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4- Différences, similitudes réalités et artéfacts

4.1 L'attitude envers les différences

4.2.2 Variations

Une différence n'est pas une variation et vis-versa. Les variations, en ce qui concerne les différences ou les similitudes entre les sexes, représentent toute la diversité des possibilités concernant un trait particulier.

« [...] les femmes diffèrent les unes des autres, dans leurs caractéristiques psychologiques, leurs choix de vie et leurs réactions à des

13 Mis à part les différences biologiques liées à la reproduction chez les individus considérés comme

événements biologiques. En fait, les femmes, prises individuellement, font preuve de tellement de variabilité que souvent, on ne peut tirer de conclusions sur les femmes en général. [...] Nous avons souligné que les femmes étaient variées. Vous pouvez imaginer que les hommes le sont également. » (Matlin, op. cit. : 41)

Vu sous cet angle on pourrait être porté à penser que si les femmes et les hommes sont si variables au sein de leur classe sexuelle, c'est donc qu'ils peuvent avoir des attitudes similaires d'une classe à l'autre, ce qui pourrait rendre les classes caduques, un peu à la manière dont Badinter le décrit :

« Les stéréotypes de l'homme viril et de la femme féminine sont pulvérisés. Il n'y a plus de modèles obligatoires, mais une infinité de modèles possible. Chacun tient à sa particularité, à son propre dosage de féminité et de masculinité. [...] la différenciation des individus et des groupes se fait selon des clivages plus subtils que le sexe, comme, par exemple, l'âge, la culture ou la sensibilité. Cette dernière n'est d'ailleurs pas étrangère à la façon dont nous appréhendons le masculin et le féminin en nous. » (Badinter, 1986, op. cit. : 301)

Aujourd'hui, il est assez courant de lire dans les médias de masse ou d'entendre par la vox populi que chacun a un côté féminin et un côté masculin14. Ce petit côté permet entre autres d'expliquer les incongruités ou les non-conformités par rapport au modèle stéréotypé. Plus on laisse s'exprimer ce petit côté qui va à l'encontre de notre propre genre, plus on se rapproche de l'autre genre, si l'on s'en tient à une stricte logique binaire à laquelle on inclut un espace intercalaire, laissant la place au continuum allant d'un pôle à l'autre.

Mais Badinter va plus loin quand elle parle de l'humanité bisexuelle. Elle tente manifestement de faire disparaître les catégories sexuelles.

« L'humanité bisexuelle rapproche les sexes jusqu'à la plus grande ressemblance possible. Ce faisant, elle permet l'expression de toutes les différences personnelles. Elle n'est plus scindée en deux groupes hétérogènes, mais est constituée d'une multiplicité d'individualités qui à la fois se ressemblent et se distinguent par toutes sortes de nuances. » (Ibid. : 303)

Il est à noter que Badinter n'emploie pas le terme « bisexuelle » dans le sens où on l'entend généralement, soit des personnes qui ont des relations sexuelles avec des personnes des deux sexes. Badinter, emploie ce terme pour signifier l'androgynie15 de la société, le fait que les gens aient intégré en eux-mêmes de la

féminité pour les hommes, de la virilité pour les femmes, ce qui en fait selon Badinter

14 Voir à ce sujet la citation de Badinter dans la section 5.1.2. 15 Elle emploie aussi le terme d'androgynie dans son texte.

des êtres bisexuels. Le choix du terme est peut-être critiquable étant donné l'ambiguïté soulevée. Le terme de bisexué pourrait être mieux adapté. Mais à ce moment-là se pose de façon aiguë la question de la différence entre le sexe et le genre. En effet, si les gens ont intégré des attributs de l'autre sexe, cela ne les fait pas changer de sexe. En revanche, cela leur permet certainement de mélanger les genres. Un meilleur terme pourrait alors être : bigenré. Mais ce terme devrait s'appliquer aux individus et non à la société. Parce que si l'on considère la séparation des rôles de genre, alors on peut dire que la société est bigenrée, puisqu'elle sustente deux genres. Mais si une personne est bigenrée alors on peut estimer qu'elle a en elle-même certains des attributs des deux genres.

Cependant, une telle vision de ce que peuvent être les individus est dangereuse, car elle fait appel à la vision dichotomique de l'humanité. Elle s'en éloigne afin d'intégrer les deux réalités, mais toujours à partir du modèle préalable qui veut une différenciation originelle de l'humanité en deux sexes et en deux genres, avec la possibilité toujours latente, de revenir en arrière de retrouver les vrais hommes et les vraies femmes qui seraient unigenrés (ou unisexuels, unisexués).

Afin de parvenir à l'intégration de la notion de variabilité, il faut pouvoir penser à l'humanité comme à un tout, en tant qu'espèce. Et il faut aussi penser à l'espèce en tant qu'espace pour l'expression de l'individualité. Le fait que le sexe biologique donne l'idée d'une séparation primordiale entre les gens, induit l'idée d'une séparation dans les capacités, aptitudes, sentiments, qui pourrait ne pas avoir lieu d'être.

En effet, de nombreuses différences existent entre les gens, et celles-ci pourraient avoir une origine biologique, mais mis à part quelques aspects particuliers de la reproduction, il est un peu illusoire de penser que les hommes sont fondamentalement plus différents des femmes qu'ils ne sont différents entre eux (et vis-versa).

« In people, there is no question that heredity plays a large role in determining individual differences. There is so much individual variation within the sexes of human beings that there is a great deal of overlap between them. Classifying behaviors according to sex or age can therefore be quite risky. » (Mitchel, 1981 : 192)

L'ouvrage du biologiste Mitchell présente toute une gamme de variabilités chez les primates. Il le conclut en disant :

« We hope that by concentrating on the immense variability seen [...] in our nonhuman primate cousins we can help those primarily involved in human research to more clearly see the tremendous potential for

individuality and plasticity in the human species. Surely we can be no less adaptable, versatile, or variable than the rest of the primates. Dichotomization of any kind, but particularly stereotypic dichotomization, fails to adequately represent either primatological or human psychological realty. » (Mitchell, ibid. : 193)

La psychologue Hines, de son côté, présente dans son ouvrage de nombreuses différences entre les hommes et les femmes en ce qui a trait au cerveau, à la cognition et au comportement. Mais elle conclut tout de même :

« The observation that some sex differences in human behavior relate to sex hormones has led some to conclude that all sex differences in behavior, social roles, and occupational status are based on innate factors. This has resulted, for instance, in suggestions that the abilities of males to care for children are limited or that men and women will never be equally distributed in certain professions. The empirical data on hormonal influences on the brain and behavior suggest flexibility and variability in outcomes that argue against these conclusions. The generalization of conclusion from one specific finding to a more global explanation may relate to gender schemas. [T]hese schemas can lead to overgeneralization from one piece of evidence supporting a stereotype to the conclusion that all facet of the stereotype are accurate. » (Hines, 2004, op. cit. : 228)

D'un point de vue plus pragmatique, Travis fait l'observation suivante : « [...] but by regarding masculinity and femininity as polar opposites, with one side usually better than the other, we forget that, in practice, most of us "do" both. » (op. cit. : 293)