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2- Cadre théorique

2.1.3 Les modèles de comportement

À chacune des catégories correspond un ensemble plus ou moins hétérogène d'obligations de comportements et de pratiques, ces ensembles forment le corps de l'habitus tel que décrit par Bourdieu :

« Les conditionnements associés à une classe particulière de conditions d'existence produisent des habitus, systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et de la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre, objectivement « réglées » et « régulières » sans être en rien le produit de l'obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre. » (Bourdieu, 1980, op. cit. : 88)

L'habitus, c'est la construction sociale de notre façon de penser et d'agir dans un champ donné. L'habitus se bâtit sur nos expériences de vie. Celles-ci modèlent notre esprit tout autant que nos corps. L'ensemble étant appelé par Bourdieu un « Système de dispositions » (Ibid. : 88).

Les dispositions affectent le corps et l'esprit qui les intériorise de façon généralement inconsciente. Ces dispositions peuvent être des façons d'agir, de se comporter, de penser, de percevoir, d'interpréter, de ressentir, etc., qui sont modelées par le vécu d'une personne dans son environnement social spécifique, de ce fait, chacun est acteur au sein d'un jeu qui permet le renouvellement du champ, par le changement ou le non-changement. « La notion d'habitus a été inventée [...] pour rendre compte de ce paradoxe : des conduites peuvent être orientées par rapport à des fins sans être consciemment dirigées vers ces fins, dirigées par ces fins. » (Bourdieu, 1987, op. cit. : 20)

Les dispositions de l'habitus sont plutôt résistantes au changement ce qui a pour effet d'offrir une certaine continuité au cours de la vie, mais aussi une unité de style entre les personnes partageant le même champ social, ou comme dirait

Bourdieu, qui jouent le même jeu. « Pour qu'un champ marche, il faut qu'il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l'habitus impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des enjeux, etc. » (Bourdieu, 1980, op. cit. : 114).

Ces dispositions sont transposables ce qui implique que ce qu'une personne apprend dans un certain contexte, elle pourra à loisir l'appliquer dans un contexte différent. (Bourdieu, 1987, op. cit. : 147)

Mais l'habitus n'est pas un ensemble d'habitudes « L'habitude est considérée spontanément comme répétitive, mécanique, automatique, plutôt reproductive que productrice. Or, je voulais insister sur l'idée que l'habitus est quelque chose de puissamment générateur. » (Bourdieu, 1980, op. cit. : 134). Ainsi, s'il est persistant l'habitus n'est pas immuable, il peut évoluer ou changer selon certaines circonstances et en fonction de nouvelles expériences, il peut être modelable et il n'est pas inhabituel de voir une personne modifier son habitus suite au vécu de nouvelles expériences, si les circonstances se prêtent au changement.

« L'habitus n'est pas le destin que l'on y a vu parfois. Étant le produit de l'histoire, c'est un système de dispositions ouvert, qui est sans cesse confronté à des expériences nouvelles et donc sans cesse affecté par elles. Il est durable, mais non immuable. Cela dit, je dois immédiatement ajouter que la plupart des gens sont statistiquement voués à rencontrer des circonstances accordées avec celles qui ont originellement façonné leur habitus, donc à voir des expériences qui viendront renforcer leurs dispositions. » (Bourdieu, 1992, op.cit. : 108)

Ce qui fait que les dispositions de l'habitus sont souvent autoréalisatrices, en effet on peut dire que selon Bourdieu, la plupart du temps, on veut ce que l'on peut et l'on ne veut pas ce que l'on ne peut pas : « [...] les pratiques les plus improbables se trouvent exclues, avant tout examen, au titre d'impensable, par cette sorte de soumission immédiate à l'ordre qui incline à faire de nécessité vertu, c'est-à-dire à refuser le refusé et à vouloir l'inévitable. » (Bourdieu, 1980, op. cit. : 90), et ce que l'on a déjà expérimenté conditionne ce que l'on voit comme possible (ibid.) ainsi, le passé garantit l'avenir.

Mais contrairement aux croyances naturalistes ou biologisantes, il n'existe aucun grand architecte derrière la façon dont les gens se comportent. Ils font simplement ce qu'ils ont à faire, de par leur habitus, sans avoir l'impression ni de se soumettre à une quelconque volonté autre que la leur propre, ni à un arrangement qui serait préalable à ce qu'ils vivent, et très souvent, ils n'ont pas non plus la

connaissance ou l'impression de participer à la perpétuation d'un état de fait. Ils ne font qu'être sans arrière pensée, presque sans volonté, car leurs comportements ne sont pas décidés ou réfléchis. « Si cette contrainte [extérieure à la personne elle- même] est suffisamment bien intériorisée, elle peut ne pas être ressentie comme telle, mais au contraire comme l'expression d'un caractère personnel […] » (Bereni, Chauvin, Jaunait, Revillard, 2008 : 75).

Par exemple, il est courant de penser que les femmes (et les filles) ne sont pas douées pour les mathématiques malgré que les statistiques prouvent le contraire. « La variation sensible des écarts entre les sexes selon les pays suggère que les différences entre les jeunes hommes et les jeunes femmes ne donnent pas forcément lieu à des différences de performance et que des politiques et pratiques adaptées peuvent remédier à ce que l'on a longtemps considéré comme des conséquences normales des différences de centres d'intérêt, de styles d'apprentissage, voire de capacités intrinsèques entre les deux sexes. » (OCDE, 2007 : 349). Mais comme la société et leur environnement ne perçoivent pas les filles comme potentiellement bonnes en mathématiques, celles-ci ne s'orientent que très rarement vers des filières devant les mener à des études en mathématique ou vers les sciences pures. On pourrait donc penser que

« Les filles incorporent, sous forme de schèmes de perception et d'appréciation difficilement accessible à la conscience, les principes de la vision dominante qui les portent à trouver normal, ou même naturel, l'ordre social tel qu'il est et à devancer en quelque sorte leur destin, refusant les filières ou les carrières d'où elles sont exclues, s'empressant vers celles auxquelles elles sont en tout cas destinées. » (Bourdieu, 1998, op. cit. : 131)

Cependant, Bourdieu ne considère pas l'habitus comme un destin (Bourdieu, 2001, op.cit. : 89), ce sont plutôt les joueurs qui le perçoivent ainsi à cause du fait qu'ils ne voient pas leur propre participation active à la construction de l'habitus et au maintien des champs tels qu'ils sont.

2.2- La valence différentielle des sexes

Les êtres humains vivent en général dans des sociétés où les hommes et les femmes sont perçus différemment. De plus, la valeur sociale des uns et des autres n'est ni égale, ni équivalente.

Cette non-équivalence de statut a provoqué en occident, un mouvement des femmes afin de tenter d'y mettre fin. Le féminisme est né de la colère ou de la

frustration des femmes à sentir que leur société les percevait et leur renvoyait l'image d'êtres humains incomplets, imparfaits, inadéquats ou inférieurs et de tout ce qui découlait de tels présupposés. Parmi ces conséquences on peut noter, par exemple, l'incapacité juridique et politique des femmes, la possibilité limitée de posséder des biens en propre et/ou d'en disposer à leur guise, l'impossibilité d'hériter au même titre que leurs frères, l'impossibilité d'accéder à des postes à statut élevé tant en ce qui a trait à l'entreprise privée qu'en ce qui a trait à la politique, la soumission au mari.

De très nombreuses sociétés ont créé un modèle de l'être humain parfait et ce modèle archétypal existe encore aujourd'hui : « […] l'homme représente à la fois le positif et le neutre au point qu'on dit en français « les hommes » pour désigner les êtres humains […]. La femme apparaît comme le négatif si bien que toute détermination lui est imputée comme une limitation, sans réciprocité. » (Beauvoir, op. cit. : 14). L'idée que l'homme puisse-t-être l'être humain de référence remonte loin dans le temps. Les femmes, elles, devaient se contenter de n'en être que de pâles reflets. En occident, les Grecs de l'antiquité avaient déjà une idée assez précise de la valeur qu'ils désiraient leur accorder, « La femelle est femelle en vertu d'un certain

manque de qualités. […] Nous devons considérer le caractère des femmes comme

souffrant d'une défectuosité naturelle. » (Aristote dans Beauvoir, op. cit : 15)

Il est donc raisonnable de se demander pourquoi, ou comment un tel état de fait peut exister.