces enquêtes. A nouveau, cela nous renseigne sur le type de tensions qu’a pu générer la création du service d’enquête et plus généralement des

« nouveaux modes de faire » au sein de l’HG.

97 Il important de relever que le CASI est un outil qui ne vient pas du politique mais qui a été imaginé par des cadres et des professionn.el.le.s de l’HG. On apprend cependant que son élaboration a été « encouragé par le DASS dans le cadre des réflexions menées autour du projet d’une nouvelle loi sur l’action sociale » (2002, p.15).

Ce n’est qu’en 2007 que son inscription dans la loi est débattue. Après un intense débat, le CASI est soumis à une votation populaire, et adopté. Simultanément, le Grand Conseil approuve la Loi sur l’aide sociale individuelle (LASI) remplaçant la loi sur l’assistance publique datant de 1981. L’aide sociale entre dans une nouvel ère.

98 A noter que le SI associé au CASI vise également à éviter l’atonie du public (état de petit dans la cité par projet) puisqu’il a bien pour intention de stimuler leur engagement.

l’introduction du CASI semble les transformer en problèmes individuels, chaque bénéficiaire étant perçu comme « responsable de sa destiné et de ses choix »99 (ARTIAS, 2008).

Relevons, cependant, que le CASI repose également sur une grammaire politique de type industrielle.

En effet, au travers les RA, on saisit qu’il permet de mesurer, quantifier et objectiver l’activité (et donc de rendre des comptes sur ses résultats), comme l’illustre très bien le graphique ci-dessous :

100

En 2007, soit trois ans après la « crise », les auteurs se félicitent naturellement d’avoir réussi à élaborer

« un budget 2008 cohérent », grâce à « une étroite concertation avec l’ensemble des services », mais également grâce à « un contrôle rigoureux des engagements dont le résultat se traduit par la rationalisation visible des charges de fonctionnement » (2007, p.23). De même pour ce qui concerne

« la gestion par objectifs » (2007, p.5) qui est présentée par les auteurs comme le moyen d’« ouvrir la voie à des plans stratégiques qui, à l’avenir, renforceront la capacité d’anticipation de l’institution tout en contribuant à sa transparence » (p.5). Si la mise en place d’une « gouvernance par objectif » (Thévenot, 2014) se laissait déjà entrevoir au milieu des années 1990, on observe que celle-ci se généralise au milieu des années 2000. Ce type de management est déjà bien connu du monde de l’entreprise et va également trouver à se justifier dans des services publics comme l’HG. Après les tourments vécus par l’HG, l’implantation et la généralisation d’une direction par objectifs101 s’avèrent compréhensibles puisque ce type de dispositifs, qui rompt avec les « habitudes anciennes » (Boltanski

& Chiapello, 2014, p. 113), présente l’avantage « d’offrir des critères clairs et fiables des mesures de performance » (p.113) sur lesquels pourra ensuite prendre appui l’institution. Les RA de la période 2005-2008 laissent ainsi apparaître un vrai rejet du « jugement personnel » par les auteurs au profit d’un « jugement impersonnel » qui désormais repose sur les résultats. Les réalités de l’HG vont dès lors de plus en plus systématiquement être présentées par des chiffres. Dès 2004, le nombre de graphiques et de tableaux statistiques augmente significativement (tout comme le nombre de page des

99 Formulation que l’on trouve dans un document (dossier du mois de l’ARTIAS) présentant l’outil du CASI et rédigé par des cadres de l’HG.

100 « La répartition par phase a peu varié au cours de l’année. Un peu plus de la moitié des bénéficiaires de CASI se situent dans la phase de réinsertion. Plus de 4’000 objectifs sont évalués chaque mois. Parmi les 4’253 objectifs évalués en décembre 2007, la part de ceux qui ont été atteints représente 89%. Certains objectifs ne sont pas atteints pour des raisons indépendantes de l’usager (8%), ceux qui ne le sont pas pour manque de collaboration représentant 3% des cas. Ces proportions sont restées stables tout au long de l’année » (2007, p.10).

101 A noter que la direction par objectifs ne s’implante pas qu’au niveau des services mais va également concernée les travailleur.se.s eux/elles-mêmes à qui l’on va également demander de se fixer des objectifs à atteindre.

RA !). A nouveau, on peut émettre l’hypothèse que ces tableaux vont à la fois servir à donner une plus grande « consistance » à l’activité de l’HG, mais vont également se présenter comme le moyen de résister aux critiques du fait qu’ils participent à rendre l’activité de l’HG a priori plus « transparente ».

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