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3- Différences et similitudes une question de contexte

3.1 Différences et similitudes appliquées au concept de genre

3.1.2 Différences et similitudes, émotions et comportements

3.1.2.2 Les émotions

Un autre point à propos duquel il est courant d'entendre des stéréotypes est le domaine de l'expression des émotions.

Le sens commun fait dire des hommes et des femmes qu'ils n'expriment pas leurs émotions de la même façon, mais aussi qu'ils n'expriment pas toujours les mêmes émotions. Même si les deux peuvent éprouver de la joie, de la peine, de la colère, les femmes sont reconnues pour être émotives, c'est-à-dire pour exprimer leurs émotions de façon expressive et expansive, même s'ils ressentent les mêmes émotions, les hommes sont plutôt reconnus pour ne pas exprimer les leurs et donc faire preuve de retenue. On considère parfois que c'est une qualité, car ils savent garder le contrôle sur eux-mêmes, mais parfois, on trouve que c'est un défaut et en particulier dans les relations de couples, si, par exemple, la femme veut discuter et que l'homme veut s'enfermer dans le mutisme. Baudelot et Establet nous disent que cette façon de concevoir les filles comme étant plus aptes à exprimer leurs émotions relève de stéréotypes et qu'en ce qui concerne le genre ceux-ci s'appuient sur une nature qui découle des « évidences biologiques ». « Si les garçons sont plus forts en maths que les filles, c'est parce que la nature a affublé ces dernières d'un cerveau plus petit, plus apte à construire des émotions que des concepts. » (Baudelot, Establet, op. cit. : 19)

Il n'y a bien sûr là aucune façon de faire qui soit la bonne façon. Cependant, on peut tout de même se demander si le stéréotype est toujours vrai, ou si d'une part il varie selon les individus et d'autre part, si nous ne sommes pas faits pour exprimer nos émotions plutôt que pour les cacher (ce qui pourrait indiquer un potentiel apprentissage de la retenue). En effet, chez le jeune enfant, fille ou garçon, la chose la plus naturelle est de les exprimer, puis avec l'éducation, l'enfant apprend qu'il y a des choses que l'on peut continuer à faire et d'autres qu'il vaut mieux apprendre à ne pas faire. Dans ce domaine, il semblerait que les petits garçons aient à faire face à plus de pression sociale. Le classique « Un garçon, ça ne pleure pas. » est encore souvent de mise.

Par ailleurs, même si les parents n'imposent pas à leur fils de ne pas exprimer ses émotions, la socialisation secondaire se chargera de faire comprendre au petit garçon qu'il vaut mieux pour lui rester stoïque. En effet, si l'on considère comme Héritier que les sexes ont toujours une valence différentielle, et que selon celle-ci les

femmes ont une moindre valeur, il est toujours possible pour petit garçon, qui pleure ou exprime une autre émotion associée aux filles, de se faire traiter de fille, ce qui dans ce cas est une injure puisque les filles ont moins de valeur sociale. « Un garçon apprend à ne pas marcher comme une fille, mais avec une allure virile, [...] à ne pas pleurer, à parler avec assurance [...]. » (Guionnet, Neveu, 2004 : 39)

Il est toujours possible pour une fille de rester stoïque et de cacher sa peine ou sa douleur, ou d'autres émotions, on pourra alors l'admirer pour son comportement considéré comme fort. Là encore, la valence différentielle des sexes entre en jeu, car si une fille pleure on va considérer que c'est normal, mais si elle retient ses larmes, on verra en elle quelqu'un qui a un tempérament fort qui fait penser à celui des garçons. Ce comportement lui vaudra l'admiration, car les garçons ont une plus grande valeur sociale. Être un garçon manqué est en quelque sorte une plus value alors qu'être une fille manquée est une déchéance. Guionnet et Neveu rapportent qu'en sport par exemple, on montre aux garçons à s'endurcir « [Le garçon] montre qu'il est fort, qu'il a un beau corps viril, qu'il est un "vrai mec". La capacité à affronter la douleur, à manifester un rapport dur, instrumental avec le corps est une autre composante de ces apprentissages qu'expriment de multiples formules et adages ("C'est pas un sport de fillette"! "No pain, no gain"). » (Ibid. : 40)

D'un autre côté, on ne permet pas aux petites filles d'exprimer des sentiments agressifs ou de la colère, ou du moins on le tolère moins bien. « Les mères sont [...] plus sévères avec leurs filles, plus exigeantes. Elles supportent moins leurs crises de colère, les valorisent moins que leur(s) frère(s). » (Ibid. : 43)

Guionnet et Neveu expliquent que les enfants vont chercher à ressembler au parent de même sexe qu'eux, en particulier dans leurs activités et leurs goûts, mais aussi pour le petit garçon à ne pas pleurer (Ibid. : 45), on peut aussi imaginer que les petites filles sentiront qu'elles peuvent tout naturellement continuer à exprimer leurs émotions (mis à part la colère), si leur mère s'y autorise.

De cette éducation différenciée, pourraient découler des comportements différenciés chez les adultes et le fait que ce genre de comportement s'observe très tôt dans l'enfance pourrait mener à penser qu'il est inscrit dans notre nature d'homme ou de femme.

Conclusion

Quelles que soient les origines de la violence chez les êtres humains, il semble difficile de tracer une frontière claire entre la violence masculine et la violence féminine, car tant les uns que les autres peuvent en faire la démonstration et ceci reste vrai, malgré le fait que la majeure partie des crimes soient perpétrés par des hommes. (Simpson, Hertz, 2006 : 538) Les deux auteures notent cependant que les « [...] violent crime (excluding simple assault) is a rare offence for both sexes. », mais les crimes le plus violents restent perpétrés par les hommes. (Ibid. : 538)

Kimmel rapporte l'étude de Howell et Willis qui démontre que la définition sociale de la masculinité influe sur la violence qui y sera perpétrée. Dans les sociétés où les hommes peuvent avoir peur, le niveau de violence est bas, alors que dans les sociétés où l'on entretient l'image du macho invincible, le niveau de violence est élevé. (Howell et Willis cités par Kimmel, op. cit. : 317)

Mais Simpson et Hertz notent que quelles que soient les théories sur lesquelles on se base pour analyser la violence et ses origines, les femmes sont toujours soit exclues du modèle, soit considérées comme Autre ou encore simplement mises en contraste avec les hommes, mais leur expérience n'est jamais prise en compte dans la théorisation. (Simpson, Hertz, op. cit. : 544). Elles avancent que c'est la faible représentation des femmes criminelles qui serait à l'origine de cette situation.

Évidemment, le fait de ne pas tenir compte des femmes dans les théories de la violence a pour conséquence de les rendre invisibles et vient de ce fait renforcer l'idée que la violence n'est pas un comportement féminin et aussi le présupposé qui veut que celle-ci ait une origine biologique ancrée dans la nature des hommes.

Il est tout aussi difficile de tracer une ligne entre l'expression ou la non- expression des émotions chez les hommes et chez les femmes. Même si le stéréotype confine chacun des genres sexuels dans un modèle de comportement spécifique, il ne semble pas possible, ni aux uns ni aux autres de s'y conformer totalement.

Badinter rapporte qu'il n'existe pas de modèle de masculinité universelle. Elle rapporte que dans diverses cultures « [...] les hommes [sont] très durs et angoissés par leur virilité, accus[ent] la moindre différence avec les femmes, [alors que dans

d'autres cultures les] hommes [sont] tendres et doux [et] paraissent féminins au regard de nos critères traditionnels [...]. » (Badinter, 1992 : 49)

De nombreux indices peuvent laisser supposer que l'expression des émotions est un construit culturel. Cependant, celle-ci n'est pas quelque chose d'immuable. « Si la masculinité s'apprend et se construit, nul doute qu'elle peut changer. Au XVIIIe siècle, un homme digne de ce nom pouvait pleurer en public et avoir des vapeurs; à la fin du XIXe, il ne le peut plus sous peine d'y laisser sa dignité masculine. » (Ibid. : 51)

Grâce à la transformation de la société découlant de l'influence du féminisme, on a pu voir une certaine remise en question des stéréotypes sexuels les plus courants. Certains hommes ont ainsi pu revendiquer le droit à l'expression de leurs émotions. Si par contre, une femme ne montre pas ses émotions, elle pourra se faire reprocher d'avoir un comportement contre nature ou de nier sa féminité.