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À la recherche du travail social

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Academic year: 2022

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À la recherche

du travail social

L’accueil des mineurs isolés étrangers en France heurte les valeurs du travail social. Alors que des professionnels acceptent de pratiquer un contrôle social lors d’évaluations très contestables, l’accompagnement reste majoritairement

dévolu aux citoyens bénévoles et aux organisations humanitaires. Précarisation et manque de réflexion éthique

entretiennent une situation critique pour les jeunes.

MINEURS ISOLÉS

C

OMBIEN sont-ils, ces éducateurs chargés de l’évaluation des mineurs isolés étrangers, à quitter leur poste avant de sombrer dans le burn-out ou la dépression ? Combien sont-ils à le conserver, malgré eux, parce que la retraite est proche, ou que la vie deviendrait bien difficile sans cet emploi ? Impossible à savoir. Rozenn Le Berre, qui fut à leur place pendant un an et demi à Brest avant de jeter l’éponge et d’écrire un livre-témoi- gnage, ne les juge pas (1). « J’ai pu partir car je n’ai pas d’enfant, pas de crédit, je suis diplômée, je peux rebondir », explique-t-elle. Son témoignage est pré-

cieux, rare. Les services chargés de l’évaluation ne sont pas très prompts à répondre sur l’éthique, ni à décrire cette mission totalement paradoxale consis- tant à « devoir mettre à l’abri des jeunes d’un côté, et les exclure de l’autre sur la base de critères hau- tement contestables ». À légitimer leur rôle dans un processus d’évaluation qui se durcit, laissant aux citoyens, bénévoles, le soin de s’organiser au jour le jour pour accompagner ces jeunes.

Rozenn Le Berre a quitté ce système en 2015. À l’époque, ce « tri » des mineurs n’attirait pas autant l’attention. Aujourd’hui, pourquoi les travailleurs

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sociaux acceptent-il encore d’y participer ? Pourquoi ne le dénoncent-ils pas collectivement ? « C’est une bonne question. Moi, j’ai mis du temps à réaliser que ce qu’on me demandait n’était pas en accord avec les valeurs du travail social. Parce qu’on s’installe dans une routine, un quotidien dans lequel nous sommes en permanence débordés et qu’on ne peut pas prendre de recul. Et puis, quand nous sommes à l’intérieur, nous gardons une marge de manœuvre qui peut per- mettre de faire pression pour des mises à l’abri. Par éthique aussi, paradoxalement. Nous cherchons à être bienveillants et accueillants, et nous pensons que nous le serons toujours plus qu’un service admi- nistratif. » Rozenn Le Berre aurait bien aimé, dans son questionnement, pouvoir s’appuyer sur le com- muniqué de l’Association nationale des assistants sociaux (ANAS) publié en novembre 2017. Comme un cri lancé après un long silence, l’ANAS y affirme que le dispositif d’évaluation « est inacceptable d’un point de vue éthique et déontologique, tant dans la façon dont il a été pensé que dans le contexte dans lequel il se déroule dans les faits ».

Contrôle social

Utilisation des tests osseux, maintien à la rue, violence de l’évaluation sociale, parfois déléguée par les dépar- tements à des associations gestionnaires, et surtout

« confusion entre accompagnement social et contrôle social » : « l’évaluation à des fins de contrôle envers les jeunes se déclarant mineurs non accompagnés n’est com-

patible ni avec la place ni avec la fonction d’assistant de service social », insiste l’ANAS. « Nous avons tardé à réagir, c’est vrai, reconnaît Marc Solé, animateur de la commission « protection de l’enfance » de l’ANAS. En interne, nous avons dû renouveler les personnes réfé- rentes sur la protection de l’enfance et nous réorganiser.

Mais nous avions été interpellés depuis plusieurs mois par des collègues travaillant dans ces plateformes et qui avaient beaucoup de difficultés à se positionner, à être dans un accompagnement sans pour autant répondre à ce contrôle. » Encore plus qu’à les soutenir, le com- muniqué vise à permettre aux professionnels de s’en prévaloir pour refuser cette mission. Et à récuser les arguments de certains travailleurs sociaux « évalua- teurs » qui, pour justifier le « tri », affirment que « cer- tains jeunes se déclarent mineurs pour bénéficier d’une protection ». Que certains le fassent, après un parcours d’exil jalonné d’horreurs, et pour ne pas subir d’autres violences, comment ne pas le comprendre ?

À Poitiers, l’évaluation est faite par des travailleurs sociaux du pôle MNA du département de la Vienne.

« Certains ont témoigné de leur état de souffrance, en disant qu’il n’avaient pas fait des études pour cela, raconte Chantal Bernard, bénévole à l’association Min’de rien, qui accompagne une centaine de MIE.

Leur relation avec nous est ambivalente : nous avons l’impression de les gêner, comme si nous étions en concurrence, notamment quand nos accompagne- ments sont des réussites, parce que c’est leur mission au départ. D’un autre côté, ils sont contents de sa- voir que lorsqu’un jeune est remis à la rue, il y aura

Paris : Dans un jardin public du 20e arrondissement, des citoyens solidaires organisent tous les jeudis et les vendredis, parfois le week-end, des distributions de repas aux jeunes exilés.

PHOTOS AGATHE NADIMI

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quelqu’un derrière pour l’accompagner. » Elle raconte un durcissement progressif des évaluations et des décisions de justice, se souvient d’un cadre de la di- rection de l’enfance « qui essayait de bien faire son boulot » mais qui aujourd’hui « fait partie des acteurs qui produisent de la souffrance ». Pour le reste, l’ac- compagnement vers l’hébergement ou l’insertion pro- fessionnelle, Chantal Bernard estime que « ce sont des travailleurs sociaux qui devraient le faire », là où les citoyens bénévoles, qui à de nombreux endroits frôlent l’épuisement, se débrouillent.

Précarité

Car partout, à Paris, Nantes, Poitiers ou encore Mar- seille, collectifs de bénévoles d’un côté et organisations humanitaires de l’autre ont pris le relais. À Caen, Mé- decins du monde a ouvert une plateforme « mineurs isolés » en octobre 2016 pour accompagner ceux qui ne sont pas reconnus mineurs : diagnostic de situation sociale et médicale, domiciliation, accès aux soins, à la scolarité, à l’hébergement. Une intervention hu-

E

n 2017, environ 25 000 jeunes pourraient être arrivés en France seuls, selon des estimations, contre 13 000 en 2016. Ce sont es- sentiellement des garçons, venant majoritairement d’Afrique. Un peu plus de la moitié sont reconnus mineurs à l’issue de leur évaluation – une proportion très variable selon les départements – qui vise à dé- terminer leur âge grâce à leurs documents administratifs et leur récit.

Si celui-ci paraît incohérent, si la validité des documents est contes- tée par l’administration française, des tests osseux, très contestés, peuvent être pratiqués. Épaulés par des associations, les jeunes non reconnus mineurs peuvent aller en justice pour faire reconnaître leur minorité. Aujourd’hui, bénévoles et juristes sont très inquiets face au souhait du premier ministre de confier à l’État cette évaluation, car cela les ferait sortir du giron de la protection de l’enfance. Le Défenseur des droits craint également la création d’un « dispositif dérogatoire  au droit commun, qui tendrait à considérer ces jeunes d’abord comme  des étrangers, avant d’être des enfants à protéger ».

Un système à bout de souffle

©MANUELA KLUG

Le 27 septembre 2017, les collectifs parisiens appelaient à un rassemblement devant l’Hôtel de Ville pour exiger la prise en charge, l’hébergement et la scolarité des jeunes isolés étrangers.

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manitaire devenue nécessaire pour tous ceux que le système remet à la rue. « L’accompagnement des mi- neurs actuellement, c’est la course au moins disant, le low cost du social, avec des prix de journée très bas et toujours une association pour prendre le marché. La convention 66, on l’oublie ! », décrit Nicolas Martine, travailleur social à la plateforme. « Pour l’évaluation et l’accompagnement, on fait appel à des gens qui ne sont pas issus de formation en travail social, ou dans une situation administrative précaire et qui ont be- soin de travailler, décrit Renaud Mandel, travailleur social dans un service d’accueil d’urgence du Val-de- Marne. Que les organisations représentatives et les syndicats ne soient pas plus mobilisés m’interroge. Il est de moins en moins demandé aux jeunes généra- tions de se poser des questions, mais d’être des tech- niciens du social. Et nous sommes plus dépendants de financements que de projets. »

Pour « refuser ce vide », dénoncer l’arrêt des prises en charge de jeunes reconnus mineurs une fois qu’ils ont atteint la majorité, le Mouvement contre la discrimi- nation et pour la sauvegarde des jeunes (MDJS), un

TÉMOIGNAGE

D’éducatrice à éducatrice « humanitaire »

«L

es mineurs ne sont pas reconnus par les dispositifs d’évaluation pa- risiens, qui sont archi-saturés : nous les aidons à faire valoir leurs droits, car par- fois ils sont refoulés sans même être éva- lués. Nous faisons beaucoup d’informa- tion et d’orientation car c’est ce qui leur manque cruellement. Les jeunes sont complètement perdus, ne savent pas à quoi ils ont droit.

Ceux qui sont intégrés en protection de l’enfance vivent dans des hôtels, com- plètement livrés à eux-mêmes, avec des tickets restau pour aller manger des ke- babs et c’est tout. Leur suivi par des édu- cateurs est minimal, car on ne donne pas

à ces derniers suffisamment de moyens pour faire mieux. J’ai vu des profession- nels qui s’investissaient au-delà de ce qu’on leur demandait et d’autres qui se contentaient d’appliquer les conditions de leur contrat de travail.

Turn over

En général les travailleurs sociaux em- bauchés par des structures gérées par des bailleurs sociaux sont soumis à des contrats précaires. Ils ne s’inscrivent pas dans une dynamique de travail réflexif sur leur pratique. Cela explique qu’il n’y ait pas d’élan collectif sur le sujet. J’ai vu tourner un nombre très important d’éducateurs sur

les mêmes dispositifs en peu de temps.

Actuellement je reprends une formation d’éducatrice spécialisée, je vais faire un stage en mobilité internationale en Grèce, avec le même public mais pour une asso- ciation anglaise.

Pour moi mon travail n’a pas de sens sans la flamme du militantisme. Je me rends compte que je suis en train de virer « édu- catrice humanitaire » plus qu’éducatrice spécialisée.

Ce qui se passe actuellement est très grave, la protection de l’enfance dans son ensemble est en train d’être bouscu- lée. C’est un public que je vais continuer à suivre intensément. »

Monitrice éducatrice, Camille Tétart a travaillé en foyer d’accueil d’urgence en protection de l’enfance, puis auprès des majeurs dans la jungle de Calais avec l’association Utopia 56. Elle est ensuite devenue

coordinatrice pour le « pôle mineurs » de l’association à Paris.

collectif de travailleurs sociaux de Seine-et-Marne, a organisé une marche entre Meaux et Melun en no- vembre dernier. « Les jeunes que nous accompagnons sortent d’un parcours migratoire synonyme de chaos et d’horreur, témoigne Frédéric Farrando, éducateur en protection de l’enfance. Il y a quinze ans, si on nous avait dit que nous n’aurions pas les moyens et le temps pour leur permettre de re-parcourir leur histoire, leur désir d’Europe, afin de la comprendre pour moins en souffrir, nous ne l’aurions pas cru car c’était la base de notre travail. » Il dénonce l’avènement d’un modèle de travail social « néo-libéral, qui nécessite d’aller vite, d’évaluer vite. L’émancipation de la parole, la capacité aux liens, le savoir être et le savoir faire : tout ce tra- vail éducatif a tendance à disparaître. » Et si certains centres de formation font de la résistance, « tout est fait pour que les jeunes professionnels arrivent avec cette conception du travail social », estime-t-il.

Lætitia Noviello

(1) De rêves et de papiers, éd. La Découverte, Janvier 2017

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J

EUNE retraitée, Catherine pensait voyager quand le monde est venu à elle. Elle vit à Stalingrad, quar- tier de Paris où se regroupent de nombreux exilés.

Hébergeuse solidaire, elle partage son F3 avec trois Maliens et un Soudanais. Tout a commencé par des maraudes sur le campement de l’avenue de Flandre.

Elle y a appris la permanence d’accès aux soins de santé, les consultations de Médecins du monde, l’aide médicale d’État. Son premier invité a été un vieux Soudanais diabétique, en rupture de traitement de- puis des mois. « Je l’ai accompagné à l’hôpital. Il est ressorti avec un énorme sac d’insuline. Là, j’ai compris qu’il ne pourrait pas se soigner en restant à la rue. » Puis, elle ouvre sa porte à une famille érythréenne, les parents avec quatre enfants dont un bébé. Depuis juillet, elle cohabite avec quatre ado- lescents. « Je ne sais pas comment ils résistent, moi je craque. Tout est orga- nisé pour faire traîner les démarches jusqu’à leurs 18 ans. L’un d’entre eux a attendu deux mois pour une radio osseuse, et finalement il ne l’a pas faite sous prétexte qu’il n’y avait pas d’inter- prète, alors qu’il parle français. C’était il y a un mois et demi, et il n’a tou- jours pas de nouvelle convocation. » Dans l’attente, le jeune navigue entre deux eaux, ni mineur, ni majeur, il n’entre dans aucun dispositif. Il dépend donc de la solidarité citoyenne.

Épuisée physiquement et moralement, Catherine rêve d’un break. Mais le froid s’installe en cette fin octobre, alors elle organise des collectes pour fournir des vêtements chauds sur les points de distribution de repas. Le vendredi midi, des femmes donnent ren- dez-vous aux jeunes dans le jardin de Belleville. Un point stratégique proche de la bibliothèque, où les

bénévoles de Paris d’Exil enseignent le français, et des bureaux du Dispositif des mineurs isolés étran- gers (Demie) géré par la Croix-Rouge. Ce jour-là, la philanthrope repère Mamadou, pieds nus dans ses sandales. Après avoir activé ses réseaux sans succès, elle décide d’acheter des baskets à dix euros. Ravi, le gamin remercie avant de reprendre son errance.

La maman de substitution poursuit ses courses dans un discount pour nourrir sa famille nombreuse. « Là, j’ai vraiment besoin de m’aérer, mais je suis embêtée parce qu’il faut que je leur trouve des places et le ré- seau d’hébergeurs solidaires est saturé. »

Cinq cents repas distribués

Le 25 octobre, Utopia 56 organise comme tous les mois un « speed dating » pour recruter de nouveaux béné- voles. Créée en janvier 2016 pour encadrer le béné- volat sur la jungle de Calais, l’association bretonne a été recrutée par le « centre humanitaire » de la Porte de la Chapelle avant de s’en désolidariser. Depuis oc- tobre 2017, elle se consacre aux exilés laissés à la rue par le « centre de tri » géré par Emmaüs. Distribu- tions de petit-déjeuners, de repas, accompagnements dans les hôpitaux, maraudes de jour pour nettoyer des lieux de vie, identifier les besoins en vêtements, couvertures ou soins… les bénévoles pallient au quo- tidien la politique gouvernementale de non accueil.

« Il peut y avoir cinq cents personnes lors d’une dis- tribution de repas, donc les collectifs nous demandent d’aider et d’encadrer, explique le coordinateur du pôle nuit. Notre objectif est de mettre les plus vulnérables à l’abri, les femmes, les mineurs, les malades. Nous les accompagnons chez des hébergeurs citoyens, ou dans deux espaces prêtés par des particuliers. »

REPORTAGE

De l’urgence humanitaire

à la lutte pour le droit

Des bénévoles pallient au quotidien la politique gouvernementale de non accueil.

Depuis 2015, des collectifs s’organisent et se professionnalisent pour répondre aux besoins primaires des exilés. Dans l’urgence humanitaire, ils oublient la démarche militante, même si le durcissement de l’État suscite des sursauts.

« Je ne sais

pas comment

ils résistent,

moi je craque. »

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Le pôle mineurs d’Utopia 56 repère les primo-arri- vants qui se retrouvent hors circuit à la porte de la Chapelle, et les accompagne dans leurs démarches juridiques quand ils ne sont pas reconnus mineurs par la plateforme d’évaluation parisienne. Un par- cours long et « semé d’arbitraire » : « Même quand tu es reconnu mineur par un juge, les services sociaux peuvent rejeter la décision. Plus rien ne m’étonne. Sans relais citoyen, ces jeunes sont livrés à eux-mêmes », confie une ancienne salariée du pôle.

Des jeunes livrés à eux-mêmes

Face à cette crise de l’accueil qui devient une crise hu- manitaire, les bénévoles gèrent l’urgence un téléphone dans chaque main. À l’origine, ce mouvement de so- lidarité émane de citoyens parisiens qui se sont dit :

« Ça se passe en bas de chez moi, c’est insupportable. »

« Au moment des campements en 2 015, il y avait plein d’initiatives individuelles, mais arriver sur un camp avec trente repas, ça ne fonctionne pas, se souvient Marie Jacob, membre de Quid’Autre, collectif de psy- chologues cliniciennes qui offre un soutien aux réfu- giés et aux bénévoles. Donc les gens se sont organi- sés via Facebook. Maintenant, ils sont hyper efficaces, lèvent des fonds, sont capables de préparer deux cents repas en deux heures ou d’héberger cent cinquante mi- neurs. Ça devrait faire réfléchir les acteurs institution- nels qui les perçoivent comme des activistes politiques, alors qu’ils sont dans l’agir. » Refusant l’impuissance face à la violence des institutions, ces bonnes volon- tés flirtent souvent avec le burn out.

Depuis 2015, Espérance Minart suit au quotidien des dizaines de mineurs. Elle en a oublié de payer son loyer et vient de se faire expulser. « Si je ralen- tis, je vais craquer. Je suis à fond sur le juridique, je prépare les dossiers pour les avocats qui n’ont sou- vent pas le temps. Et je me débrouille pour que les jeunes aient des activités, sortent de leur dossier et se rencontrent. » Elle s’emploie à faire une mise en relation entre tous les acteurs, les bénévoles, mais aussi les travailleurs sociaux. « L’assistante sociale reste le point névralgique de ce qui est fait, ou reste à faire. Pour obtenir une aide médicale d’État, c’est un passage obligatoire. Parfois, une AS appelle parce qu’elle ne connaît pas les démarches à effectuer avec un mineur isolé. Alors soit on se bat avec elle, soit on la pousse à se battre. Des éducateurs peuvent nous contacter quand l’aide sociale à l’enfance fait une main levée d’une ordonnance de placement. » Pour optimiser ces efforts, Espérance aimerait ouvrir une permanence juridique. Celles d’Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers (Adjie) sont tota- lement saturées, et des gamins attendent dès cinq heures du matin pour y accéder. Face à une adminis-

tration hors la loi, la solidarité citoyenne se substitue aux pouvoirs publics, reproduisant parfois ses dys- fonctionnements. « On fait bloc autour d’une cause et on est obligés de se professionnaliser, constate Anne- Marie du Réseau Wilson qui distribue mille petits- déjeuners tous les matins. On est en train de faire le boulot de l’État et de perdre l’aspect militant. » À Marseille, le collectif migrants 13 tente égale- ment de pallier les défaillances des pouvoirs publics concernant les besoins primaires : se loger, se vêtir, se nourrir, accéder aux droits, aux soins, à l’éduca- tion. Début novembre, l’assemblée générale hebdo- madaire sort néanmoins de la gestion de l’urgence pour réfléchir au combat politique. Trois travailleurs sociaux d’un accueil de jour sont venus se présen- ter et voir comment aider. Ils connaissent le groupe parce qu’ils lui orientent régulièrement des réfugiés laissés sans solution. Tout un symbole, des profes- sionnels en appellent aux bénévoles pour assurer le suivi des publics qu’ils rencontrent. Face aux effets pervers d’une institutionnalisation de la prise en charge citoyenne, le collectif va s’associer au Réseau éducation sans frontière, à la Cimade, à Emmaüs, à Médecins du monde… pour offrir une vitrine mé- diatique à leur lutte.

Le 21 novembre, au lendemain de la journée inter- nationale des droits de l’enfant, quarante-cinq mi- neurs non accompagnés originaires d’Afrique de l’Ouest s’installent dans l’église Saint-Ferréol situé sur le Vieux-Port. L’objectif est de mettre la pression sur Martine Vassal, présidente LR du département des Bouches-du-Rhône. « Nous sommes conscients

Des Parisiennes se mobilisent pour assurer des distributions de repas.

© MYRIAM LÉON

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que le conseil départemental est débordé et manque de moyens, mais ce n’est pas à nous de les débloquer, explique Anne Gautier de RESF. Nous ne pouvons qu’alerter et lui rappeler son devoir de prendre en charge ces mineurs qui dépendent de la loi sur la protection de l’enfance. » Trente des jeunes ont en poche une ordonnance de place- ment provisoire (OPP). Ce ju- gement est censé s’appliquer dans les 48 heures, certains restent pourtant à la rue pen- dant des semaines, voire des mois. Les lundis, mercredis et vendredis, ils peuvent se rendre à la permanence de l’Addap 13, chargée de l’accueil, de l’orientation et de l’accom- pagnement des mineurs isolés. Venu du Ghana et arrivé le 5 septembre à Marseille, Joseph en garde un souvenir amer. « L’éducatrice m’a dit qu’il fallait que j’attende trois mois, sans me dire où manger, où m’habiller, où dormir. » Le temps de vérifier la mino- rité et l’isolement, le Département dispose de vingt

et une places de mise à l’abri. Les moins de 15 ans et les filles sont prioritaires, les autres vivent chez des familles solidaires, en squat ou à la rue. Comme de nombreux MNA, Joseph dort aux alentours de la gare Saint-Charles, à la merci des réseaux de trafics et de prostitution.

Une fois informé de l’urgence de la situation, l’archevê- ché accorde son hospitalité pour une nuit. « En terme de coup médiatique, c’est du pain béni, s’amuse le len- demain matin l’un des prêtres. Maintenant, les autori- tés doivent prendre le relais. Cette opération peut être le déclic pour mobiliser les ressources nécessaires. »

Quatre jours pour trouver une solution

En attendant la réponse du Département, le quoti- dien s’organise : préparation des repas, départ pour la douche, vestiaire, ménage… L’église devient le rendez- vous des militants et des aidants, le théâtre de prises de paroles et de concertations. Les jeunes structurent leurs revendications sans distinction entre ceux ayant une OPP et les autres. En face rien de bouge, si bien que dans l’après-midi, l’un d’eux s’adresse à leur hôte :

« M. le curé, nous nous prosternons pour que vous nous aidiez à obtenir une solution. » L’archevêque de Mar- seille et président des évêques de France, Georges Pontier, prolonge l’accueil jusqu’au samedi. Mais de- vant les médias, il prévient : « Il faut que les autorités comprennent que nous ne pouvons assurer une sup- pléance éternellement. Ils ont des décisions à prendre rapidement. Quatre jours pour trouver une solution pour cinquante mineurs, ça doit être possible. » Le directeur du service mineurs isolés, David Le- monnier, vient alors proposer un hébergement entre 19 heures et 8 heures Après réflexion les jeunes re- fusent : « Nous ne sommes pas du bétail qu’on rentre à l’étable le soir et qu’on laisse en pâture la journée.

Nous voulons un foyer, un accès à l’éducation et à la santé avec des éducateurs pour nous accompagner. » Entre les militants qui reprochent à l’Addap de jouer le jeu du Département et les travailleurs sociaux, la tension est palpable. Hors micro, David Lemon- nier raconte avoir l’impression de se trouver entre l’enclume et le marteau. Visiblement, ça le motive puisque le lendemain, il améliore son offre : un foyer d’urgence de 65 places ouvert 24 heures sur 24, avec six éducateurs et un juriste. Les jeunes hommes ac- ceptent. Rendez-vous est pris pour le lendemain ma- tin. Cette fois tout entre dans l’ordre, les services sociaux relaient les citoyens. Sous couvert d’anony- mat, une éducatrice lâche : « Je suis très contente, je n’en dormais plus de n’avoir rien à leur proposer. »

Myriam Léon

Entre les militants et les travailleurs sociaux, la tension est palpable

© MYRIAM LÉON

Fin novembre, l’église Saint-Ferréol du Vieux-Port de Marseille était occupée par des mineurs isolés.

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Pourquoi vous lancez-vous dans l’organisation de l’hébergement citoyen ? — En 2017, sur les dix-huit mille arrivées en France, neuf mille mineurs isolés ont été placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance. L’action cible les jeunes déboutés de leur minorité qui font appel de la décision. Ils devraient être considérés comme mineurs jusqu’au terme du recours, mais actuellement, ni mineurs, ni adultes, ils ne sont pris dans aucun des dispositifs de l’État.

Nous souhaitons développer des plateformes d’héber- gement citoyen pour les mettre à l’abri en attendant la décision finale du tribunal. Il nous faut a minima trois mille familles d’accueil.

Comment se déroule le recrutement de ces familles ?

— Utopia 56 est mandaté pour identifier et valider des familles dans chaque région. Il faut s’assurer que le jeune ait une chambre et que la famille fasse en sorte qu’il soit scolarisé. Ce dispositif nécessite aussi de développer une solidarité qui permette à tout le monde de ne pas se sentir seul, organiser des réunions, mettre en lien les jeunes, les faire participer à des activités… On ne veut pas le faire de manière trop rapide pour s’assurer que tout se passe dans les règles. À la mi-octobre (1), nous avions 187 familles validées, 450 identifiées.

Ces jeunes ont des nombreux besoins, quel accom- pagnement allez-vous proposer ? — Nous avons ouvert à Paris un centre de jour qui va permettre à ces jeunes de comprendre leurs droits, d’y accéder et de prendre leur propre décision. Seront concernés les jeunes déboutés de la reconnaissance de leur minorité, et les jeunes en transit qui cherchent à rejoindre la Grande-Bretagne et demandent une réunification familiale. Quatre pôles seront proposés : juridique,

soin somatique, santé mentale et vie sociale. Nous allons travailler avec des associations expérimentées sur les questions juridiques. MSF va se concentrer sur l’accès au soin et l’ouverture des droits à l’aide médicale pour les étrangers.

Les ONG ont-elles vocation à se suppléer à l’Etat dans un pays riche comme la France ? — Le rôle d’une ONG est d’intervenir lorsqu’il y a un danger imminent. En l’occurrence les mineurs non accompagnés se retrouvent dans des réseaux de passeurs ou de prostitution. Si l’État ne fait pas son travail en les protégeant, c’est notre rôle d’alerter. Le seul moyen est de mettre en œuvre un programme qui nous permette d’établir des données consolidées, de faire un plaidoyer très fort et de démontrer que l’État est défaillant.

Ne risquez-vous pas de conforter la non prise en charge gouvernementale ? — Aujourd’hui, l’État évalue le coût d’un mineur isolé à 250 euros par jour. Si les organismes de prise en charge touchaient réellement cette somme, ça fonctionnerait beaucoup mieux. Dans cette expérimentation, nous voulons démontrer la faisabilité à moindre coût. L’objectif est de chiffrer le nombre de personnes qui agissent tous les jours, et risquent d’être attaquées pour délit de solidarité. Là, nous serons en mesure de dire :

« Messieurs de l’État, trouvez-vous normal que tant de familles soient obligées de faire votre travail ? » Combien de temps vous donnez-vous pour documenter ce programme ? — Pour être en mesure de démontrer avec des faits, des procédures, des données, que cela peut fonctionner, nous partons sur deux ans d’activité.

Et si nous trouvons un bon fonctionnement avec la société civile, il n’y a aucune raison que l’État ne le fasse pas. L’objectif est de montrer qu’un mineur devrait être logé et mis sous la protection de l’État, jusqu’à la fin de sa procédure d’appel, alors qu’actuel- lement il est traité à charge.

Entretien réalisé par My. L.

(1) ndlr : En décembre, l’accueil de jour parisien est mis en place mais le lien avec les hébergeurs solidaires reste à construire.

« Le rôle d’une ONG est d’intervenir quand il y a un danger imminent »

Face à la situation des mineurs non accompagnés, l’organisation

non gouvernementale lance

un programme d’hébergement citoyen.

Responsable mission France de Médecins sans frontières ENTRETIEN

Corinne Torre

Références

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