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270. Les contrats conclus avec les consommateurs sont, le plus souvent, des contrats d'adhésion : ces derniers donnent une appréciation globale sur un contrat dont le contenu est entièrement prédéterminé par le professionnel. Le consommateur n'ayant pas la faculté de négocier le contrat, le professionnel sera tenté d'y inclure des clauses créant un déséquilibre significatif à son profit. En outre, la plupart des consommateurs ne font que peu de différences entre les documents contractuels qui leur sont proposés par les professionnels et les textes législatifs ou réglementaires. Ce respect de l'écrit, cette forme de timidité les empêche de contester une ou des clauses qui pourraient leur sembler injuste.

271. Selon la tradition individualiste il appartient à chacun de veiller à la défense de ses propres intérêts. Cette tradition a justifié pendant longtemps l'insuffisance des remèdes prévus par le droit civil pour protéger le consommateur. Le droit Allemand au contraire, par l’utilisation de théories comme celle de la lésion ou par l'application du principe de bonne foi 655, permet d'annuler les dispositions d'un contrat qui sont particulièrement déséquilibrées et ceci quelle que soit la qualité du cocontractant. Alors qu'en Allemagne, un contrat peut être annulé si la prestation de l'une des parties est disproportionnée par rapport à la prestation de l'autre, les dispositions du Code civil français relatives aux vices du consentement, la théorie

655 - § 242 du BGB.

de l'erreur 656 celle du dol 657 ou encore de la violence 658 ne trouvent que très rarement à s'appliquer dans les litiges de la consommation 659. Comme en témoignent fort justement Messieurs Trochu, Trémorin et Berchon 660 à propos du recours au contrôle de droit commun en droit français : « Sans doute […] sera-t-il souvent bien imparfait. Sans doute, faudra-t-il parfois reconnaître au juge, dans l’intérêt de la cause du consommateur, une certaine hardiesse dans son application de la théorie de l’erreur ou du dol, dans sa détermination d’un consentement certain, dans son expression, mais inexistant dans sa réalité profonde. Sans doute faudra-t-il laisser le juge torturer à l’extrême la notion de cause pour arriver à en dégager l’inexistence. Sans doute encore, faudra-t-il le laisser s’engager dans le domaine mouvant d’une obligation d’équité dans les contrats, tirée d’une lecture divinatoire de l’article 1135 du Code civil, ou le laisser invoquer en désespoir de cause un ordre public aux contours incertains […] ».

272. Face au double constat de la multiplication des contrats d'adhésion et de l'insuffisance du droit commun pour protéger le consommateur, le schéma contractuel classique a dû évoluer.

Aujourd'hui les législations nationales tiennent compte des inégalités de fait entre les parties et particulièrement entre professionnel et consommateur et constituent de ce fait, des atteintes au principe de la liberté contractuelle, au nom de « l' ordre public de protection » 661.

656 - L'erreur, régie par l’article 1110, pourrait, en théorie, constituer une cause d'annulation d'un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Cependant l'erreur du consommateur se révèle assez fréquemment inexcusable et ne peut donc pas être retenue par le juge pour annuler le contrat. On rappellera utilement la rédaction toute négative de l’article 1110 du Code civil français: « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point cause de nullité, lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ».

657 - Article 1116 du Code civil : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé ». La notion aurait parfaitement pu protéger un consommateur ayant conclu trop précipitamment face un professionnel employant des techniques agressives.

Mais la jurisprudence française s'est toujours montrée indulgente envers ce qu'elle qualifie de dolus bonus, une tromperie commerciale largement admise et ne pouvant pas entacher un contrat de nullité.

658 - La violence, est définie contrainte extérieure exercée sur la volonté d'une personne pour l'amener à donner son consentement (article 1111 à 1115 du Code civil). Même s’ il est admis qu’elle puisse être morale et même si l'on a pu constater une tendance à prendre en considération la situation de dépendance économique de l'une des parties, l'exigence d'une gravité suffisante de la violence exercée interdit bien souvent l'application de ces dispositions aux litiges de la consommation.

659 - Concernant l'exigence d'une cause pour toute obligation, posée en France par l'article 1131 du Code civil, elle n'implique pas, dans les contrats entre un professionnel et un consommateur que les prestations des deux parties soient équivalentes : il doit simplement exister des obligations réciproques, ce qui est toujours le cas dans ce type de contrat. Parallèlement, les dispositions relatives à la valeur de l'objet du contrat, et plus précisément celles concernant la rescision pour lésion, ne trouvent que très exceptionnellement à s'appliquer en droit français, qu'il s'agisse d'un contrat de consommation ou non.

Enfin, le principe de bonne foi, s'il est essentiel à notre droit, n'en est pas pour autant une technique juridique autonome et ne permet pas, en principe, d'annuler les dispositions d'un contrat, fût-il conclu avec un consommateur.

660 - TROCHU (M.) TREMORIN (Y.) BERCHON (P.), La protection des consommateurs contre les clauses abusives : deuxième partie - le contrôle de l’équilibre contractuel, op. cit., pp. 258-259.

661 - Sur cette notion on lira utilement : COUTURIER (G.), L’ordre public de protection - heurs et malheurs d’une vieille notion neuve, in : Etudes offertes à Jacques Flour, Répertoire du notariat Defrénois, Paris, pp.

95-115

273. Les dispositions du droit communautaire, quant à elles, se sont développées de deux manières différentes. Dans un premier temps l'approche a été négative. Le concept de protection du consommateur a initialement été utilisé au même titre que la protection de l'environnement ou l'efficacité des contrôles fiscaux ou encore de la loyauté des transactions commerciales comme constituant une exigence impérative justifiant une dérogation à l'article 30 du Traité de Rome 662. Ce qui nous permet d’affirmer, à l'instar du professeur Calais-Auloy, qu'à cette période, la protection du consommateur ne constituait qu’un « sous produit » de la libre circulation 663. Compte tenu des limites d'une protection exclusivement liée à la libre circulation des marchandises, et parce que les évolutions commerciales ont commencé à en faire sentir la nécessité, l’approche positive a pris le pas. Dans l'objectif d'effacer les disparités qui existaient entre les législations des Etats membres, le législateur communautaire a adopté un nombre important de textes dans des domaines aussi variés que la publicité, la responsabilité du fait des produits, l’accès à la justice, les contrats à distance, les contrats conclus en dehors des établissements commerciaux, les clauses abusives, le crédit à la consommation…

274. Les textes communautaires intervenus directement dans la sphère contractuelle ont, à leur tour, porté atteinte au dogme de l'autonomie de la volonté dans le but de protéger les intérêts du cocontractant consommateur, ce qui a pu faire dire à certains que le droit communautaire participe lui aussi au « saccage de droit civil » 664. Les interventions du législateur communautaire, prenant en cela exemple sur ses homologues nationaux supposent que le consommateur est « incapable, dans un cadre économique et juridique qui l’écrase, d’une volonté et d’une lucidité véritables » 665. Cette assimilation, que l’on pourrait considérer péjorative, a une vocation protectrice. Le but est de permettre à celui-ci de donner un consentement éclairé, libre et réfléchi. Dans cet objectif, les législations nationales ont développé le formalisme informatif et l'obligation d'information pré-contractuelle et instauré des procédés spécifiques permettant la réflexion du contractant. Mais au-delà de la protection

662 - Selon la formule issue du fameux arrêt de la CJCE : 20 février 1979, Rewe-Zentral AG, aff 120/78, Rec. p.

649.

663 - CALAIS-AULOY (J.), Un code européen de la consommation, in : Vers un droit européen de la consommation, in : OSMAN (F.), Vers un Code européen de la consommation, actes et débats du colloque de Lyon des 12 et 13 décembre 1997, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 404.

664 - Cité dans : TROCHU (M.) TREMORIN (Y.) BERCHON (P.), La protection des consommateurs contre les clauses abusives - Etude de la législation française du 10-1-1978, op. cit. , p. 41.

665 - TROCHU (M.) TREMORIN (Y.) BERCHON (P.), La protection des consommateurs contre les clauses abusives : deuxième partie - le contrôle de l’équilibre contractuel, op. cit., p. 254.

du consentement, modalité classique de la protection de la partie faible au contrat, le législateur communautaire a opéré une véritable normalisation du contenu même du contrat.

275. Il faudra limiter l’étude aux textes qui exercent une influence significative, que cette influence soit par ailleurs, directe ou indirecte, ce qui nous conduira à écarter certains textes tels que les directives relatives à la publicité trompeuse et comparative 666, à l'étiquetage des produits, ou encore à la responsabilité du prestataire de service, et enfin les textes concernant l'accès des consommateurs à la justice, n'ont à nos yeux que trop peu d'influence sur la relation contractuelle au sens strict pour justifier une analyse dans le cadre de notre étude.

276. La Commission européenne le reconnaît elle-même, la protection des consommateurs par le droit communautaire « est confrontée à un ensemble fragmenté de réglementations » 667. La solution qui consisterait à adopter une directive-cadre afin d’harmoniser les règles nationales de loyauté des pratiques commerciales entre entreprises et consommateur, si elle est sérieusement envisagée, n’a pas encore abouti. Il semble dès lors inadéquat, voire quelque peu malhonnête de présenter l’ensemble des solutions communautaires selon une approche synthétique. Non pas que la synthèse ne soit pas réalisable, nous tenterons précisément de prouver le contraire, mais elle ne correspond pas à l’objectif de cette étude qui est de présenter une image fidèle de l’intervention communautaire en matière de contrats passés entre profanes et professionnels. Seront donc abordés successivement la protection générale des droits du contractant profane, par l’intermédiaire de la directive sur les clauses abusives (Chapitre 1) et l’ensemble des protections spécifiques (Chapitre 2) à des secteurs ou des techniques contractuelles déterminés.

666 - Directive 84/450, du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité trompeuse, JOCE du 19/09/1984, n° L-250, p. 17. Directive 97/55, du 6 octobre 1997, modifiant la directive 84/450/CEE sur la publicité trompeuse afin d’y inclure la publicité comparative, JOCE du 23/10/1997, n° L-290 p. 18. Il convient de noter que certains auteurs ont pu légitimement inclure ces dispositions dans une étude relative au droit des contrats, voir en ce sens : HUET (J.), Les sources communautaires du droit des contrats, PA, 21/03 1997, n° 35, pp. 8-13.

667 - Livre vert sur la protection des consommateurs dans l’Union européenne, du 2 octobre 2001, COM (2001) 531 final, p. 4.

Chapitre 1