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4.1. L’Hospice général

C’est en 1535, après un vote réunissant tous les citoyens et citoyennes genevois, que l’ « Hôpital général » fût fondé. A cette époque, son rôle est d’apporter une aide matérielle ou financière aux mendiant.e.s, aux orphelin.e.s, aux personnes âgées, aux malades, aux veuves et aux handicapés (Site de l’HG4). Jusqu’à la Constitution de 1847, les personnes qui reçoivent cette aide restent cependant privées de droits (Site de l’HG). En effet, c’est à cette période que le politicien genevois James Fazy revendique une distribution de l’aide par une administration publique de sorte que, peu à peu, la charité chrétienne laisse place à une « charité légale » (Site de l’HG). Puis, par la loi constitutionnelle du 27 septembre 1868 l’Hospice général est créé (Site de l’HG) et l’assistance devient centralisée dans le but que la prise en charge devienne « plus juste et égalitaire » (Site de l’HG). En 1901, une nouvelle loi sur l’assistance est votée et l’action sociale est séparée de l’action médicale. En 1945, à la fin de la deuxième Guerre mondiale, naît la première réforme sur l’extension des lois sur l’assistance publique et la notion de

« minimum vital » est instaurée (Site de l’Histoire de la sécurité sociale5). La séparation entre l’Église et l’État accompagne ces évolutions, même si l’Église réformée joue encore un rôle majeur jusqu’à la fin du XX siècle (Site de l’HG). L’aide sociale, désormais reconnue comme un droit, va alors s’articuler autour d’une instance décisionnelle (autorité sociale) et d’un organe exécutif (service social). Si, par le passé, l’aide reposait essentiellement sur des dons privés, elle devient financée par les impôts communaux et cantonaux (Site de l’Histoire de la sécurité sociale).

En 1981, la loi genevoise sur l’assistance publique (LAP) entre en vigueur, établissant les principes et l’organisation de l’aide sociale (Site de l’HG). Celle-ci précise que l’Hospice général est désormais seul organe chargé de l’assistance auprès des genevois.e.s, des confédéré.e.s et des étranger.ère.s6 (Site de l’HG). A noter qu’à de nombreuses occasions, la loi est modifiée dans le but d’« adapter les prestations à l’évolution du contexte social et économique » (Site de l’HG.). L’année 1995 est notamment marquée par l’entrée en vigueur de la loi sur les prestations cantonales accordées aux chômeurs et chômeuses en fin de droit (LRMCAS). Puis, en mars 2007, le Grand Conseil approuve la loi sur l’aide sociale individuelle (LASI) qui remplace la loi sur l’assistance publique. Il ne s’agit plus d’assister mais bien d’aider de manière individuelle et en fonction des capacités de chacun à se réinsérer. L’aide ne doit plus viser la rente, mais la réinsertion. Puis, en 2012, une nouvelle réforme de l’aide sociale aboutit et la Loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI) est votée au parlement. Elle vise à améliorer les chances des personnes les plus éloignées du marché de l’emploi de se réinsérer.

La loi sur l’Hospice général du 17 mars 2006 définit son statut, ses missions et son organisation. L’une des particularités de l’Hospice général est d’être un établissement autonome de droit public. Il est donc mandaté pour assumer le mandat de service social de l’État de Genève. Si cela fait figure de spécificité c’est que, généralement, dans la plupart des autres cantons, les services d’action sociale sont des services d’État. Bien évidemment, dans les faits, cette autonomie est toute relative puisque l’institution est soumise, comme cela est spécifié dans la loi, à la « haute surveillance du conseil d’État » (LGH, Art.

4 Récupéré le 10.11.2017 de : https://www.hospicegeneral.ch/fr/notre-histoire

5 Récupéré le 10.11.2017 de : https://www.histoiredelasecuritesociale.ch/themes/assurances-sociales-etat-social-et-securite-sociale/

6 Étranger.ère.s ayant obtenu le statut de réfugié.e (réfugié.e statutaire).

5 al. 1). Plus concrètement, cela signifie que l’Hospice général est placé sous la responsabilité directe d’un conseil d’administration constitué de personnes nommées par le Conseil d’État et par le Grand Conseil7. Il est le « pouvoir supérieur » (Site de l’HG) de l’institution et c’est lui qui définit la

« stratégie de mise en œuvre des objectifs fixés par le mandat de prestation » (Site de l’HG). A cet effet, le Conseil d’État reçoit « les tableaux de bords et les indicateurs définis dans le mandat de prestations » (LGH, Art. 5 al. 3). Le Conseil d’administration est partiellement renouvelé tous les quatre ans.

La direction de l’institution, quant à elle, est nommée par le conseil d’administration. Au niveau opérationnel, la direction est l’organe dirigeant et exécutif de l’institution. Le directeur (actuellement Monsieur Christophe Girod) participe à toutes les séances du conseil d’administration et bénéficie d’une voix consultative. Le dernier organe de l’Hospice général est l’organe de révision. Il est chargé, comme son nom l’indique, de réviser les comptes de l’institution. Ses rapports sont communiqués au conseil d’administration et au Conseil d’État (LGH, Art. 22 al. 4).

Entre 1981 et aujourd’hui, le service de l’action sociale est passé de 36 à 553 collaborateurs et collaboratrices (l’effectif total de l’institution étant de 1040 employé.e.s). L’accompagnement des bénéficiaires est assuré par des AS, titulaires d’un diplôme de travailleur.se social.e, ou jugé équivalent8. Quant au budget, il passe de 12 millions de francs à 343 millions aujourd’hui (site de l’HG).

Aujourd’hui, l’Hospice général intervient auprès de 28'000 personnes, dont plus de 6000 requérant.e.s d’asile.

Les principales missions de l’Hospice général aujourd’hui sont :

• L’accompagnement social et l’aide financière aux personnes et familles sans ressources suffisantes

• L’accueil et l’intervention sociale incluant l’aide financière aux requérants d’asile et leur hébergement9

• L’aide et l’hébergement de jeunes adultes en difficulté

• La prévention et l’information sociales en faveur de toutes les catégories de la population (site de l’HG)

Les directeurs de l’Hospice général : - Guy Perrot de 1978 à 1998

- Robert Cuénod de 1998 à 2004 (quitte ses fonctions avant fin 2004, Monsieur Albert-Luc Haering est nommé directeur général ad interim)

- Bertrand Levrat de 2004 à 2013

- Christophe Girod de 2013 à aujourd’hui

7 Raison pour laquelle, dans ce travail, nous considérons l’HG comme un organe étatique, bien qu’il ne le soit pas « formellement ».

8 Il n’est donc pas rare que des personnes ayant obtenu un Bachelor ou un Master en politiques sociales, en sociologie, etc., soient engagées pour un poste d’AS.

9 L’Aide aux migrant.e.s gère pour le compte de la Confédération la prise en charge financière des requérant.e.s d'asile et des personnes admises provisoirement, attribuées au canton de Genève.

4.2. Le Centre Social Protestant de Neuchâtel

Les centres sociaux protestants sont des services d’aide sociale privés, reconnus d’intérêt public, établis dans quatre cantons romands. C’est en 1954, que le premier CSP voit le jour à Genève. Dès le départ, le CSP de Genève se constitue en association privée à but non lucratif et indépendante de l’Église, a contrario du CSP de Neuchâtel, créé en 1963 par le Synode de l’Église réformée évangélique neuchâteloise (EREN), sous l’impulsion du pasteur André Clerc (site du CSP de Neuchâtel10). C’est en 1964 que le CSP de Neuchâtel commence officiellement son activité. En tant qu’organe de l’EREN, par lequel il exerce son ministère diaconal, le CSP « manifeste sa volonté de répondre, pour l’amour du Christ, aux détresses et aux problèmes sociaux du monde contemporain » (site du CSP). Dès sa création, le CSP s’engage à être « au service de tous ceux qui le sollicitent sans distinction de confession ou de nationalité » (site du CSP). En 2015, le CSP devient une fondation autonome de l’EREN avec laquelle il reste cependant lié (site du CSP). La Fondation est administrée par un conseil de Fondation. Trois pasteurs ont successivement été à la tête de la direction du CSP.

Depuis 2007, la direction est assurée par Pierre Borer, assistant social.

Dépositaire d’un « héritage biblique qui appelle à la justice sociale » (charte du CSP), le CSP cherche à traduire, dans ses activités, les valeurs de solidarité, de respect de la différence, de tolérance et d’équité (Charte du CSP). Depuis sa naissance, le CSP œuvre dans divers secteurs de l’action sociale (lutte contre la drogue, création de foyers pour personnes en difficulté sociales, création du Fonds cantonal de désendettement, etc. Réparti sur deux sites (à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fond), le CSP est doté d’un secteur migration, un secteur social prévention et désendettement (anciennement appelé

« secteur social polyvalent »), mais aussi d’une permanence juridique et d’un service conjugal.

Le CSP détient également ses propres boutiques de seconde main dans lesquelles différents types d’objets (mobilier, habits, livres, bibelots, etc.) sont vendus à bas prix. Un service de ramassage a été mis sur pied afin d’aller récolter les diverses marchandises auprès des particuliers.

Depuis 1997, le CSP a son propre programme d’insertion professionnelle, la « Joliette », subventionné par les Services de l’action sociale et de l’emploi de l’État de Neuchâtel. En effet, c’est à cette période que le Grand Conseil approuve une nouvelle loi sur l’action sociale « permettant à l’État de mettre en place des programmes d’activités, d’occupation et de formation, ainsi que des stages et d’autres actions susceptibles de permettre aux bénéficiaires de l’aide sociale de retrouver ou de développer leur capacité de travail et leur autonomie sociale »11 (LASoc, art. 53.1). Le CSP s’est donc proposé

10 Récupéré le 12.12.2017 de https://csp.ch/neuchatel/a-notre-sujet/historique-organigramme/

11 En tenant compte du fait que le CSP est un organisme privé et donc indépendant de l’État, nous n’allons pas revenir, comme au chapitre précédent, sur l’historique de l’aide sociale du canton de Neuchâtel. Nous pouvons tout de même signifier que les différentes évolutions entre les différents cantons en matière de politiques sociales sont relativement similaires, et se déroulent dans les mêmes périodes. On notera également que cette « proximité entre secteur public et secteur privé » (Giauque, 2017, p.8) est typique de la situation helvétique. Il en résulte ainsi des situations organisationnelles hybrides, où s’entremêlent caractéristiques privées et publiques (p.8).

d’étendre son activité en prenant en charge le « secteur occupation et emploi » (site de la Joliette12) devenu depuis le « secteur insertion » (site de la Joliette). Non loin de la ville de Neuchâtel, la Joliette accueille des personnes sans emploi au bénéficie de l’aide sociale, de l’assurance chômage, mais également des réfugiés statutaires (site de la Joliette).

Les financements du CSP sont divers et proviennent aussi bien de dons et de legs privés, de l’Église réformée évangélique neuchâteloise et des paroisses, de subventions de l’État et des communes, d’indemnisation de l’État pour le travail effectué auprès des réfugiés, ainsi que des ventes réalisées dans ses boutiques de seconde main.

Répartis entre les différents secteurs, 50 collaborateurs et collaboratrices travaillent au CSP. Ils exercent aussi bien les métiers d’AS, conseiller.ère conjugal, juriste, coach en insertion, maître.sse socio-professionnel, etc., s’ajoute également le personnel administratif et la direction.

Les directeurs du CSP

- Pasteur André Clerc de 1963 à 1976 - Pasteur Francis Berthoud de 1977 à 2000 - Pasteur François Dubois de 2001 à 2006 - Pierre Borer de 2007 à aujourd’hui

4.3. [Des] institutions du travail social

Comme le relève Luc Boltanski, la notion d’institution occupe une position quelque peu « étrange », en sociologie, car tout en étant un concept fondateur de la discipline - l’« un de ceux dont il est presque impossible de faire abstraction » - (Boltanski, 2009, p.85), il fait rarement l’objet d’une véritable tentative de définition, tant il semble « aller de soi » (p.85). Ainsi, l’usage qu’en fait la sociologie s’avère généralement aussi vaste qu’indéterminé. Tantôt, l’institutionnel serait le premier marqueur de tout ce qui renvoie aux « faits sociaux », et cela en opposition « aux faits naturels » (p.85). Ces approches à la « tonalité durkheimienne » (Tourney, 2011, p.6), appréhendent alors l’« institution » comme « une forme sociale établie, fonctionnant de façon régulière et dont on présume qu’elle répond à une demande collective particulière » (p.6).

D’autres fois on l’assimile aux dispositifs étatiques dont la légitimé repose en dernier lieu sur l’État.

L’institution est alors définie comme étant celle qui pose le cadre et les règles, permettant ainsi de contenir et d’endiguer la violence (Boltanski, 2009, p.85). Tantôt l’institution peut aussi uniquement désigner un objet empirique « inscrit dans le monde des choses » (p.86), ou encore faire référence à ce qui est « durable » en opposition à ce qui est contingent et mouvant (p.86). Finalement, on peut aussi reconnaître l’institution « totale », comme chez Goffman, qui met au premier plan les contraintes en jeu dans des lieux d’enfermement (Boltanski, 2009, p.86, en référence à Goffman, 1961).

Or, comme l’évoque Boltanski, les différents programmes sociologiques existants, bien qu'attribuant une définition et une place différente à la notion d’institution, lui confère le plus souvent une « valeur négative » (p.86). Dans le registre de la sociologie critique, d’inspiration structuraliste notamment, la tendance consiste à décrire essentiellement les institutions « sous le rapport des effets de domination qu’elles exercent » (p.86), généralement en « dévoilant » (Lemieux, 2018) les mécanismes dissimulés et les calculs, plus ou moins inconscients, (Barth & al., 2013) qui génèrent de tels effets. D’ailleurs, explique Boltanski, la sociologie critique se présente surtout comme une critique des institutions

12 Récupéré le 12.12.2917 de http://joliette.ch/historique/

(Boltanski, 2009, p.86) soucieuse de mettre à jour les instruments de domination de ces dernières, s’éloignant, en passant, de la vision durkheimienne des institutions.

Dans cette recherche, nous avons pour notre part décidé de mobiliser l’appellation « institutions du travail social » pour qualifier tous les types d’organes (services étatiques, associations, fondations privées) dotés d’un « programme institutionnel »13 (Dubet, 2002) dirigé vers un public défini selon des critères variés, et ayant généralement pour point commun celui d’être touché par une ou plusieurs formes de vulnérabilité (précarité, maladie, chômage, exclusion sociale, déficit d’intégration, etc.). Il ne nous semble en effet pas véritablement utile d’opter pour l’une des définitions précitées (toutes valables en soit qui plus est) d’autant plus si l’on considère l’inéluctable difficulté à « problématiser les frontières de l’institution » (Tourney, 2011, p.5). Moins que les institutions en tant que telles, c’est donc davantage les processus d’« institutionnalisation » et de « réinstitutionnalisation », c’est-à-dire le rapport instituant/institué, qui va nous intéresser.

Pour aller dans ce sens, nous avons dès lors décidé d’aborder nos deux institutions en tant que

« monde » (Strauss, 1978 ; Becker, 1982 ; Boltanski & Thévenot, 1991). Avec nos questionnements de recherche en ligne de fond, il s’agira, pour nous, de prendre au sérieux la manière dont ces institutions, ou plus exactement les acteurs14 qui évoluent en leur sein, « définissent ce qui est important ou ce qui ne l’est pas » (Lemieux, 2018, p.19). Quelle est leur appréhension de la réalité ? Quelles sont les raisons invoquées pour modifier leur ligne institutionnelle ? Quelles sont les justifications morales avancées ? Comment contiennent-elles la possibilité de la critique ? Sans exclure, bien entendu, la possibilité qu’elles puissent elles-mêmes s’indigner devant certaines décisions politiques.

Bien évidemment, cette posture nous oblige d’ores et déjà à renoncer à l’idée selon laquelle les institutions du travail social auraient une « face cachée » qu’il s’agirait pour nous de révéler (Boltanski

& Thévenot, 1991 ; Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999 ; Hardy, 2014 ; Nachi, 2013 ; Lemieux, 2018).

Dans le souci d’aborder nos deux institutions dans toute leur complexité, les apports théoriques élaborés par le courant pragmatique français nous sont dès lors apparus fort intéressants à mobiliser.

En effet, l’une des visées de cette « école » sociologique est de proposer une approche qui permette de ne pas réduire la « diversité des constructions » en les inscrivant dans des « oppositions fondamentales » (Thévenot & Boltanski, 1991, p.39). Attentive à ne pas nier le rôle central que joue le pluralisme dans la manière dont s’organisent nos sociétés, tout comme l’« indétermination relative dans la reproduction de l’ordre sociale » (Lemieux, 2011, p.1), cette sociologie nous semble être une voie particulièrement féconde. Considérant notre volonté d’appréhender nos deux institutions en tant que « monde commun », cela tout en tâchant de saisir les multiples principes de justice sur lesquels celles-ci s'arc-boutent, nous avons naturellement décidé de nous appuyer sur l’ouvrage co-écrit par Boltanski & Thévenot, De la Justification (1991).

13 Ce programme institutionnel est défini par Dubet comme « le processus social qui transforme des valeurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spécifique et organisé » (2002, p.24).

14 Car n’oublions pas que ce sont les « individus qui marchent, parlent et agissent » qui sont, avant tout, l’« incarnation concrète de l’institution » (Ravon, 2015, p.25).