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62. Si les origines et le contenu des travaux de la Commission Lando semblent en faire le droit commun du contrat au plan communautaire, ils ne peuvent, en aucun cas, être considérés comme du droit positif. Illustration de l’émergence d’un droit savant en matière contractuelle, les principes du droit européen des contrats sont dépourvus de toute valeur obligatoire (§1) et ne s’appliqueront effectivement qu’en tant que choix des contractants, et encore sous réserve d’ordre public. Pour autant ils revêtent un intérêt doctrinal important et pourront utilement constituer un laboratoire valable pour le développement d’un futur droit communautaire du contrat. Ils n’en revêtent donc pas moins un rôle effectif (§2).

§1 – L’ABSENCE DE VALEUR OBLIGATOIRE

63. A l’instar des principes Unidroit ou des Restatements américains, les principes du droit européen du contrat sont dépourvus de toute force obligatoire. En effet, ils sont l’œuvre de juristes de différents Etats et ne constituent qu’un modèle privé pour les contractants ou pour le législateur communautaire. Le texte n’a pas été incorporé dans un instrument juridique obligatoire, règlement, directive ou convention internationale. Il n’est, à l’heure actuelle, que le résultat d’un travail purement privé, celui de la Commission Lando, appellation dont la consonance institutionnelle ne doit pas induire en erreur. La Commission constitue une réunion d’experts très qualifiés et représentatifs des droits privés des différents Etats membres 150 qui ont commencé à se réunir au début des années

150 - Parmi les nombreuses personnalités ayant participé aux travaux de la Commission Lando, nous pouvons notamment citer : le professeur H. Beale (Angleterre), le professeur B. Berlioz-Houin (France), le professeur M. Bianca (Italie), le professeur A. Bercovitz (Espagne), le professeur M.J. Bonell (Italie), le professeur M. Collaço (Portugal), le professeur U. Drobnig (Allemagne), Maître A. Elvinger (Luxembourg), le professeur D. Evrigenis (Grèce), le professeur R.M. Goode (Angleterre), le professeur

quatre-vingt. Pour autant, elle ne constitue en aucun cas une institution produisant des règles de droit. Le fait que la Commission ait été officiellement parrainée par la Commission des Communautés européennes et subventionnée par elle 151, ne modifie en rien son caractère purement privé. Même mandaté par une institution publique, le groupe d’experts a œuvré « en toute indépendance, certes, mais sans la moindre parcelle de pouvoir normatif » 152.

Cette absence de valeur obligatoire est reconnue par les rédacteurs eux-mêmes. Ainsi dans les commentaires qui suivent l’article 1.101 du texte, on peut lire : « Les principes en tant que tels n’ont pas l’autorité d’un droit national ou international. En conséquence, il est impossible de définir leur domaine d’application de la même façon qu’il est devenu habituel de le faire pour des instruments formels créant un droit uniforme ». Lorsqu’il est appelé à présenter les travaux de la Commission Lando, le professeur Denis Tallon qui y a participé en tant qu’expert français, affirme que les principes européens, à l’instar des principes Unidroit, « n’ont aucune valeur normative » 153. Ce caractère non obligatoire, loin d’être dissimulé par la doctrine constitue la première caractéristique des principes Lando.

Tous les observateurs commencent leur présentation par leur caractère purement incitatif.

Et à l’heure où l’adoption d’instruments juridiquement contraignants est critiquée de toutes parts, certains voient dans le caractère purement incitatif du texte, un gage d’efficacité.

C’est l’idée que développe F.M. Bannes à propos des Principes Unidroit : « Les efforts en vue de l’unification du droit sur le plan international ont essentiellement pris à ce jour la forme d’instruments juridiques contraignants […] instruments qui risquent d’être fragmentaires et de rester lettre morte dans la mesure où leur adoption et ratification demeurent sujettes aux réserves émises par les Etats contractants. En conséquence, le recours à des moyens non législatifs d’unification ou d’harmonisation du droit est de plus en plus préconisé. » 154

Cette idée est légitime mais de nombreux auteurs, le plus souvent il faut le reconnaître, des civilistes français, n’y adhèrent pas et affichent au contraire un certain pessimisme envers les instruments non obligatoires d’unification en général et envers les principes de droit européen du contrat en particulier. Ainsi le professeur Raynard évoque « la mode toute contemporaine de principes plus incitatifs que normatifs » qualifiant les Principes Lando de sorte « d’espéranto du droit des contrats mais dont l’autorité reste limitée au

G. Horsemans (Belgique), le professeur R. Houin (France), le professeur K. Kerameus (Grèce), le professeur B. Macmahon (Irlande), le professeur G. Rouhette (France), le professeur D. Tallon (France), le professeur J.A. Wade (Pays-Bas), docteur F.A. Van der Velden (Pays-Bas), le professeur A. Wilson (Ecosse).

151 - C’est en effet la Commission européenne qui, depuis 1982, subventionne une grande partie des travaux de la Commission Lando, voir : COM (2001) 398 final, point 6, note 1 et 8.

152 - MAZEAUD (D.), A propos du droit virtuel des contrats: réflexions sur les principes d’Unidroit et de la Commission Lando, Mélanges Michel Cabrillac, Litec, Paris, 1999, p. 205.

153 - TALLON (D.), Les travaux de la Commission Lando, op. cit., p. 122.

154 - BANNES (F.-M.), L’impact de l’adoption des principes Unidroit 1994 sur l’unification du droit commercial international: réalité ou utopie ? , op. cit., p. 933.

magistère de leurs auteurs » 155. D’autres évoquent le caractère « virtuel » des règles rédigées par la Commission Lando, constatant que leur avenir repose essentiellement sur l’autorité scientifique et la connaissance contractuelle de ceux qui les ont rédigés 156.

64. Mais un autre élément limite encore la portée normative des principes. Non contents d’émaner d’une autorité qui ne détient en aucune façon le pouvoir normatif, ils souffrent de l’absence d’un organe juridictionnel propre chargé de leur application. L’interprétation uniforme des règles matérielles contenues dans le texte ne peut donc pas être effectuée.

Dans ces conditions, le juge ou l’arbitre qui sera chargé de faire appliquer un contrat, que les parties ont choisi de soumettre aux principes, interprètera les dispositions qu’ils contiennent, au mieux en fonction de l’esprit de système juridique d’origine, au pire en vertu de sa propre conception du droit. Dans ces conditions, le texte qui se veut le véhicule de la sécurité juridique, risque fort d’être source d’incertitudes. Le risque est d’autant plus important que, résultat d’un compromis, les principes accordent beaucoup d’importance à certains concepts standards, à certaines notions souples tels que, pour n’en citer qu’un, le principe de bonne foi qui a toutes les chances d’être interprété de manière fort différente selon s’il l’est par un tribunal français ou britannique. Le risque d’insécurité juridique lié à l’emploi de principes abstraits est réel : le propre des standards est de renvoyer à la culture.

Ce risque pourrait être évité si un organe était chargé de l’interprétation uniforme de ces principes. Les idées sur ce point ne manquent pas, de la création d’un tribunal spécifique 157 à l’extension des compétences de la Cour de Justice des Communautés européennes, mais force est de convenir que, malgré leur pertinence, elles ne sont pas pour l’heure, prêtes à être mises en œuvre.

65. Ces considérations ont entraîné des réactions pessimistes. Une des plus vives émane du professeur Denis Mazeaud qui parle de « leurre » à propos de « ce droit des contrats, sorti de l’imagination fertile d’universitaires convertis au mythe de l’harmonisation » 158. Allant même plus loin, l’auteur affirme que : « si ce droit contractuel « transeuropéen », conçu par une brochette d’universitaires s’adonnant aux délices de la codification, apparaît comme un droit virtuel, un droit qui se conjugue plus au futur qu’au présent, c’est moins

155 - RAYNARD (J.), Les principes du droit européen du contrat : une lex mercatoria à la mode européenne ?, RTDCiv , 1998, oct.-déc., p. 1006. La comparaison avec cette langue à vocation universelle, imaginée dès 1887 par Zamenhof, est justifiée au regard de l’objectif de rapprochement des peuples des deux entreprises. Il faut souhaiter que les principes Lando connaîtrons un succès pratique plus significatif que celui de la langue universelle imaginaire.

156 - MAZEAUD (D.), A propos du droit virtuel des contrats : réflexions sur les principes d’Unidroit et de la Commission Lando, op. cit. , pp. 205-218. MAZEAUD (D.), La Commission Lando: point de vue d’un juriste français, op. cit., p. 145.

157 - En ce sens : MAZEAUD (D.), La commission Lando : le point de vue d’un juriste français, op. cit., p. 146. JAMIN (C.), Un droit européen des contrats, op. cit. , p. 56, n° 20.

158 - MAZEAUD (D.), A propos du droit virtuel des contrats: réflexions sur les principes d’Unidroit et de la Commission Lando, op. cit., p. 207.

parce qu’il serait un droit savant, voire dogmatique, que parce qu’il souffre d’un déficit chronique d’autorité, d’intensité, et qu’il est promis, dans l’esprit de certains, à une absence fatale d’unité » 159.

S’il n’est pas réaliste de se référer uniquement aux travaux d’Unidroit pour évaluer le succès futur des principes Lando - ce que nous nous gardons de faire - il est quand même possible répondre aux plus pessimistes que les Principes Unidroit, eux aussi totalement dépourvus de valeur obligatoire et d’un organe chargé de leur interprétation uniforme, n’en ont pas moins rencontré un véritable succès dans la pratique commerciale. Nous l’avons indiqué les principes applicables aux contrats internationaux ont été à plusieurs reprises appliqués en tant que lex mercatoria et ont, par ailleurs, servi de modèle à différents législateurs nationaux et internationaux tout en n’ayant jamais été intégré dans un instrument juridique à valeur obligatoire. Le recours à des moyens non législatifs d’harmonisation est de plus en plus fréquent tant au niveau régional qu’international, on peut donc en déduire que l’absence de valeur juridique obligatoire n’est pas incompatible avec un réel impact des textes sur l’évolution du droit.

§2 – LE RÔLE EFFECTIF DES PRINCIPES

66. Les principes Lando, malgré leur caractère incitatif, n’en ont pas moins plusieurs rôles à jouer. Ils sont d’abord destinés à régir des relations contractuelles, rôle primaire (I) qu’ils peuvent remplir grâce à la seule volonté des parties contractantes. Mais ils doivent aussi servir de relais doctrinal à l’élaboration du droit communautaire des contrats. Ce rôle dérivé (II) assigné au texte se révèlera être le plus significatif en pratique.