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La récupération de la recherche scientifique

4- Différences, similitudes réalités et artéfacts

4.4 La récupération de la recherche scientifique

Dans le langage populaire, cette récupération porte parfois le nom de « psycho pop » ou psychologie populaire. Celle-ci est diffusée au moyen de livres, de conférences de reportages. Les auteurs de ces différents ouvrages sont parfois des professionnels ayant un bagage scientifique, parfois il s'agit de journalistes ou divers professionnels, mais si les diplômes peuvent jouer sur la crédibilité des auteurs de ces théories populaires, n'importe qui peut aussi décider de mettre sur le marché sa propre théorie. Comme, par exemple Roger Drolet un animateur de radio et son

Propos sur la différence. Les deux dimensions. Pour Drolet, les hommes et les

femmes sont différents et ceci ne fait aucun doute. «Le sexe est essentiellement une affaire de gars. L'amour est essentiellement une affaire de filles. » (Drolet, 2008 : 11). Il donne surtout des explications pour faire en sorte que le monde qui l'entoure ait une certaine cohérence. Ainsi, il n'y a pas de place pour les femmes chefs de famille parce que « Le chef dans le couple c'est l'homme. [...] Le chef se doit d'être l'homme parce que c'est la demande de la femme. Une femme recherchera toujours plus fort qu'elle. [...] Voilà pourquoi la femme amoureuse est naturellement soumise, voire aimante et donnée. La nature profonde de la femme c'est le don de soi. » (Ibid. : 74). Pour lui, la vie se doit d'être simple et régulée de façon à ce que chacun ait une place, la conserve et perpétue le système. Il donne aussi parfois des conseils

aux uns et aux autres afin que les hommes et les femmes arrivent à vivre ensemble. Par exemple, il établit que « [L]'homme est polygame de nature, mais la femme n'en est pas moins monogame. » (Ibid. : 50) Puis il donne son conseil pour que les deux puissent vivre en couple :

« Il faut établir des règles puisque les natures sont contraires. Dans un couple l'homme se doit de rester fidèle. La femme parce qu'elle est monogame de nature, joue naturellement le rôle de l'agente. Autrement dit, son conjoint sera sous une étroite et constante surveillance. [...] Restez célibataires, les gars, si vous êtes incapables de maîtriser vos pulsions. » (Ibid.)

À travers les propos de Drolet, on peut reconnaître l'une ou l'autre de certaines théories scientifiques différentialistes reposant sur la biologie. Le fait qu'il trouve que le sexe est une affaire de gars, tout comme le fait que les hommes soient de nature polygame peuvent être reliés à une interprétation de la théorie de l'évolution qui veut que les mâles cherchent avant tout de nombreuses partenaires afin de répandre leurs gènes. Le fait que l'homme doive t-être le chef peut être mis en parallèle avec le fait que dans de nombreuses espèces de primates, notamment chimpanzés et les gorilles, les mâles sont réputés dominer les femelles et leur imposer leur volonté, ceci ayant pour pendant que les femelles sont souvent décrites comme étant soumises. Le don de soi des femmes peut tout naturellement être relié à la vision des mères plus près de leur biologie, car limitées par leur obligation de reproduction et de soins à donner aux jeunes.

L'empreinte des théories scientifiques est tout à fait perceptible dans la vision de Drolet sur les hommes et les femmes. Il sépare l'humanité en deux, sans subtilité, ni demi-mesure, donnant tout son sens à la remarque de Travis. « [...] all polarities of thinking, like all dichotomies of groups, are by nature artificial, misleading and over simplified. » (op. cit. : 288). Cette remarque pouvant s'appliquer à n'importe qui incluant les scientifiques.

Selon la « psycho pop » les hommes et les femmes sont très différents et ces différences sont perçues comme fondamentalement opposées. Travis produit un graphique imaginaire (Annexe III, graphique du haut) représentant ce à quoi les gens pensent lorsqu'ils pensent à des différences entre les hommes et les femmes. Les deux courbes sont reproduites côte à côte sans aucun chevauchement. Son graphique représente la réussite en mathématique, mais il pourrait être adapté pour tout trait dont on pense qu'il est une différence entre les hommes et les femmes.

Ensuite Travis, montre le graphique représentant la différence réelle de réussite des hommes et des femmes en 1992. Les deux courbes sont très largement superposées et montrent en fait une très petite différence qui serait négligeable en regard du chevauchement, ou de ce qu'il est convenu d'appeler la valeur de l'effet.

Cependant, l'image dans la tête des gens est prégnante. Les hommes sont comme ceci, les femmes sont comme cela et les deux groupes ont des comportements qui ne se recoupent pas et ne se chevauchent pas. Cette image fausse est pourtant créée en partie ou du moins renforcée par certaines recherches scientifiques, car elles correspondent en partie à ce que nous percevons de notre monde. Elles lui donnent un sens.

« We live with science: science surrounds us, invades our lives, and alters our perspective on the world. We see things from a scientific perspective, in that we use science to help us make sense of the world -- regardless of whether or not that is an appropriate thing to do-- and to legitimize the picture of the world that results from such investigations. » (Erickson, 2005 : 224)

Cette vision dualiste de la population humaine est plaisante parce que les dichotomies sont des choses simples à appréhender. Il existe une place pour chaque chose et chaque chose a une place. « The interplanetary theory of gender [Les

hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus] is important not because it's right -

- in fact, it is wrong more often than it is right-- but because, as a culture, we seem desperately to want it to be true. » (Kimmel, op. cit. : 14)

Le principal problème que génèrent ces différentes publications est qu'elles présentent une vision réductrice de la réalité, car « L'affirmation de stéréotypes de genre est [...] complémentaire d'une vision très homogénéisante des genres qui revient à nier les possibles différences qui existent entre les femmes elles-mêmes ou entre les hommes eux-mêmes [...] » (Laborit, 2009 : 22)

De plus, leur large diffusion (et leur succès) permet d'entretenir l'idée que les stéréotypes de genre sont en réalité des faits attestés et scientifiquement prouvés et permet de perpétuer des inégalités sociales qui sont justifiées par les différences exprimées par les stéréotypes. Mais on peut aussi se demander si le fait que la science nourrit ce genre de vision n'est pas aussi alimenté par la vision populaire elle-même, les scientifiques étant, après tout, des membres des sociétés au sein desquelles ils vivent.

Conclusion

Il est probable que la question se posera encore longtemps à savoir si la majeure partie des traits des hommes sont réellement différents de ceux des femmes et vis-versa, ou si les différences observées ne sont que des constructions culturelles. Cependant, il faut aussi tenir compte de l'évolution des mentalités, de la société et des modes.

« Si l'anatomie ne change guère au cours des siècles et des millénaires, en revanche l'Histoire et l'ethnologie montrent que les sociétés ont des attitudes très diverses quant à l'importance attribuée à celle-là. Certains […] tendent à minimiser les conséquences de la différence; d'autres, au contraire, les accusent. Selon les temps et les lieux, hommes et femmes se perçoivent plus différents que ressemblants ou inversement. » (Badinter, 1986, op. cit. : 243)

La différence plus importante que toute autre considération est peut-être une question de mode, malgré que celle-ci persiste longtemps, mais elle est aussi peut- être l'expression d'un certain obscurantisme visant au maintient du statu quo.