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5- Le terrain

5.5 Le travail

5.5.1 La perception des stéréotypes de patrons au travail

Selon Bourdieu, la perception que l'on a des hommes et des femmes ne dépend pas de leur comportement plus que de stéréotypes que l'on plaque et que l'on interprète selon le sexe de la personne.

« […] l'accès au pouvoir, quel qu'il soit, place les femmes en situation de double bind : si elles agissent comme des hommes, elles s'exposent à perdre les attributs obligés de la "féminité" et elles mettent en question le droit naturel des hommes aux positions de pouvoir; si elles agissent comme des femmes, elles paraissent incapables et inadaptées à la situation. » (Bourdieu, 1998, op. cit. : 96)

Selon Myriam, les patronnes ont des défauts qui leur sont propres de par leur nature féminine. Aussi lorsqu'un de ses patrons a eu les mêmes comportements, les employés ont fait par dérision référence à ce qu'ils croient être à l'origine des sautes d'humeur des femmes soit les menstruations.

« Oui, j'en ai eu, mon boss, il était foutuement excentrique et je trouvais ça plus inacceptable venant d'un homme, ça me surprenait venant d'un homme. On se demandait coudon, il est-tu menstrué ? Tout d'un coup un matin, il avait envie d'arracher la tête à tout le monde. » (Myriam)

De son côté, Allie, compare sa patronne actuelle avec un autre de ses patrons et explique comment un certain comportement était toléré chez l'homme, même si ce n'était pas valorisé, on reliait à quelque chose de positif, celui de faire valoir son point de vue, alors que chez sa patronne c'est tout simplement un défaut, un de ceux qui sont typiquement féminins : elle ne sait pas gérer ses émotions.

« […] ma patronne est considérée comme une mauvaise patronne, car elle est très impulsive, très, très émotive, et c'est considéré comme mauvais pour les affaires, parce que ce ne sont pas des choses rationnelles. […] Tandis que l'homme [patron], on allait se moquer de lui, mais c'était pas valorisé, mais il faisait valoir son point de vue, tandis qu'elle ce n'est pas justifié, elle n'est juste pas capable de gérer ses émotions. » (Allie)

Pour Élise, la situation est aussi très nette. Les femmes et les hommes ayant un comportement identique, verront ce comportement interprété selon une grille différente, donnant aux hommes une interprétation positive de leur trait de caractère et aux femmes une interprétation négative de ce même trait de caractère. « [En politique] Des fois, un homme va exprimer ses idées avec fermeté, il a du caractère, la femme, elle a un sale caractère. » (Élise)

5.5.2 Les métiers traditionnels

Philippe fait plusieurs remarques liant la force soit au travail physique des hommes, soit au fait que les femmes et les hommes font (doivent faire) des travaux différents. Et ce, en dépit du fait qu'à plusieurs reprises, il trouvera tout de même que des femmes peuvent faire ce qu'il considère des travaux d'hommes, dont sa propre sœur et au moins une femme qu'il connaît et qui est l'amie de son vis-à-vis lors de l'entrevue.

Marie, la conjointe de Philippe, se trouve traditionnelle. Non seulement elle le pense, mais de plus, lorsqu'elle était en période de recherche d'emploi, elle a fait un cours en métiers non traditionnels, les résultats ont démontré qu'elle était réellement traditionnelle. D'ailleurs dans la description qu'elle fait d'elle-même, elle trouve qu'elle correspond exactement à l'idée générale qu'elle se fait des femmes.

De son côté, Frédérique a une vision du travail des hommes et des femmes, plus personnelle, puisqu'elle le relie directement à une expérience vécue dans l'enfance et qui l'a forcée à s'interroger sur la validité de ces métiers traditionnels qu'elle ressentait comme des restrictions que l'on imposait aux femmes, peut-être à cause de limitations innées.

« Mais mon père il disait que les filles, c'était juste bon à faire une secrétaire. S'il n'y avait pas eu le mot « juste » peut-être que j'aurais fait une secrétaire. Mais il y avait une sorte de mépris, j'allais faire n'importe quoi dans la vie, mais je n'allais pas faire « juste » une secrétaire. » (Frédérique)

Pour elle, il n'y avait pas de limites à ce qu'elle pouvait vouloir faire dans la vie, elle n'avait qu'à choisir. «. Moi, je suis une femme, mais j'ai toujours pensé que je pourrais faire ce que je veux dans la vie. Je pensais que je n'avais pas de limite. » (Frédérique) On note cependant, la restriction dans sa phrase. Le « mais » suivant le mot « femme » laisse supposer que dans sa culture, à l'époque où elle devait choisir une carrière, les femmes n'avaient peut-être pas tous les choix qu'elle avait et qu'elle le savait. Le fait qu'elle ait pensé qu'elle pourrait faire tout ce qu'elle voulait pourrait être relié au fait qu'elle a dû en prendre conscience et que ce n'était pas si « naturel » de penser ainsi. Par exemple son propre père ne pensait aux femmes qu'en termes restrictifs de « juste des secrétaires ».

5.5.3 Les métiers non traditionnels

Les métiers non traditionnels, si le terme est de genre neutre, en pratique, il est beaucoup plus souvent, voire presque exclusivement, employé pour définir les métiers desquels les femmes étaient exclues jusqu'à tout récemment, mais qui s'ouvrent tranquillement à la main-d'œuvre féminine. Élise fait l'expérience tous les jours d'un emploi non traditionnel, elle a toujours travaillé dans un milieu masculin. Elle explique combien, il est difficile pour une femme de s'y faire une place et se considère privilégiée d'en avoir une.

« Et dans le quotidien ce n'est pas automatique qu'on fait ça, aller vers des métiers non traditionnels, mais aujourd'hui en 2010, de plus en plus. Il y a une pression sociale et économique [qui nous empêche de faire ces choix]. Le milieu n'est pas prêt à prendre [les femmes qui font ces choix]. À ma job, je suis dans un milieu masculin, j'ai eu la job, parce que j'ai eu un contact avec le boss. Mais ma sœur qui est camionneuse, n'a jamais trouvé de job. Les femmes [qui veulent faire un métier non traditionnel] sont plus discriminées que les hommes [qui veulent faire la même chose]. L'accès à l'emploi, on ne le refuse pas à un homme, puis on va te le refuser parce que tu es une femme. » (Élise)

Suite à cette description de l'accès à un emploi non traditionnel des hommes et des femmes, Frédérique renchérit : « Je suis d'accord avec ça, mettons comme une garderie, si un homme applique, ils vont dire, "enfin, on en a un". Alors que dans un milieu de gars, ils vont dire "Oh mon Dieu", pas une femme, qu'est-ce qu'une femme va venir faire ici. »

Il semblerait donc que les hommes soient les bienvenus dans les milieux de femmes, mais soient peu nombreux à faire ce choix, alors que les femmes ne sont pas les bienvenues dans les milieux d'hommes, même si plusieurs souhaiteraient s'y intégrer. Selon les sociologues Guionnet et Neveu, les hommes et les femmes éprouvent tous des difficultés dans ce domaine, mais celles-ci sont de natures différentes. Pour les femmes, ils déterminent plutôt comme principal obstacle, le rejet par les travailleurs masculins, voire par les employeurs, dépendant des secteurs, on les accuse de manquer de force ou encore de ne pas être compétentes. (Guionnet et Neveu, 2009, op. cit. : 181) Élise est du même avis, mais elle ajoute en plus une considération d'ordre monétaire.

« Les hommes se sentent menacés. Ils se disent, c'est un domaine masculin, c'est à nous autres. Les femmes n'ont pas d'affaire là. Elles ne seront pas capables. Elles ne seront pas bonnes. Ils ont peur de perdre leur chasse gardée masculine et tous les avantages qui peuvent aller avec. Une job de gars c'est plus payant qu'une job de fille. » (Élise)

Alors que les hommes s'intègrent généralement très bien dans leur milieu de travail, ce serait une crise identitaire qui les retiendrait, car cela « […] dévaloriserait et déstabiliserait leur identité sexuelle […] » (Guionnet, Neveu, 2009, op. cit. : 181) Les auteurs soulignent que les femmes aussi peuvent avoir une certaine remise en question identitaire, peuvent passer pour des garçons manqués, mais ils remarquent que

« La remise en cause identitaire ne paraît pas tout à fait symétrique, et l'on peut penser que dans une société valorisant à bien des égards le masculin, être soupçonné d'être un garçon manqué est peut-être moins stigmatisant pour une femme qu'être taxé d'"homosexuel" pour un homme. » (Ibid. : 182)

Et à ces considérations d'ordre psychologique, Frédérique y ajoute aussi un aspect monétaire : « [Mais il n'y a pas beaucoup d'hommes qui choisissent des métiers féminins] parce que ce ne sont pas de jobs bien payées. Malgré qu'il y ait la loi pour l'égalité. » (Frédérique)

5.5.4 Le leadership

La faculté de diriger fait traditionnellement partie du stéréotype masculin. « La réalité montre […] que des fonctions hiérarchiques sont encore perçues comme d'abord masculines […]. » (Bouquet, 2007 : 25)

Frédérique et Élise, ne disent pas si elles sont d'accord avec la perception de la fonction hiérarchique, mais en discutant de leadership, elles conviennent que ce sont les hommes qui sont, de fait les dirigeants. Ensuite, elles conviennent qu'à la maison ce sont les femmes qui dirigent le foyer. « Elle mène son domaine ou son territoire, mais socialement, le pouvoir ou la direction, c'est l'homme. » (Élise)

Mais leurs discours laissent percevoir l'idée de la moindre valeur sociale des capacités de dirigeantes des femmes, en particulier des femmes au foyer, mais aussi des femmes en politique. « [il y a eu quelques modèles de femmes dirigeantes] Madame Thatcher, mais il paraît que ce n'était pas une vraie femme [rire]. » (Frédérique), Élise enchaîne « Elle était peut-être très masculine. ».

Ainsi, l'idée même qu'une femme puisse être au pouvoir est en soi une sorte d'aberration. Si une femme occupe une telle fonction, elle ne peut être que masculine et donc soit avoir des qualités d'homme, soit avoir perdu ses qualités de femmes et donc n'être réellement ni l'un ni l'autre. Ce qui permet le sarcasme de Frédérique.

Cette opinion n'est pas sans rappeler que les femmes sont très peu présentes en politique, même si la situation a évolué au cours de la seconde moitié du XXe siècle.