• Aucun résultat trouvé

L’ADOPTION DES PRINCIPES EUROPÉENS DU DROIT DU CONTRAT

22. L’étude des origines des principes (§1) ainsi que celle de son objet (§2) font ressortir qu’il s’agit réellement de constituer un droit commun du contrat applicable à l’Union européenne ce qui leur donne un écho certain auprès des juristes européens. Mais ce qui atteste que, malgré des difficultés réelles tenant tant à la diversité des droits nationaux qu’à la dualité des idéaux, l’élaboration d’un tel corps de règles est envisageable, c’est aussi le contenu matériel de ces principes européens du droit du contrat (§3)

§1 – LES ORIGINES DES PRINCIPES

65 - OPPETIT (B.), Droit commun et droit européen, op.cit., p. 313.

66 - Les Principes du droit européen du contrat, L’exécution, l’inexécution et ses suites, version française par DE LAMBERTERIE (I.), ROUHETTE (G.), TALLON (D.), La documentation Française, Paris, p. 15.

67 - TALLON (D.), Les travaux de la Commission Lando , in : L’harmonisation du droit des contrats en Europe, op.cit., p. 121.

23. Les principes Lando ont un modèle initial, jus commune romain (I), et plusieurs modèles contemporains (II) constitués de plusieurs projets d’unification du droit privé.

I - Le modèle initial : le jus commune romain

24. L’Empire romain est l’ancêtre commun de tous les Etats européens. Un droit commun, le jus commune s’est développé dans cet « Etat pluriethnique qui a duré plusieurs siècles en conciliant diversité et universalité » 68. En cela, le droit romain constitue, sans nul doute, le modèle ancestral des principes, non pas pour le contenu matériel des règles existantes en matière contractuelle mais pour la méthode employée. Certes, beaucoup de concepts utilisés en droit des contrats dans les différents Etats membres peuvent revendiquer une origine romaine. C’est le cas évidemment du terme de contrat dont toutes les traductions européennes trahissent l’influence romaine. Les exemples, qui pourraient être répétés à l’infini, ne serviraient pas à identifier correctement l’apport du droit romain aux principes du droit européen du contrat ; en effet cet apport est d’ordre méthodologique plus que terminologique. Les romains ont, dès l’origine, choisi la voie du pluralisme et ce, notamment en matière juridique. Ce choix constitue sans doute la raison principale de la longévité de L’empire qu’ils ont édifié. Le pluralisme romain se manifestait dans tous les domaines : géographique d’abord, mais aussi ethnique, religieux et culturel. Rome, contrairement à l’image véhiculée, ne fut pas impérialiste : chaque peuple a pu conserver ses dieux, sa langue et ses droits locaux. Ainsi le système des poids et mesures n’était pas identique d’une région à l’autre. Les langues telles que le punique, le berbère, l’ibère, le syriaque, l’hébreu, coexistaient malgré un bilinguisme officiel 69. Mieux encore, à côté de la monnaie officielle frappée dans les ateliers de Rome, circulaient des monnaies provinciales, dont l’équivalence était réglementée.

25. Avant l’Edit de 212, on distingue les habitants qui ont reçu la citoyenneté romaine et les autres, les pérégrins, soumis aux droits locaux. A cette époque le droit local est applicable dans toutes les affaires privées. Mais il existe une sorte d’ordre public romain, applicable à tous, ainsi qu’un ensemble de textes d’origine provinciale servant à régir la circulation des personnes, la vie collective. Il y avait donc superposition entre les droits locaux, considérés comme des règles juridiques n'ayant pas valeur législative 70, et la

68 - MOATTI (C.), L’expérience romaine, in : L’harmonisation du droit des contrats en Europe, op. cit. , p. 11.

69 - Le grec et le latin étaient les deux langues de l’Empire, il existait même une double chancellerie à Rome : voir : SARTRE (M.), L’Empire romain comme modèle, Commentaire, 1992, n°57, p. 31.

70 - GAUDEMET (J.), La loi et la coutume à Rome, in : Travaux et recherches de l’Institut de droit comparé à l’Université de Paris XIII, VIème congrès de droit comparé, Hambourg, 1969, p. 52. Pour plus de détails : GAUDEMET (J.), Droit privé romain, Montchrestien, Domat, Paris, 2ème éd., 2000, 429 p.

législation romaine obligatoire. Cicéron 71 résume bien cette dualité : selon lui il existait pour chaque nouveau citoyen deux patries ; l’une de droit, la citoyenneté romaine, l’autre de nature qui exprimait la diversité de l’empire. L’édit de Caracalla, en 212, attribue la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire, pour des raisons politiques, sociales et surtout fiscales. Cela n’a pas entraîné l’unification des droits, chacun est resté soumis à ses obligations antérieures ; d’autres, s’y sont simplement ajoutées. La citoyenneté locale définissait encore l’origine des sujets en même temps que son statut juridique. La « citoyenneté », dissociable par essence de l’origine ethnique, géographique, linguistique, a permis de faire l’unité entre ces hommes d’origines, de cultures différentes.

26. Le droit romain qui s’appliquait à tous les citoyens romains sans être imposé aux nouveaux sujets, peut donc être désigné comme un ordre juridique qui s’est superposé, sans les détruire, aux diverses histoires de chacun. C’était une façon de situer la

« romanité » du côté de l’abstraction, de celui de la forme, le jus commune exprimant des valeurs de civilisation. Ainsi ont coexisté pendant près de trois siècles, le droit grec, le droit juif ainsi que différents droits locaux dont on a oublié le nom, et ce pluralisme juridique ne semble pas avoir rencontré de problème insurmontable. C’est ce qui a permis aux spécialistes de déclarer que l’empire romain a « trouvé ailleurs que dans l’uniformisation le ferment de son unité » 72. Notons, quand même, que les distances étant immenses et les populations d’une extrême diversité, le pluralisme romain était une vraie nécessité, d’autant que l’administration romaine était, de l’avis des spécialistes, d’une relative faiblesse quantitative. Comme le souligne le professeur Oppetit le « jus commune correspondait non pas tant à un ensemble de règles de droit matériel qu’à une manière commune d’appréhender les problèmes, susceptible de féconder les solutions législatives et coutumières et d’en assurer la cohérence » 73. Encore célébré à l’époque contemporaine 74, le modèle romain est caractérisé par l’absence d’uniformisation, par « l’enchevêtrement des droits » 75. Le jus commune romain s’est fondé sur une méthodologie, un raisonnement qui constitue le modèle idéal pour les rédacteurs des principes du droit européen du contrat. Cependant, étant idéal, le modèle romain est un modèle purement théorique qu’il convient de relativiser : deux systèmes qui ont vingt et un siècles d’écart sont difficilement comparables. Plusieurs expériences d’élaboration d’un droit commun des contrats ont vu le jour à l’époque contemporaine. Ces expériences constituent des modèles pratiques réels pour les principes rédigés par la Commission Lando.

71 - CICERON, De legibus, II, 2, 5.

72 - MOATTI (C.), L’expérience romaine, op. cit., p. 11.

73 - OPPETIT (B.), Droit commun et droit européen, op. cit., p. 312.

74 - Voir par exemple le bel hommage qui lui est rendu par le professeur Philippe Malaurie en 2000.

MALAURIE (P.), Droit romain des obligations. Droit français contemporain des contrats et l’Europe d’aujourd’hui, JCP, 19 juillet 2000, n°29, pp. 1415-1421.

75 - SARTRE (M.), L’Empire romain comme modèle, op. cit., p. 29.