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5- Le terrain

5.2 À la maison

5.2.1 Les travaux ménagers

Règle générale, les participants à l'enquête s'entendent assez bien pour ce qui est des travaux ménagers. Les tâches sont partagées équitablement en particulier chez les plus âgés. Philippe qui est atteint de cécité, dit qu'il fait ce qu'il est capable de faire, il énumère, la vaisselle, l'aspirateur, et certains mets qu'il confectionne. Marie, sa conjointe, dit à peu près la même chose de lui, sauf peut-être pour la cuisine pour laquelle, elle dit qu'il cherche plus à y échapper « Entre construire un gazebo et faire le souper. Il va préférer faire le gazebo, mais il participe régulièrement dans la cuisine, mais il n'a pas la même inspiration. » (Marie). Cependant, dans ce couple, où le partage des tâches semble le plus égalitaire possible compte tenu du handicap de Philippe, Marie reste la responsable puisque Philippe dit « […] les tâches ménagères, aucun problème. Si elle me demande de faire quoi que ce soit dans la maison, c'est moi qui fais le lavage, c'est moi qui fais la vaisselle, c'est moi qui fais la sauce à spaghetti, les biscuits, la soupe. » (Philippe)

Chez les plus jeunes Myriam dit que . « Ce n'est pas égal, mais on s'entend. Ce n'est pas vraiment un sujet de discorde. Ça l'a déjà été parce que pendant un certain temps, je trouvais que j'en faisais beaucoup plus que lui, puis ça me mettait dans un rôle de femme au foyer […] ». Ils ont donc discuté et mis au point une stratégie dans laquelle Myriam ne se sent plus aussi perdante qu'avant. Cependant, elle semble être la responsable de l'entretien ménager puisque c'est elle qui voulait le partage des tâches et c'est aussi elle qui en fait le plus.

Chez Anne non plus, la répartition n'est pas égalitaire « Côté répartition des tâches, c'est un des irritants, j'avoue, il ne fait pas beaucoup de ménage. Il ne fait pas de cuisine, il n'aime pas cuisiner. ». Au contraire de Myriam, Anne n'a pas revendiqué plus d'égalité, elle en a discuté, mais ça n'a rien donné et elle a abandonné. Elle a revu ses aspirations à la baisse et avoue que chez elle c'est sale. Mais comme ce qui est fait, c'est elle qui le fait, elle considère que ce serait encore plus injuste si elle en faisait plus. Mais la situation lui déplaît fortement.

Selon les réponses des participants, il semblerait que les personnes les plus âgées de mon enquête partagent mieux les tâches que les personnes les plus jeunes. Il serait intéressant de savoir si cette différence peut être le résultat du féminisme qui aurait imprégné de façon plus significative la vie des femmes et des hommes les plus âgés. Ils se seraient trouvés dans une situation plus égalitaire, alors que les plus jeunes subiraient ce que Frédérique appelle le retour du balancier avec une résurgence de certains comportements plus traditionnels.

5.2.3 Les soins aux enfants

Le vécu général des répondants, qui ont eu des enfants, était assez égalitaire, sauf pour Frédérique qui a assumé seule les deux enfants de sa première union, par contre, l'éducation de son dernier enfant s'est faite de façon égalitaire.

On peut voir cependant, comme chez Philippe ou Bertin, qu'il y avait une certaine répartition des tâches, mais elle semblait plus relever des circonstances que des stéréotypes sexuels. Ce vécu semblerait vouloir donner raison à Barnett et Rivers qui basent leur recherche sur la prémisse que « […] people behavior today is determined more by situation than by gender. » (Barnett, Rivers, op. cit. : 5)

Brice de son côté, trouve ne pas s'être assez occupé de ses enfants, et le regrette, mais quand il était à la maison, il dit avoir eu les mêmes comportements que sa femme. Il compensait le soir.

Après sa séparation, les enfants de Philippe sont restés avec leur mère, mais deux ans plus tard, c'est lui qui a eu leur garde et les a élevés jusqu'à l'âge adulte. Lorsque Bertin s'est séparé de sa femme, c'est aussi lui qui a eu la garde des deux enfants. Ces deux arrangements ne se sont pas fait devant la cour. De leur côté, Marie et Frédérique ont eu la charge de leurs enfants respectifs. Dans ces quelques exemples de vie, le sexe des parents gardiens n'avait pas d'importance, tant les hommes que les femmes pouvaient prendre soin de leurs enfants. Ce qui rejoint

l'idée de Barnett et Rivers qui pensent que ce n'est pas parce que les femmes mettent les enfants au monde qu'elles sont plus aptes que les hommes à en prendre soin. (Ibid. : 6)

Pour Élise, « Il y a eu une évolution, comme le partage des tâches. Le père est plus présent, la mère a une vie [professionnelle] à l'extérieur. », ce que semblent partager les jeunes répondantes qui n'ont pas encore d'enfants. Lorsqu'elles se projettent dans le futur, l'une dit qu'elle ne voudrait pas rester à la maison, mais que son chum le ferait, l'autre qu'elle resterait à la maison de façon plus traditionnelle, et la troisième qu'elle ne verrait aucun problème pour mettre son enfant à la garderie. Tout est donc permis pour l'avenir. De plus, les trois jeunes femmes considèrent que leur conjoint s'occuperait bien des enfants s'ils en avaient et cela semble un enjeu important.

Mais l'une d'entre elles n'est pas absolument certaine d'en vouloir un jour.

5.2.4 Les fils substituts

Une des répondantes a été dans une situation un peu particulière dans son enfance; Élise, fille d'agriculteur est membre d'une fratrie de sept filles. Celle-ci raconte la déception de ses parents et en particulier de son père. Afin de répondre au manque de fils, ou de ce qu'elle a perçu comme le manque de fils, Élise s'est fait un devoir de devenir une sorte de fils substitut pour son père. « Dans le milieu agricole des années 60, mon père voulait des garçons, il avait une terre puis tout ça, on est sept filles. J'ai fait le garçon toute ma vie. Je suis son gars, pour qu'à ses yeux je sois reconnue. » Elle a travaillé sur la ferme familiale pendant des années.

Elle s'est intéressée aux choses de garçon (comme l'agriculture, les machines outils), en a même nié sa féminité, ce qui, d'après elle, a conduit toutes ses relations amoureuses à l'échec.

Dans leur article sur les femmes guides de haute montagne, Mennesson et Galissaire expliquent que deux des guides qu'elles ont interrogées ont été des fils substitut pour leur père. (Mennesson, Galissaire, op. cit : 122). Même si ce n'est pas le cas de toutes les femmes, il semble qu'il puisse y avoir une incitation à faire une activité non traditionnelle pour une femme qui provient d'une fratrie de sœurs, ceci soit dans le but de plaire à leur père, soit de remplacer le fils manquant. « Certaines conditions familiales, comme la présence d'un frère aîné ou l'absence de descendance masculine, sont nécessaires sans être forcément suffisantes à la mise

en œuvre de mode de socialisation "inversée". » (Mennesson, op. cit. 125). Du côté des Inuits, Saladin d'Anglure révèle que les Inuit, dans les familles où les enfants sont tous des filles, élèvent des filles en garçons pour qu'elles accomplissent les activités d'homme.

Il semble donc possible de faire en sorte que ce qui est considéré comme l'exclusivité d'un sexe soit réalisé par quelqu'un de l'autre sexe, posant les questions de savoir si premièrement ce partage des tâches n'est pas une construction sociale, et si de plus il n'est pas arbitraire.