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De l'action sociale : une enquête sur la diffusion de la nouvelle gestion publique au sein de deux institutions contrastées du travail social

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Master

Reference

De l'action sociale : une enquête sur la diffusion de la nouvelle gestion publique au sein de deux institutions contrastées du travail

social

DURUZ, Mariam

Abstract

De l'action(s) sociale : une enquête sur la diffusion de la nouvelle gestion publique au sein de deux institutions contrastées du travail social

DURUZ, Mariam. De l'action sociale : une enquête sur la diffusion de la nouvelle gestion publique au sein de deux institutions contrastées du travail social. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:138375

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De l’action sociale : une enquête sur la diffusion d’une nouvelle gestion publique au sein de deux institutions contrastées du travail social

Sous la direction du Professeur Jean-Michel Bonvin

Mariam Duruz 2020

Université́ de Genève

Mémoire de Master – Faculté des Sciences de la Société

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TABLE DES MATIERES

1. INTRODUCTION ... 6

2.

PROCESSUS DE RECHERCHE ET ELABORATION DE L’OBJET ... 6

3. QUESTIONNEMENTS, METHODOLOGIE & DESCRIPTION DES OPERATIONS DE RECHERCHE ... 9

4. PRESENTATION DES INSTITUTIONS ... 12

4.1. L’Hospice général ... 12

4.2. Le Centre Social Protestant de Neuchâtel ... 14

4.3. [Des] institutions du travail social ... 15

5. CADRE THEORIQUE ... 17

5.1. La perspective des économies de la grandeur pour penser les institutions du travail social ... 17

5.2. Notions clés pour l’analyse des « mondes communs » ... 18

5.3. Les six Cités ... 20

5.4. Extension du modèle des cités ... 23

6. ELEMENTS DE CONTEXTE ... 24

7.1. Reconsidération de la question sociale et nouvelles modalités d’action ... 24

7.2. Montée en puissance de la logique managériale ... 25

7.3. L ’emprise notionnelle du tournant managérial ... 27

7.4. L’influente critique ... 28

7.5. Un nécessaire retour critique pour les sciences sociales ... 29

7.6. Les grandeurs justifiées par la NGP ... 31

7. ANALYSE ... 32

7.1. Point méthodologique ... 32

8. HOSPICE GENERAL – PERIODE 1990-1997 ... 36

8.1 La rumeur de la crise ... 36

8.2 Un nouvel instrument pour un nouveau public ... 43

9. CSP – PERIODE 1990-1997 ... 47

9.1 La nécessité d’être reconnu ... 48

9.2 Pour l’amour de Dieu ... 51

9.3 Par-delà la philanthropie ... 54

10. HOSPICE GENERAL – PERIODE 1998-2008 ... 56

10.1 L’air du changement ... 56

10.2 Vidange des mots et voilement des principes d’ordre commun ... 61

10.3 Crise interne : l’Hospice général acculé ... 64

10.4 Introduction du CASI ... 67

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1 1 . C S P

P E R I O D E 1 9 9 8 - 2 0 0 8 ... 70

11.1 Vers un compromis civique-connexionniste ... 70

11.2 Des chiffres parce qu’il en faut ... 73

11.3 Une visibilité pour mieux lutter ... 74

11.4 Vers une laïcisation de son activité ... 76

11.5 Pour plus de transparence ... 78

12. HOSPICE GENRALE – PERIODE 2009-2017 ... 81

12.1 Ancrage d’un nouvel ordre commun et affaissement des grandeurs industrielles ... 81

12.2 Le pouvoir performatif des nombres ... 84

12.3 Nouvelle vision et réordonnancement des grandeurs ... 85

13. CSP – PERIODE 2009-2018 ... 93

13.1 Exigence d’un maintien des grandeurs civiques et réaffirmation des valeurs métiers . 94

13.2 Tenir bon, sans « succomber » à la logique gestionnaire ... 97

13.3 S’émanciper sans se trahir ... 103

14. SYNTHESE CONCLUSIVE ... 104

15. A PROPOS DU MODELE DES CITES ... 113

16. CONCLUSION ... 115

17. BIBLIOGRAPHIE ... 116

18. ANNEXES ... 123

18.1. Tableaux 1 & 2 Variations lexicales et occurrences - de 1990 à 2018 ... 123

18.2. Rapports d’activité : Format et nombre de page ... 125

18.3. Principes et outils de la NGP ... 126

18.4. Exemples d’outils d’accompagnement standardisés ... 127

(5)

Pour Aldo

Fact recte time neminem

J’ai entendu tant de raisonnements qui ont failli me tourner la tête, et qui ont tourné suffisamment d’autres têtes, que j’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair.

Albert Camus, 1947, La peste

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à adresser un grand merci à Monsieur Hugo Lopez (Hospice général) et Monsieur Pierre Borer (Centre social protestant) pour avoir accepté de me consacrer du temps et avoir ainsi contribué à la richesse de cette recherche.

Je leur exprime également ma reconnaissance pour m’avoir livré différents matériaux d’enquêtes sans lesquels ce travail n’aurait pas pu voir le jour.

Merci à Monsieur Moachon d’avoir accepté de répondre à mon invitation en participant à ma soutenance.

Finalement un grand merci à Monsieur Jean-Michel Bonvin pour avoir accepté de diriger cette recherche.

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1. INTRODUCTION

Ce travail de recherche porte une réflexion sur la diffusion et la généralisation d’une nouvelle gestion publique (NGP) dans le champ du travail social, ainsi que sur le lexique spécifique sur lequel elle s’appuie. Plus précisément, il repose sur une étude comparative menée au travers de deux institutions contrastées du travail social, l’Hospice général (HG) de Genève, et le Centre social protestant de Neuchâtel (CSP). Il cherche ainsi à identifier si la progression de ce nouveau management, souvent décrit et dénoncé par les sciences sociales, a été aussi si homogène qu’annoncé.

Considérant que les sociologues apportent une contribution remarquable aux représentations du monde social ce travail vise en effet à nuancer certaines d’entre elles. Dans cette optique, et au travers une analyse fine des rapports d’activité de ces deux institutions, de 1990 à aujourd’hui, nous entendons observer très concrètement la manière dont ces dernières se sont approprié, ou non, les outils et les principes propres à la NGP. Pour ce faire, nous allons mener un vrai travail sur les transformations qui ont traversé nos deux institutions, en l’occurrence, en portant notre attention sur les moments d’application des mesures décidées, d’évaluations de situations données et d’ajustements opérés. Cela, tout en considérant la pluralité des principes de justice à l’œuvre au sein de ces deux organismes, dans le but de mieux identifier les différents registres de justifications qui soutiennent leur activité ainsi que leur politique institutionnelle.

Finalement, cette recherche entend – à son échelle – réarmer le travail social, cela en portant une attention pragmatique sur les conditions de sa mise en œuvre. De la sorte, il sera envisageable de ne plus seulement rester figé sur ce qu’il s’est étiolé et, peut-être alors, sortir de la mélancolie ambiante.

2. PROCESSUS DE RECHERCHE ET ELABORATION DE L’OBJET

C’est dans le cadre de mon mémoire de fin d’étude réalisé à la Haute École de Travail Social de Genève (HETS), que j’ai mené une recherche sur la réception des politiques dites « incitatives » chez les professionnel.le.s de l’action sociale. Mon but était alors de découvrir de quelle manière l’application d’outils contractuels visant l’« activation » des bénéficiaires était susceptible d’impacter l’éthique des travailleuses et travailleurs sociaux. En effet, entre les principes sur lesquels reposent ces dispositifs et leur mise en œuvre dans la réalité, j’ai pu constater un large écart. J’ai donc décidé de m’intéresser plus spécifiquement au Contrat d’aide social individuel (CASI), un outil d’accompagnement reposant sur une logique de contre-prestations et actuellement en vigueur au sein de l’Hospice général. Les bénéficiaires, tous soumis à ce contrat, doivent y élaborer des objectifs leur permettant d’« orienter leur processus de retour vers l’autonomie ». Les assistant.e.s sociaux.ale.s (AS), de leur côté, sont amené.e.s à mesurer et à évaluer mensuellement la progression des personnes.

Si celles-ci atteignent les objectifs, elles perçoivent un supplément d’intégration. Si ce n’est pas le cas, la prestation reste au minimum prévu par la loi.

Il a donc été question de mener une réflexion sur les effets de ce dispositif dans la pratique sociale, notamment en appréhendant l’existence de ses angles aveugles, comme les différentes ambivalences sur lesquelles il repose. Puis, au travers de plusieurs entretiens qualitatifs réalisés auprès d’AS de l’institution en question, j’ai pu découvrir de quelle façon ce dispositif de mesure, prétendu efficient, et le mode de gouvernance imposé par celui-ci, mettaient à mal certains principes structurant historiquement la profession.

Ce travail m’a ainsi permis de prendre la mesure des profonds remaniements subits au sein de l’action sociale, des transformations majeures de la relation au bénéficiaire, mais aussi d’élargir mon

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questionnement quant à l’influence et la progression du paradigme managérial dans l’orientation des politiques publiques. Parallèlement, toujours dans le cadre de ma formation en travail social, j’ai eu l’occasion de vivre deux expériences de terrain (stages pratiques), la dernière en date (janvier 2017) ayant eu lieu au sein de la Fondation Emploi Solidarité. Pendant 5 mois j’ai intégré « Coup d’Pouce », un programme ayant pour mission d’aider des personnes affiliées à l’assurance chômage, ou au bénéfice de l’aide sociale, à se « réinsérer professionnellement et socialement ». Par le biais d’activités en atelier, de cours de réinsertion et d’un suivi personnalisé, la mesure vise à « renforcer leurs compétences et développer leurs ressources » afin qu’elles puissent réintégrer le marché du travail.

Si j’ai décidé de réaliser mon stage dans cette institution, c’est précisément pour voir comment cette

« activation » des individus se révélait dans une mesure d’insertion visant le retour à l’emploi, et quelle place étaient susceptibles de prendre des outils d’accompagnement propres à la NGP.

Lors de ce stage, j’ai ainsi tenu un journal de terrain dans lequel j’ai retranscrit mes observations et mes questionnements. Si cette « activation » s’est révélée effective, notamment par la responsabilisation accrue du public en question, cette expérience a plus spécifiquement confirmé mon impression d’une prolifération et d’une généralisation d’« outils de mesure » individuels à vocation performative sur le plan capacitaire. « Plan d’action », « accords d’objectifs » ou encore « fiche d’évaluation des compétences transversales » se sont en effet avérés être au centre de l’accompagnement des personnes placées, mettant alors en retrait certaines dimensions de l’aide à l’horizon des métiers du travail social.

Ainsi, que ce soit via ce stage, ou par le biais de mon travail de mémoire, j’ai pu observer de quelle manière les principes issus de la NGP se généralisaient dans le secteur social, mais également comment ceux-ci étaient soutenus par une armature lexicale spécifique, étayant massivement la rhétorique professionnelle1. En effet, dans ce mouvement général de standardisation d’outils d’accompagnement, mais aussi de formalisation des référentiels de compétences (Chauvière, 2007, Curie, 2010, Molina 2014), j’ai pu constater que le lexique mobilisé s’est drastiquement « technicisé » et mis au service d’une gouvernance spécifique. Devenu véritable langage d’« expert », l’action sociale a connu ces dernières années un vrai « glissement sémantique » (Guibert, 2010). Or, la diffusion et l’ancrage de ce nouveau « jargon » n’a pas été sans effet puisqu’il a participé à façonner une nouvelle conception de l’activité, de la relation d’aide et, plus largement, de la vie en société (Ion, 1998 ; Chauvière 2007, Guibert, 2010). Comme le relève Hibou, la langue joue en effet un rôle singulier considérant que c’est elle qui définit « les contours des problématiques et des expressions légitimes du politique » (2013, p.17).

Les observations que j’ai faites, et leurs différents impacts dans le secteur de l’aide sociale, j’ai évidemment pu les retrouver dans de nombreuses analyses sociologiques. En effet, cela fait longtemps que le travail social et ses transformations, ainsi que l’expansion de la NGP, intéressent les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, donnant lieu à une littérature spécifique très riche. On y analyse la façon dont les principes propres à la NGP se sont diffusés, notamment dans différents domaines du secteur public (santé, police, université, etc.), et comment ceux-ci ont produit différents effets, le plus généralement « néfastes » pour les secteurs en question et l’activité des travailleurs et travailleuses.

Cette littérature, je m’en suis saisie dès le début de ma formation en travail social. Outre mes

1 Entre temps, j’ai également eu l’occasion d’exercer en tant qu’assistante sociale au sein des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), puis comme veilleuse et éducatrice spécialisée au sein de l’association ARGOS (active dans le champ de l’addiction), et actuellement, comme assistante sociale au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Je reviendrai sur ces expériences, et discuterai de la place que la NGP a pris dans ces différentes institutions, à l’occasion de la soutenance de ce travail.

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expériences de terrain, c’est elle qui m’a permis de prendre la mesure des profondes mutations qu’a connu le champ du travail social et m’a amenée à poursuivre ces réflexions dans le cadre de mon mémoire de Bachelor, comme juste évoqué.

Puis, après ma formation, j’ai décidé de poursuivre mes études et j’ai donc débuté un Master en sociologie à l’Université Paris VIII. Toujours passionnée par la sociologie du travail social, et plus généralement par les transformations des politiques publiques, j’ai naturellement voulu poursuivre mes réflexions. Or, le temps passant, et au travers de mes différents apprentissages et lectures, j’ai finalement été amenée à faire trois constats critiques :

1) La littérature consacrée au travail social, toujours aussi foisonnante, semblait actuellement s’accorder, et ce dans son ensemble, sur le fait que le secteur social était, plus que jamais, sous le joug d’une nouvelle gestion publique2. Le consensus étant dès lors établi, il me semblait soudain que la recherche était quasi exclusivement axée sur les méfaits que produisait cette NGP dans le champ du travail social. Le ton se voulait immanquablement alarmiste et l’annonce d’une « fin » du travail social n’était jamais très loin. Or, comme Pierre Bourdieu l’a bien noté, un discours prétendu vrai, en bout de course, finit réellement par construire la vérité du discours, tout comme son effet de vérité.

Ainsi, bien que je puisse moi-même faire une grande partie de ces constats pessimistes, j’ai commencé à me montrer plus perplexe à l’égard de certaines analyses sociologiques essentiellement axées sur la critique anti-néolibérale. Quelque peu lassée par cette mélopée persistante, j’ai ainsi réalisé qu’il me fallait parvenir à la « dépasser », entre autres, afin de ne pas occulter d’autres enjeux que j’estimais modestement plus vastes.

2) Étant moi-même assistante sociale et ayant eu l’opportunité de travailler dans différentes institutions, j’ai réalisé qu’une partie de la littérature, en réalité, ne rendait pas bien compte de l’hétérogénéité des contextes dans lesquels le travail social se déployait, donnant lieu à des lectures parfois bien peu nuancées et à des généralisations quelquefois caricaturales. Certaines recherches allant jusqu’à omettre de considérer certains facteurs essentiels (juridiques, politiques, économiques) à la compréhension du contexte étudié – tout en appréhendant le plus souvent les acteurs sociaux (les travailleurs.se.s sociaux.ale.s, les cadres, les bénéficiaires de l’aide) comme des êtres méconnaissant les mécanismes de leur comportement. L’action étant ainsi systématiquement opposée à la réflexivité et les personnes essentiellement appréhendées « sous le jour privilégié de la passivité et de l’inertie » (Lemieux, 2018, p. 16).

3) Jusqu’alors, j’avais moi aussi mené mes modestes recherches d’étudiante en travail social, puis en sociologie, en étant convaincue que la « bonne recherche », ou disons la recherche « utile », était celle qui se montrait soucieuse de « mettre à jour » les intérêts stratégiques des « promoteurs » de la NGP et d’en « dénoncer » les effets délétères pour le travail social. Or, je me suis rendu compte qu’une telle démarche ne me convenait plus. En effet, au travers de mes différents apprentissages, j’ai réalisé que les approches critiques, bien que pouvant tout aussi bien reposer sur une méthodologie rigoureuse et permettre de rendre compte de différentes dynamiques pertinentes, comportaient, simultanément, le risque de s’enfoncer dans la brèche du réductionnisme. J’entends par là le fait d’adopter une vision moniste consistant à ne plus intégrer, dans l’analyse, l’existence de plusieurs ordres de réalités

2 Pour ne donner qu’un exemple, dans un ouvrage collectif consacré à la diffusion de la NGP dans le champ du travail social, on trouve des propos tels que : « la déprofessionnalisation […] s’inscrit dans un contexte où l’ensemble du champ professionnel semble s’être approprié les exigences d’efficacité » (Bresson, 2013, p.89).

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distincts. J’ai donc compris qu’il me fallait trouver de nouvelles ressources théoriques, méthodologiques et épistémologique, cela afin d’éviter ce type de « dérive ».

Fort heureusement, de nombreux.se.s chercheurs et chercheuses s’étant déjà retrouvé.e.s confronté.e.s aux mêmes problèmes que moi avaient mis au point de nouveaux cadres théoriques heuristiques. En effet, différents travaux, dont plus notamment ceux issus du courant pragmatique français, m’ont permis de trouver une voie alternative aux approches critiques et surplombantes du travail social (et du social en général). J’ai ainsi saisi que le travail du/de la sociologue impliquait également un travail de description fine de « mondes » énigmatiques en constante transformation/recomposition. Des mondes, dans lesquels les individus, comme les entités collectives (telle que les institutions du travail social) ont des capacités critiques à l’égard de leur propre activité. Des mondes dans lesquels différentes visions du juste s’opposent (nous y reviendrons).

Forte de mes nouveaux apprentissages et toujours désireuse d’« échapper » à la tendance générale consistant à produire un discours sociologique essentiellement anti-néolibéral, j’ai donc fini par saisir qu’il me fallait repartir de la connaissance produite pour repenser mon objet de recherche (la NGP).

Dès lors, tout en prenant acte des transformations qui ont touché le champ du travail social, plus spécifiquement de l’implantation de principes gestionnaires, de la manière dont ils ont pu impacter le champ du travail social, est née l’idée de mettre à l’épreuve ce constat d’une généralisation des principes d’efficacité propres à la NGP, dans le secteur social, tout comme l’émergence massive d’un lexique formaté et a priori homogène et uniforme. A cette fin, j’ai donc décidé de m’intéresser à deux institutions suisses qui inscrivent leur action dans le champ du travail social et dont la particularité est de provenir de deux contextes historiques différents : Le Centre social protestant et l’Hospice général. Ces deux contextes, bien que touchés par le déploiement d’une nouvelle gestion publique et du lexique expert décrit plus haut, continuent, plus ou moins visiblement, à affirmer des valeurs, des principes d’action sociale, des postures politiques et morales sensiblement différentes. A partir de ces constats, a ainsi germé l’idée de mener une enquête comparative réalisée sur la base de deux corpus d’archives constitués des rapports d’activité (RA) de ces deux institutions, de 1990 à aujourd’hui (2018).

3. QUESTIONNEMENTS, METHODOLOGIE & DESCRIPTION DES OPERATIONS DE RECHERCHE

Le lecteur l’aura compris, notre recherche repose sur l’idée qu’il est possible d’éviter d’appréhender la NGP comme quelque chose d’inscrit dans une nature immuable - qui elle-même dicterait des comportements - pour préférer la considérer comme un système de pensée qui n’a de cesse de se reconfigurer, en fonction des contextes, et qui, de ce fait, n’est pas déconnectée des variations politiques, morales et historiques.

Les méthodes utilisées dans la présente recherche combinent travail sur les archives (analyse de discours et analyse lexicale) et entretiens qualitatifs auprès du directeur du CSP et d’un responsable d’unité de l’Hospice général ayant tous deux « fait carrière » au sein de leur institution respective.

Les RA de l’HG de 1990 à 2003 ont été récupérés à la Bibliothèque de Genève. Tous les suivants nous ont été fournis au format PDF par le service de communication de l’HG. Les plus récents étant par ailleurs également accessibles sur le site internet de l’institution. Pour les RA du CSP, l’institution nous a autorisés à emprunter ses RA originaux de 1990 à 2005 et nous a transmis par mail les plus

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récents au format PDF. Tout comme l’HG, les plus récents d’entre eux sont également en libre accès sur le site de l’institution.

Certains éléments rapportés dans les RA sont également mis en lien avec de la documentation journalistique. En effet, les archives, bien qu’étant un matériau d’une grande richesse, et relevant même, en un sens, d’un terrain ethnographique (De Barros & Zalc, 2008, p.47), restent cependant des publications adressées à différents acteurs, raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas nous arrêter à leur seul contenu, faute de quoi notre analyse aurait pu sembler quelque peu « désincarnée ».

Relevons que le travail archivistique est très exigeant, et même, osons le dire, terriblement chronophage. En effet, les archives sont des matériaux particulièrement denses, dès lors, trier les différentes informations qui s’y trouvent est un exercice particulièrement complexe. En outre, le travail sur archives, combiné à la méthode comparative, exige un « va et vient » constant ainsi qu’un effort particulier de mise en perspective. Le sentiment de « se perdre » dans la masse de données n’est donc jamais très loin. Face à la densité des archives, nous avons par ailleurs dû faire certains choix afin que notre travail ne prenne pas des proportions démesurées. Concernant l’analyse lexical, que nous avons réalisée, une partie de nos résultats sont notamment mis en annexe (il n’y a donc pas de chapitre exclusivement consacré à l’analyse du lexique). Pour le reste, les données sont directement intégrées à la partie dédiée à l’analyse des archives. Pour ce qui est des entretiens menés avec le directeur actuel du CSP et un responsable d’unité du l’Hospice général, nous avons aussi dû faire certains choix. En l’occurrence, nous avons également décidé d’intégrer directement les éléments pertinents récoltés lors des entretiens dans la partie consacrée à l’analyse des archives (il n’y a donc pas non plus de chapitre spécialement dédié à l’analyse de ces entretiens). Le nombre de page étant limité, pour ce travail, nous n’avons en effet pas pu exploiter ce matériau comme nous le souhaitions.

Malgré tout, les éléments indispensables à la compréhension de notre objet de recherche sont bel et bien (peut-on l’espérer) restitués dans l’exposé qui suit.

*

La première démarche de recherche opérée a été la réalisation de la genèse du lexique opératoire de nos deux institutions3. En l’occurrence, nous avons porté notre attention sur la récurrence d’une sélection de mots présents dans les RA de nos deux institutions cela afin d’observer, ou non, la progression d’une armature lexicale propre à la NGP, tout en cherchant à en relativiser la dimension homogène. De cette façon, nous avons tenté de comprendre la manière dont elles y ont adhéré, l’ont portée et transformée en outil professionnel. A-t-elle notablement évolué ? Les marqueurs lexicaux sont-ils identiques d’une institution à l’autre ? Et que révèlent-ils en termes de transformations institutionnelles ?

Évidemment, en nous intéressant au lexique déployé par ces deux institutions, plus précisément à ses évolutions, il n’a pas été question de réaliser une analyse sur la langue (comme le ferait un linguiste), mais nous nous sommes employés à rendre compte des mutations du langage mobilisé par ces deux institutions en tant qu’il s’avère être un indicateur heuristique de leurs transformations.

Puis, nous avons tenté d’interroger la manière dont ces deux institutions, depuis 1990, recevaient le cadre politique et, plus précisément, comment elles adhéraient, ou au contraire résistaient, à ce mouvement de « chalandisation » (Chauvière, 2007) du social souvent décrit dans la littérature. En analysant les archives institutionnelles et en réalisant des entretiens qualitatifs auprès d’un responsable d’unité de l’HG et du directeur du CSP, il a été question de mieux identifier ce qui distinguait ces institutions en matière de mise en œuvre de l’aide sociale.

3 Davantage de précisions méthodologiques seront exposées au chapitre 7.1

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Comment se positionnent-elles vis-à-vis de la diffusion d’une nouvelle gestion publique, régulièrement dénoncée et critiquée ? Sont-elles toutes deux gagnées par la « raison gestionnaire » ? Y adhèrent-elles complétement, partiellement ? Ou, au contraire, y résistent- elles ? Et si oui, quelle forme prend cette force de résistance ?

Pour répondre à nos questionnements nous avons donc réalisé un vrai effort de compréhension des transformations antérieures de nos deux institutions. En l’occurrence, nous nous sommes efforcés de reconstituer les différentes dynamiques qui ont pu les traverser, cela afin de mieux saisir les changements/ajustements qui s’y sont opérés. Tout au long de notre analyse des RA, nous avons donc tâché de retracer les débats, réformes, moments de tensions, réorientations institutionnelles, mises en œuvre d’une nouvelle politique, etc., qu’ont connu nos deux institutions et discutés par les auteurs.

Comment l’activité est-elle décrite et légitimée ? Comment les problèmes que rencontre l’institution dans la mise en œuvre de l’aide sociale sont abordés ? Quelles sont les préoccupations exposées par les auteurs ? Quelles sont les réponses/solutions qui leur sont apportées ? Comment sont-elles justifiées ? Mais aussi comment ces institutions assimilent-elles les critiques, qu’elles soient internes ou externes à l’institution ? Et comment ces mêmes critiques/controverses sont susceptibles de les amener à réorienter leur action ? Etc.

Notre recherche a donc été marquée par un souci central : celui de croire en la capacité critique de ces institutions à l’égard de leur propre activité. En effet, nous sommes partis du principe que ces institutions se réfléchissaient et se donnaient des prises sur elles-mêmes. Dès lors, afin d’être en mesure de mieux appréhender la constitution historique de certaines formes d’action et certains schèmes de raisonnement - dont plus notamment ceux qui sous-tendent le déploiement d’une NGP - nous étions d’avis qu’il était nécessaire de faire crédit à ces institutions de capacités critiques et d’une propension à se renouveler en fonction d’une réalité donnée (Boltanski & Thévenot, 1991 ; Boltanski, 2009 ; Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999 ; Barthe & al. 2013 ; Lemieux, 2018).

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4. PRESENTATION DES INSTITUTIONS

4.1. L’Hospice général

C’est en 1535, après un vote réunissant tous les citoyens et citoyennes genevois, que l’ « Hôpital général » fût fondé. A cette époque, son rôle est d’apporter une aide matérielle ou financière aux mendiant.e.s, aux orphelin.e.s, aux personnes âgées, aux malades, aux veuves et aux handicapés (Site de l’HG4). Jusqu’à la Constitution de 1847, les personnes qui reçoivent cette aide restent cependant privées de droits (Site de l’HG). En effet, c’est à cette période que le politicien genevois James Fazy revendique une distribution de l’aide par une administration publique de sorte que, peu à peu, la charité chrétienne laisse place à une « charité légale » (Site de l’HG). Puis, par la loi constitutionnelle du 27 septembre 1868 l’Hospice général est créé (Site de l’HG) et l’assistance devient centralisée dans le but que la prise en charge devienne « plus juste et égalitaire » (Site de l’HG). En 1901, une nouvelle loi sur l’assistance est votée et l’action sociale est séparée de l’action médicale. En 1945, à la fin de la deuxième Guerre mondiale, naît la première réforme sur l’extension des lois sur l’assistance publique et la notion de

« minimum vital » est instaurée (Site de l’Histoire de la sécurité sociale5). La séparation entre l’Église et l’État accompagne ces évolutions, même si l’Église réformée joue encore un rôle majeur jusqu’à la fin du XX siècle (Site de l’HG). L’aide sociale, désormais reconnue comme un droit, va alors s’articuler autour d’une instance décisionnelle (autorité sociale) et d’un organe exécutif (service social). Si, par le passé, l’aide reposait essentiellement sur des dons privés, elle devient financée par les impôts communaux et cantonaux (Site de l’Histoire de la sécurité sociale).

En 1981, la loi genevoise sur l’assistance publique (LAP) entre en vigueur, établissant les principes et l’organisation de l’aide sociale (Site de l’HG). Celle-ci précise que l’Hospice général est désormais seul organe chargé de l’assistance auprès des genevois.e.s, des confédéré.e.s et des étranger.ère.s6 (Site de l’HG). A noter qu’à de nombreuses occasions, la loi est modifiée dans le but d’« adapter les prestations à l’évolution du contexte social et économique » (Site de l’HG.). L’année 1995 est notamment marquée par l’entrée en vigueur de la loi sur les prestations cantonales accordées aux chômeurs et chômeuses en fin de droit (LRMCAS). Puis, en mars 2007, le Grand Conseil approuve la loi sur l’aide sociale individuelle (LASI) qui remplace la loi sur l’assistance publique. Il ne s’agit plus d’assister mais bien d’aider de manière individuelle et en fonction des capacités de chacun à se réinsérer. L’aide ne doit plus viser la rente, mais la réinsertion. Puis, en 2012, une nouvelle réforme de l’aide sociale aboutit et la Loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI) est votée au parlement. Elle vise à améliorer les chances des personnes les plus éloignées du marché de l’emploi de se réinsérer.

La loi sur l’Hospice général du 17 mars 2006 définit son statut, ses missions et son organisation. L’une des particularités de l’Hospice général est d’être un établissement autonome de droit public. Il est donc mandaté pour assumer le mandat de service social de l’État de Genève. Si cela fait figure de spécificité c’est que, généralement, dans la plupart des autres cantons, les services d’action sociale sont des services d’État. Bien évidemment, dans les faits, cette autonomie est toute relative puisque l’institution est soumise, comme cela est spécifié dans la loi, à la « haute surveillance du conseil d’État » (LGH, Art.

4 Récupéré le 10.11.2017 de : https://www.hospicegeneral.ch/fr/notre-histoire

5 Récupéré le 10.11.2017 de : https://www.histoiredelasecuritesociale.ch/themes/assurances-sociales-etat-social- et-securite-sociale/

6 Étranger.ère.s ayant obtenu le statut de réfugié.e (réfugié.e statutaire).

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5 al. 1). Plus concrètement, cela signifie que l’Hospice général est placé sous la responsabilité directe d’un conseil d’administration constitué de personnes nommées par le Conseil d’État et par le Grand Conseil7. Il est le « pouvoir supérieur » (Site de l’HG) de l’institution et c’est lui qui définit la

« stratégie de mise en œuvre des objectifs fixés par le mandat de prestation » (Site de l’HG). A cet effet, le Conseil d’État reçoit « les tableaux de bords et les indicateurs définis dans le mandat de prestations » (LGH, Art. 5 al. 3). Le Conseil d’administration est partiellement renouvelé tous les quatre ans.

La direction de l’institution, quant à elle, est nommée par le conseil d’administration. Au niveau opérationnel, la direction est l’organe dirigeant et exécutif de l’institution. Le directeur (actuellement Monsieur Christophe Girod) participe à toutes les séances du conseil d’administration et bénéficie d’une voix consultative. Le dernier organe de l’Hospice général est l’organe de révision. Il est chargé, comme son nom l’indique, de réviser les comptes de l’institution. Ses rapports sont communiqués au conseil d’administration et au Conseil d’État (LGH, Art. 22 al. 4).

Entre 1981 et aujourd’hui, le service de l’action sociale est passé de 36 à 553 collaborateurs et collaboratrices (l’effectif total de l’institution étant de 1040 employé.e.s). L’accompagnement des bénéficiaires est assuré par des AS, titulaires d’un diplôme de travailleur.se social.e, ou jugé équivalent8. Quant au budget, il passe de 12 millions de francs à 343 millions aujourd’hui (site de l’HG).

Aujourd’hui, l’Hospice général intervient auprès de 28'000 personnes, dont plus de 6000 requérant.e.s d’asile.

Les principales missions de l’Hospice général aujourd’hui sont :

• L’accompagnement social et l’aide financière aux personnes et familles sans ressources suffisantes

• L’accueil et l’intervention sociale incluant l’aide financière aux requérants d’asile et leur hébergement9

• L’aide et l’hébergement de jeunes adultes en difficulté

• La prévention et l’information sociales en faveur de toutes les catégories de la population (site de l’HG)

Les directeurs de l’Hospice général : - Guy Perrot de 1978 à 1998

- Robert Cuénod de 1998 à 2004 (quitte ses fonctions avant fin 2004, Monsieur Albert-Luc Haering est nommé directeur général ad interim)

- Bertrand Levrat de 2004 à 2013

- Christophe Girod de 2013 à aujourd’hui

7 Raison pour laquelle, dans ce travail, nous considérons l’HG comme un organe étatique, bien qu’il ne le soit pas « formellement ».

8 Il n’est donc pas rare que des personnes ayant obtenu un Bachelor ou un Master en politiques sociales, en sociologie, etc., soient engagées pour un poste d’AS.

9 L’Aide aux migrant.e.s gère pour le compte de la Confédération la prise en charge financière des requérant.e.s d'asile et des personnes admises provisoirement, attribuées au canton de Genève.

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4.2. Le Centre Social Protestant de Neuchâtel

Les centres sociaux protestants sont des services d’aide sociale privés, reconnus d’intérêt public, établis dans quatre cantons romands. C’est en 1954, que le premier CSP voit le jour à Genève. Dès le départ, le CSP de Genève se constitue en association privée à but non lucratif et indépendante de l’Église, a contrario du CSP de Neuchâtel, créé en 1963 par le Synode de l’Église réformée évangélique neuchâteloise (EREN), sous l’impulsion du pasteur André Clerc (site du CSP de Neuchâtel10). C’est en 1964 que le CSP de Neuchâtel commence officiellement son activité. En tant qu’organe de l’EREN, par lequel il exerce son ministère diaconal, le CSP « manifeste sa volonté de répondre, pour l’amour du Christ, aux détresses et aux problèmes sociaux du monde contemporain » (site du CSP). Dès sa création, le CSP s’engage à être « au service de tous ceux qui le sollicitent sans distinction de confession ou de nationalité » (site du CSP). En 2015, le CSP devient une fondation autonome de l’EREN avec laquelle il reste cependant lié (site du CSP). La Fondation est administrée par un conseil de Fondation. Trois pasteurs ont successivement été à la tête de la direction du CSP.

Depuis 2007, la direction est assurée par Pierre Borer, assistant social.

Dépositaire d’un « héritage biblique qui appelle à la justice sociale » (charte du CSP), le CSP cherche à traduire, dans ses activités, les valeurs de solidarité, de respect de la différence, de tolérance et d’équité (Charte du CSP). Depuis sa naissance, le CSP œuvre dans divers secteurs de l’action sociale (lutte contre la drogue, création de foyers pour personnes en difficulté sociales, création du Fonds cantonal de désendettement, etc. Réparti sur deux sites (à Neuchâtel et à la Chaux-de-Fond), le CSP est doté d’un secteur migration, un secteur social prévention et désendettement (anciennement appelé

« secteur social polyvalent »), mais aussi d’une permanence juridique et d’un service conjugal.

Le CSP détient également ses propres boutiques de seconde main dans lesquelles différents types d’objets (mobilier, habits, livres, bibelots, etc.) sont vendus à bas prix. Un service de ramassage a été mis sur pied afin d’aller récolter les diverses marchandises auprès des particuliers.

Depuis 1997, le CSP a son propre programme d’insertion professionnelle, la « Joliette », subventionné par les Services de l’action sociale et de l’emploi de l’État de Neuchâtel. En effet, c’est à cette période que le Grand Conseil approuve une nouvelle loi sur l’action sociale « permettant à l’État de mettre en place des programmes d’activités, d’occupation et de formation, ainsi que des stages et d’autres actions susceptibles de permettre aux bénéficiaires de l’aide sociale de retrouver ou de développer leur capacité de travail et leur autonomie sociale »11 (LASoc, art. 53.1). Le CSP s’est donc proposé

10 Récupéré le 12.12.2017 de https://csp.ch/neuchatel/a-notre-sujet/historique-organigramme/

11 En tenant compte du fait que le CSP est un organisme privé et donc indépendant de l’État, nous n’allons pas revenir, comme au chapitre précédent, sur l’historique de l’aide sociale du canton de Neuchâtel. Nous pouvons tout de même signifier que les différentes évolutions entre les différents cantons en matière de politiques sociales sont relativement similaires, et se déroulent dans les mêmes périodes. On notera également que cette « proximité entre secteur public et secteur privé » (Giauque, 2017, p.8) est typique de la situation helvétique. Il en résulte ainsi des situations organisationnelles hybrides, où s’entremêlent caractéristiques privées et publiques (p.8).

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d’étendre son activité en prenant en charge le « secteur occupation et emploi » (site de la Joliette12) devenu depuis le « secteur insertion » (site de la Joliette). Non loin de la ville de Neuchâtel, la Joliette accueille des personnes sans emploi au bénéficie de l’aide sociale, de l’assurance chômage, mais également des réfugiés statutaires (site de la Joliette).

Les financements du CSP sont divers et proviennent aussi bien de dons et de legs privés, de l’Église réformée évangélique neuchâteloise et des paroisses, de subventions de l’État et des communes, d’indemnisation de l’État pour le travail effectué auprès des réfugiés, ainsi que des ventes réalisées dans ses boutiques de seconde main.

Répartis entre les différents secteurs, 50 collaborateurs et collaboratrices travaillent au CSP. Ils exercent aussi bien les métiers d’AS, conseiller.ère conjugal, juriste, coach en insertion, maître.sse socio-professionnel, etc., s’ajoute également le personnel administratif et la direction.

Les directeurs du CSP

- Pasteur André Clerc de 1963 à 1976 - Pasteur Francis Berthoud de 1977 à 2000 - Pasteur François Dubois de 2001 à 2006 - Pierre Borer de 2007 à aujourd’hui

4.3. [Des] institutions du travail social

Comme le relève Luc Boltanski, la notion d’institution occupe une position quelque peu « étrange », en sociologie, car tout en étant un concept fondateur de la discipline - l’« un de ceux dont il est presque impossible de faire abstraction » - (Boltanski, 2009, p.85), il fait rarement l’objet d’une véritable tentative de définition, tant il semble « aller de soi » (p.85). Ainsi, l’usage qu’en fait la sociologie s’avère généralement aussi vaste qu’indéterminé. Tantôt, l’institutionnel serait le premier marqueur de tout ce qui renvoie aux « faits sociaux », et cela en opposition « aux faits naturels » (p.85). Ces approches à la « tonalité durkheimienne » (Tourney, 2011, p.6), appréhendent alors l’« institution » comme « une forme sociale établie, fonctionnant de façon régulière et dont on présume qu’elle répond à une demande collective particulière » (p.6).

D’autres fois on l’assimile aux dispositifs étatiques dont la légitimé repose en dernier lieu sur l’État.

L’institution est alors définie comme étant celle qui pose le cadre et les règles, permettant ainsi de contenir et d’endiguer la violence (Boltanski, 2009, p.85). Tantôt l’institution peut aussi uniquement désigner un objet empirique « inscrit dans le monde des choses » (p.86), ou encore faire référence à ce qui est « durable » en opposition à ce qui est contingent et mouvant (p.86). Finalement, on peut aussi reconnaître l’institution « totale », comme chez Goffman, qui met au premier plan les contraintes en jeu dans des lieux d’enfermement (Boltanski, 2009, p.86, en référence à Goffman, 1961).

Or, comme l’évoque Boltanski, les différents programmes sociologiques existants, bien qu'attribuant une définition et une place différente à la notion d’institution, lui confère le plus souvent une « valeur négative » (p.86). Dans le registre de la sociologie critique, d’inspiration structuraliste notamment, la tendance consiste à décrire essentiellement les institutions « sous le rapport des effets de domination qu’elles exercent » (p.86), généralement en « dévoilant » (Lemieux, 2018) les mécanismes dissimulés et les calculs, plus ou moins inconscients, (Barth & al., 2013) qui génèrent de tels effets. D’ailleurs, explique Boltanski, la sociologie critique se présente surtout comme une critique des institutions

12 Récupéré le 12.12.2917 de http://joliette.ch/historique/

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(Boltanski, 2009, p.86) soucieuse de mettre à jour les instruments de domination de ces dernières, s’éloignant, en passant, de la vision durkheimienne des institutions.

Dans cette recherche, nous avons pour notre part décidé de mobiliser l’appellation « institutions du travail social » pour qualifier tous les types d’organes (services étatiques, associations, fondations privées) dotés d’un « programme institutionnel »13 (Dubet, 2002) dirigé vers un public défini selon des critères variés, et ayant généralement pour point commun celui d’être touché par une ou plusieurs formes de vulnérabilité (précarité, maladie, chômage, exclusion sociale, déficit d’intégration, etc.). Il ne nous semble en effet pas véritablement utile d’opter pour l’une des définitions précitées (toutes valables en soit qui plus est) d’autant plus si l’on considère l’inéluctable difficulté à « problématiser les frontières de l’institution » (Tourney, 2011, p.5). Moins que les institutions en tant que telles, c’est donc davantage les processus d’« institutionnalisation » et de « réinstitutionnalisation », c’est-à-dire le rapport instituant/institué, qui va nous intéresser.

Pour aller dans ce sens, nous avons dès lors décidé d’aborder nos deux institutions en tant que

« monde » (Strauss, 1978 ; Becker, 1982 ; Boltanski & Thévenot, 1991). Avec nos questionnements de recherche en ligne de fond, il s’agira, pour nous, de prendre au sérieux la manière dont ces institutions, ou plus exactement les acteurs14 qui évoluent en leur sein, « définissent ce qui est important ou ce qui ne l’est pas » (Lemieux, 2018, p.19). Quelle est leur appréhension de la réalité ? Quelles sont les raisons invoquées pour modifier leur ligne institutionnelle ? Quelles sont les justifications morales avancées ? Comment contiennent-elles la possibilité de la critique ? Sans exclure, bien entendu, la possibilité qu’elles puissent elles-mêmes s’indigner devant certaines décisions politiques.

Bien évidemment, cette posture nous oblige d’ores et déjà à renoncer à l’idée selon laquelle les institutions du travail social auraient une « face cachée » qu’il s’agirait pour nous de révéler (Boltanski

& Thévenot, 1991 ; Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999 ; Hardy, 2014 ; Nachi, 2013 ; Lemieux, 2018).

Dans le souci d’aborder nos deux institutions dans toute leur complexité, les apports théoriques élaborés par le courant pragmatique français nous sont dès lors apparus fort intéressants à mobiliser.

En effet, l’une des visées de cette « école » sociologique est de proposer une approche qui permette de ne pas réduire la « diversité des constructions » en les inscrivant dans des « oppositions fondamentales » (Thévenot & Boltanski, 1991, p.39). Attentive à ne pas nier le rôle central que joue le pluralisme dans la manière dont s’organisent nos sociétés, tout comme l’« indétermination relative dans la reproduction de l’ordre sociale » (Lemieux, 2011, p.1), cette sociologie nous semble être une voie particulièrement féconde. Considérant notre volonté d’appréhender nos deux institutions en tant que « monde commun », cela tout en tâchant de saisir les multiples principes de justice sur lesquels celles-ci s'arc-boutent, nous avons naturellement décidé de nous appuyer sur l’ouvrage co-écrit par Boltanski & Thévenot, De la Justification (1991).

13 Ce programme institutionnel est défini par Dubet comme « le processus social qui transforme des valeurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d’un travail professionnel spécifique et organisé » (2002, p.24).

14 Car n’oublions pas que ce sont les « individus qui marchent, parlent et agissent » qui sont, avant tout, l’« incarnation concrète de l’institution » (Ravon, 2015, p.25).

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5. CADRE THEORIQUE

5.1. La perspective des économies de la grandeur pour penser les institutions du travail social

Comme d’ores et déjà formulé, notre recherche est marquée par deux soucis. Le premier étant celui de parvenir à dépasser les analyses qui se centrent essentiellement sur la critique et, le second, celui d’appréhender nos deux institutions dans toutes leurs complexités. Devant ce programme ambitieux, et pour satisfaire à de telles exigences, nous avons donc décidé d’inscrire notre réflexion dans les sillons de la sociologie dite « pragmatique » (Boltanski & Thévenot, 1991), parfois aussi appelée « sociologie des épreuves » (Lemieux).

De la justification (1991), co-écrit par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, est généralement désigné comme étant l’ouvrage qui a inauguré « le geste de la sociologie pragmatique française » (Breviglieri

& Stavo-Debauge, 1999, p.2). Le retentissement de ce « nouveau style » sociologique s’est fait entendre dans des domaines d’études très variés (économie sociale, politiques publiques, formes organisationnelles, activités techniques, mouvements militants, formes de la critique sociale, etc.

(Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999)).

Cette école sociologique se présente comme une voie heuristique en cela qu’elle renonce, dans sa démarche analytique, aux notions classiques de la discipline telles que les agents, les classes sociales, les normes, les ouvriers, les cadres, les femmes, etc. (Boltanski & Thévenot, 1991, p.11). Il n’est évidemment pas question d’exclure ces catégories, mais plutôt de s’intéresser aux contextes et aux circonstances où leur usage s’inscrit (Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999). Partant du constat que nos sociétés complexes reposent sur une « pluralité des modes d’évaluations légitimes ou de formes de jugement » (Affichard, 1995, p.17), les auteurs développent un modèle visant à mieux appréhender

« les moments de disputes, de conflits et de controverses publiques où les personnes mettent en œuvre des critiques ou des justifications prétendant à une validité générale » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999, p.7). Ils ambitionnent ainsi « d’envisager à la fois la genèse et la pluralité des outils conventionnels qui servent de base aux activités humaines » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999, p.7). Leur approche vise alors à rendre plus explicite la compréhension des phénomènes collectifs et de leurs « fondements politiques et moraux »15 (p.7) tout en rendant mieux saisissable les diverses figures du compromis dans la réalité sociale. Cette notion de compromis constitue en effet la pierre angulaire de leur modèle qui repose sur l’idée « qu’aucune société ne possède de système unique de justification de ce qui est juste ou injuste » (Nachi, 2015, p.174, en référence à Boltanski & Thévenot, 1991).

Le modèle développé par Boltanski & Thévenot, invite alors à prendre beaucoup plus au sérieux les processus conflictuels, en ce qu’ils se présentent comme de véritables « moments d’effervescence » (Lemieux, 2007, p.192) conduisant au réaménagement de l’ordre social16. Cette approche nous invite, par la même occasion, à reconnaitre que les disputes jouent un rôle fondamental dans le cours le plus ordinaire des activités sociales et que leur description fine est nécessaire dans l’appréhension de différents « mondes » qui se confrontent, se montrent différemment ouverts sur le monde, se décomposent ou se recomposent, supposant alors des opérations plurielles de (re)qualification de la réalité.

15 Notamment lorsque ces derniers ne vont « plus de soi », qu’ils sont « mis à l’épreuve » (p.7) et que les coordinations entre les personnes sont mises à mal (Boltanski & Thévenot, 1991).

16 Autrement dit comme « des occasions pour les acteurs sociaux de remettre en question certains rapports de force et certaines croyances jusqu’alors instituées, de redistribuer les « grandeurs » et positions de pouvoir, et d’inventer de nouveaux dispositifs organisationnels et techniques appelés à contraindre différemment leurs futurs relations » (Lemieux, 2007, p.192).

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5.2. Notions clés pour l’analyse des « mondes communs »

Pour les auteurs, il existe donc plusieurs ordres de valeurs impliquant chacun « une forme spécifique de faire des équivalences » (p.174). En l’occurrence, ils font ressortir six principes de justices légitimes (principes supérieur communs) se référant chacun à une conception de la justice dans chacune des « cités » (industrielle, domestique, marchande, inspirée, civique et de l’opinion) et sur lesquelles les personnes prennent appui pour formuler leurs critiques ou leurs justifications (Boltanski

& Thévenot, 1991). Commençons par présenter quelques-uns de leurs concepts clés, puis nous présenterons les six cités.

Principe supérieur commun

Selon les auteurs, chacune des « cités » renvoie à six principes supérieurs communs auxquels les individus (dans notre société occidentale) ont le plus souvent recours pour « asseoir un accord ou soutenir un litige » (Boltanski & Thévenot, 1991, p.92). Ceux-ci sont issus de notre tradition de philosophie politique17 qui a développé, selon les cas, une vision différente de « ce qui s’entend être le juste et le bien dans la cité » (Breviglieri & Stavo-Debauge, 1999, p.8). Ces principes, tous régis par une grammaire commune, sont tous susceptibles d’établir des « ordres de grandeurs », d’effectuer des hiérarchies entre les êtres (humains, objets) en situation et ainsi de donner un « étalons de mesure lors des disputes et des conflits sociaux » (p.8). Ils permettent aux individus qui les mobilisent de dépasser la singularité de leur situation en faisant ce que les auteurs nomment des « équivalences », en l’occurrence en se mettant d’accord sur un principe plus fondamental pour parvenir à un accord sur l’ordre des grandeurs.

Dans les situations où les individus s’en réfèrent à un principe supérieur qui n’est plus commun, ceux- ci sortent du système d’équivalence. Pour que le monde social puisse dès lors s’organiser, et les individus s’accorder, et cela conformément au principe supérieur d’une cité, ceux-ci vont devoir relativiser d’autres principes supérieurs. En effet, les principes supérieurs sont irréductiblement incompatibles entre eux. Dès lors, pour que se tissent des compromis, les individus seront nécessairement amenés à réviser leur jugement et le principe qui le sous-tend (c-à-d hiérarchiser18 un ordre pour clore la dispute, le désaccord). Cet élément est central dans la perspective adoptée par nos deux auteurs qui entendent mieux rendre compte du pluralisme qui caractérise nos sociétés modernes.

État de grandeur

L’état de grandeur définit ce qui est « grand » ou « petit » dans l’une des cités. Pour les auteurs, les « grands » sont « garants du principe supérieur commun, ils servent de repère et contribuent à la coordination des actions des autres ». (Boltanski et Thévenot, 1991, p.177). A l’intérieur des cités ou

« mondes », l’« état de grandeur »19 repose sur des « épreuves de grandeur » qui permettent d’attribuer les états. « La grandeur renvoie à tout ce qui est susceptible de plus et de moins. Elle est un principe d’évaluation dont on se sert pour établir des classements, catégorisations, taxinomies, c’est-à-dire un ordre entre les êtres » (Nachi, 2013, p.101).

17 Tout le propos de Boltanski & Thévenot étant bien de montrer de quelle façon « les contraintes qui pèsent sur les constructions d’ordre entre des êtres humaines concernent tout autant les philosophes politiques que les gens qui cherchent à s’accorder en pratique » (1991, p.85).

18 En cela les auteurs montrent combien le fait de hiérarchiser, entre les différents ordres, est nécessaire pour que nos sociétés ne basculent pas dans l’anarchie.

19 « Les épreuves modèles sont des situations à l’occasion desquelles se révèle la grandeur des personnes et des choses. Un désaccord sur une grandeur ne peut se résoudre que par le passage d’une épreuve sur laquelle les jugements puissent converger. Ce qui suppose que soit écarté le risque d’interférence avec des grandeurs d’autres mondes » (Boltanski & Chiapello, 2011, p.202).

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Rien ni personne n’est de ce fait a priori grand ou petit, aucun des états n’étant définitif, ceux-ci pouvant toujours être remis en jeu lors de nouvelles épreuves. Notons que chaque modèle décrit sous la forme d’un monde « pur » n’a d’existence que théorique. Dans les situations quotidiennes, chaque personne doit affronter des situations relevant de mondes distincts.

Lorsque éclate une dispute20, c’est donc précisément parce qu’il y « désaccord sur les grandeurs des personnes » (p.168) et donc sur le caractère plus ou moins juste de leur distribution en présence. Les personnes engagées dans le conflit (prenant alors le caractère d’épreuve) vont émettre une contestation quant au bon ordonnancement de la situation, en l’occurrence en réclamant le réajustement des grandeurs (p.169).

« La scène de litige se noue alors autours de la mise en évidence d’un défaut de grandeur, et donc d’une injustice ou d’un manque de justesse dans un agencement […] » De ce défaut résulte alors une discordance telle une querelle dans le monde domestique, un conflit social dans le monde civique, une panne dans le monde industriel, etc. (p.169). « La défaillance des personnes se manifeste lorsqu’elles ne sont pas à la hauteur, qu’elles ne mettent pas en valeur les objets au mieux de leurs grandeurs » (p.170).

Pour que les justifications livrées par les individus soient considérées, ceux-ci doivent cependant parvenir à opérer une montée en généralité21, c’est-à-dire qu’ils doivent cesser de défendre leur cas unique pour soutenir des arguments plus généraux et, cela, en se référant à une conception particulière de la justice et du bien commun. Autrement dit ; « il s’agit d’un effort accompli pour mettre en équivalence ce qui vous arrive – votre cas singulier – et ce qui arrive, ou est censé arriver, à tout un chacun, en toute généralité » (Lemieux, 2018. p.49). La montée en généralité, et la définition de ce qui est « grand », va donc dépendre de la définition du bien commun rattachée à l’une des cités (Boltanski

& Thévenot).

Formule d’investissement

Selon nos auteurs, la formule d’investissement est « une condition majeure d’équilibre de la cité » (p.179), en cela qu’elle permet d’accepter les hiérarchies comme étant juste, du fait qu’un lien puisse être établi entre l’état de grand et les sacrifices qu’il a nécessités. C’est par cet investissement, alors, qu’il est possible de justifier des inégalités entre l’état de grand et l’état de petit.

Commune dignité

L’une des raisons pour lesquelles les personnes acceptent qu’il y ait des hiérarchies de valeurs (ordres de grandeur) est qu’elles auraient toutes pu, en théorie, accéder à l’état de grand. Autrement dit on reconnaît aux humaines une égale capacité d’accès à la grandeur, ou comme le disent les auteurs ; une

« capacité commune à s’élever dans le bien commun » (p.178). Par contre, dans des situations où l’accès à la grandeur est impossible, il devient plus difficile de considérer comme juste le confinement à l’état de petit tandis que d’autres sont grands.

20 A noter que les auteurs font la distinction entre les « disputes en violence » et les « disputes en justice ». Dans le premier cas, il s’agit d’une situation « sans foi ni loi » où les personnes ne cherchent pas de justification et basculent dans le pur rapport de force. Dans le deuxième cas, les personnes ou les groupes cherchent à justifier leur point de vue publiquement de manière équitable. C’est le principe d’une justice où tout le monde a le droit d’être entendu et jugé sur des valeurs universelles. Chacun des partis fait alors appel à un argumentaire général.

Pour cela, il faut que les personnes prises dans la dispute fassent référence à un ou plusieurs principes supérieurs communs (Boltanski & Thévenot, 1991). Comprenons : Principe = conception universelle. Supérieur = supérieur à la dispute, au-delà d’une situation particulière. Commun = commune aux personnes prises dans la dispute et au public.

21 Indispensable pour que les individus parviennent à politiser les rapports sociaux (Boltanski & Thévenot, 1991).

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Commune humanité

Bien qu’il existe des inégalités à l’intérieur de chacun des ordres de valeurs de chacune des cités dans lesquelles s’accordent les membres, chacun est reconnu comme autant humain que l’autre (exigence de commune humanité), impliquant que chacun a droit à un égal respect, qu’il soit grand ou petit. Il en découle également une exigence d’« ordre sur cette humanité » (Boltanski & Thévenot, 1990, p.101), révélant le caractère antagonique de ces deux exigences. Elles nous permettent pourtant de saisir qu’il est possible d’avoir des ordres de valeurs qui hiérarchisent les gens, les choses, les situations, etc., sans que cela créer des inégalités immorales. A ce titre, les modèles esclavagistes, d’un ordre eugénique, ou de castes ne sont pas compatibles avec l’exigence de commune dignité) (p.97).

Épreuve modèle

L’épreuve modèle, selon les auteurs, « est une situation qui se tient, préparée pour l’épreuve, dont l’issue est donc incertaine, et dans laquelle un dispositif pur, particulièrement consistant, se trouve engagé » (Boltanski & Thévenot, 1991, p.181). La notion d’épreuve est absolument centrale dans la perspective des économies de la grandeur, en cela qu’elle oblige à considérer le monde social comme étant « toujours en train de se faire » (Lemieux, 2018, p.38). Ainsi, la notion d’épreuve permet de souligner l’importance de considérer l’irréductible part d’incertitude (sur les grandeurs) en jeu au cœur des activités humaines, tout en amenant à ne pas « préjuger à l’avance de la victoire ou de l’échec de certains acteurs » (p.38). Le concept d’épreuve est, en cela, régit par un principe de symétrie et d’indétermination relative (Lemieux, 2018) qui invite à se dégager des explications causales (qui justement sont mobilisées par les acteurs au cours des disputes et des débats). Ainsi donc, « aucune situation, aussi pure soit-elle, ne peut éliminer à jamais la diversité des contingences dont le bruissement se maintient aux confins de ce qui est en ordre » (Boltanski & Thévenot, 1991, p.171).

Par conséquent, c’est en passant par un travail de reconstruction de toutes les épreuves, qu’il est alors possible de rendre les asymétries saillantes (Nachi, 2013, p.31).

5.3. Les six Cités

Nous l’avons compris, le modèle des « cités » est l’un des concepts centraux des économies de la grandeur. Celui-ci vise, en effet, à spécifier le type d’opérations auxquelles se livrent les acteurs lorsqu’ils sont confrontés à un impératif de justification au cours des disputes qui les opposent.

(Boltanski & Chiapello, 1998, p.63). On comprend donc que l’exigence de justification est

« indissociablement liée à la possibilité de la critique » (p.63). Le modèle des cités se présente ainsi comme une réponse « au problème posé par la pluralité des principes d’accord disponibles », excluant de ce fait l’utopie d’un éden (Boltanski & Thévenot, 1991, p.101).

Ces cités, se réfèrent toutes à une conception de la justice et sont régies par une grammaire commune.

La Cité industrielle

Pour l’élaboration de la cité industrielle, les auteurs se sont appuyés sur l’œuvre de Saint-Simon.

Dans ce « monde », fondé sur l’objectivité des choses, les objets techniques et les méthodes scientifiques sont placés au centre (Boltanski & Thévenot, 1991, p.252). Le principe supérieur correspond à l’efficacité et au rendement22. L’épreuve notoire de la cité s’incarne par la vérification que les choses fonctionnent (p.261). Cette cité est donc orientée par un impératif de productivité (bien matériel), d’organisation, d’opérationnalisation et d’investissement vers l’avenir (p.254). L’état de

22 Tout comme le font les deux auteurs, les mots directement tirés des ouvrages de référence pour l’établissement des cités, et qui se rapportent aux différentes grammaires du politique, sont mis en italique.

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