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B – La directive sur les clauses abusives

89. La directive sur les clauses abusives 223 constitue le texte revêtant le caractère le plus horizontal, puisqu’il ne s’applique ni à un type de contrat particulier ni à un mode de conclusion des contrats spécifiques. Mais, comme pour les directives précédemment citées, les dispositions du texte s’appliquent uniquement lorsque l’un des contractants est un consommateur 224. Le contenu des dispositions de la directive, les mécanismes utilisés pour la protection contre les clauses abusives se rapprochent des règles des droits communs nationaux.

Le texte impose un certain formalisme informatif, contient une règle d’interprétation des contrats bien connue des droits nationaux, le principe contra proferentem, aussi contenu dans le Code civil français comme dans les principes du droit européen du contrat. La nullité vient sanctionner les clauses réputées abusives, et le texte régit le sort du contrat qui contient de telles clauses. Les similitudes de domaine et de nature sont fortes entre le texte de la directive et les règles générales du Code civil français ou du BGB allemand. La tentation est grande

219 - Considérant n°18 de la directive 2000/35.

220 - Article 10 de la directive 2000/35.

221 - Article 11 de la directive 2000/35.

222 - C’est ce qui ressort de la formulation suivante : « les Etats membres veillent à ce que, sauf si les parties qui ne sont pas des consommateurs en ont convenu autrement, […] ».

223 - Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, JOCE du 21/04/93, n° L-95 pp. 29-34. Voir : annexe B de la thèse.

224 - Article 1 de la directive 93/13.

d’admettre que la directive 93/13 représente un des éléments constitutifs du droit commun des contrats. D’autant que, si le champ d’application « virtuel » des directives « contrats à distance » et « contrats négociés en dehors des établissements commerciaux » était assez restreint, la situation est différente concernant la directive « clauses abusives ». Celle-ci vise à protéger un contractant lorsque celui-ci n’a pas été mis en mesure de négocier les clauses contractuelles auxquelles il a adhéré. Les dispositions de la directive communautaire s’appliquent donc aux clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle. Ce type de dispositions se retrouve dans les contrats dits « contrats d’adhésion », particulièrement répandus dans les contrats de consommation, mais ne sont pas exclusivement contenues dans ceux-ci. En raison du développement de la dépendance économique, les contrats d’adhésion se sont aussi développés dans les relations entre professionnels, la distribution étant leur domaine de prédilection. C’est pourquoi certains droits nationaux protègent tous les contractants contre les clauses abusives, indépendamment de la qualité de consommateur, dès lors que l’on se trouve en présence d’un contrat d’adhésion 225. La plupart des droits nationaux ont, en ce sens, transposé la directive communautaire dans le cadre des dispositions générales de leur droit des contrats. La loi de transposition française figure aussi bien dans le Code de la consommation que dans le Code civil, et la plupart des auteurs traitent de la protection contre les clauses abusives dans les manuels consacrés au droit commun des contrats. La directive « clauses abusives », possède donc des caractéristiques qui pourraient en faire un élément du droit commun des contrats : la nature des règles qu’elle édicte qui se rapprochent comme aucunes autres de celles des droits communs des Etats membres, et sa

« potentialité à la généralisation ». Dans une moindre mesure, la même remarque peut être faite pour les directives protégeant le consommateur lors de la conclusion de contrats par la voie d’une technique spécifique.

90. Cette constatation amène à se poser la question de la place des règles protectrices des consommateurs dans le droit des contrats. S’appliquant exclusivement à certains contrats, ceux conclus par des consommateurs, ces règles sont empreintes de particularisme et semblent n’être que des règles spéciales. Mais, servant le plus souvent de fondement à des dérogations aux règles du droit commun et s’appuyant sur des mécanismes empruntés à celui-ci (obligation d’information, droit de rétractation…) ces règles peuvent logiquement être regardées comme des règles générales. La doctrine d'influence romano-germaniste parvient difficilement à trouver une place autonome aux règles protégeant le contractant-consommateur et concluent, le plus souvent, qu’il s’agit de « règles à mi-chemin de la théorie générale et des règles spéciales » 226. En ce sens, l’influence du droit communautaire sur les droits nationaux est

225 - C’est le cas du droit civil allemand depuis la loi du 9 décembre 1976. Le nouveau Code civil du Québec ne distingue pas non plus en fonction de la qualité de consommateur et étend la protection contre les clauses abusives à tous les contrats d’adhésion. Le droit anglais, quant à lui, ne limite pas la lutte contre les clauses abusives aux seuls contrats d’adhésion, mais sanctionne de façon générale les clauses déloyales. En ce qui concerne la solution française, voir : §288.

226 - HUET (J.), Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, Paris, 2ème éd., 2001, p. 12.

réelle : source de nombreuses règles consuméristes, il ne se contente pas de s’inscrire dans la tendance actuelle à la spécialisation du droit des contrats mais participe activement à la relativisation de la distinction entre droit commun et droit spécial. Ce lien entre droit communautaire et droit national des contrats méritait d'être souligné en dépit de toutes les critiques qu'il ne cesse d'entraîner. Mais il s’agit d’une question qui dépasse largement le cadre de cette étude et nous ne pouvons que constater l’existence de textes « à la frontière du droit commun des contrats » même si on ne peut que regretter que le législateur communautaire n’ait pas envisagé de protéger les contractants sans passer par le filtre réducteur de la qualité de consommateur.

91. Dans ces conditions, certains développements de la communication de la Commission du 11 juillet 2001 peuvent laisser perplexe. L’annexe III du texte, intitulée « Structure de l’acquis et instruments internationaux pertinents ayant force obligatoire », l’institution communautaire rassemble sous la forme d’un texte unique l’ensemble des dispositions communautaires qui influencent les relations contractuelles. Ces textes sont regroupés sous différentes rubriques rappelant de façon évidente celles qui composent les droits communs nationaux. C’est ainsi que sont évoqués la conclusion du contrat, sa forme, l’obligation d’information, l’inexécution du contrat et la réparation en cas de violation des obligations contractuelles. Par ailleurs, il faut remarquer que la Commission fait précéder le résumé des dispositions communautaires relatives à chacun des thèmes cités, des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. Outre le fait que ce texte ne vise que la vente et non l’ensemble des contrats, on ne peut que constater que le rapprochement opéré est particulièrement osé. Il découle, en effet, des développements précédants qu’il est pour l’heure impossible d’affirmer l’existence d’un droit commun contractuel sur le plan communautaire. On ne peut donc qu’en déduire que la Commission entend par-là affirmer l’existence d’un « embryon » de droit commun, qui pourrait servir de base à l’évolution future de l’intervention communautaire en la matière. Cette vision plus modeste permet, en outre, à la Commission de justifier, a priori, l’ensemble des actions qu’elles pourra engager dans le futur, concernant le droit des contrats.

92. Pour autant que l’on admette l’existence de textes communautaires pouvant être assimilés à des éléments constitutifs d’un droit commun des contrats, il faudrait encore que ces règles puissent justifier d’une certaine unité. Les règles du Code civil français et peut-être, dans une moindre mesure, celles du BGB allemand sont soumises à un ordonnancement précis. Et même la jurisprudence anglaise relative au droit des contrats revêt une certaine unité. En ce sens, quelques dispositions contenues dans des textes épars, rédigées sans volonté d’intégration, ne sauraient constituer un véritable droit commun. Celui-ci suppose un ensemble hiérarchisé ou au minimum une réelle cohérence. Force est donc, pour l’instant, de conclure qu’il n’existe aucun texte communautaire, aucun ensemble de textes ou de décisions de justice

que l’on puisse comparer aux articles du Titre troisième du Livre III du Code civil français, ni même aux dispositions des principes Lando. Sans négliger pour autant les dispositions existantes, il faut affirmer, à l’instar d’un observateur averti, que « le droit communautaire ne touche guère aux principes fondamentaux du droit des contrats. La théorie générale […] est intacte » 227. Ce constat n’est pas sans conséquences sur l’ordre juridique communautaire.

§2 - Les consÉquences DE CE CONSTAT

93. Les conséquences de l’inexistence de règles matérielles de droit communautaire régissant de façon générale tous les contrats indépendamment de leur nature sont à la fois d’ordre théorique (I), qui affaiblissent la notion de droit communautaire des contrats et pratique (II).

I - La conséquence théorique : l’affaiblissement de la notion de droit communautaire des contrats

94. Il convient tout d’abord de constater combien il est difficile a priori d’accorder du crédit à un corps de règles influençant de manière volontaire et active le droit des contrats et qui ne donne aucune définition textuelle précise de la notion de « contrat ». En l’absence d’un texte cadre, c’est dans les textes composant « l’acquis communautaire » dans le domaine du droit privé, que l’on a cherché une telle définition. Or, aucun de ces textes ne définit, à proprement parler, la notion de contrat, et même les références qui sont faites à cette notion-clé dans les règles relatives à l’interdiction des ententes entre entreprises n’emportent pas non plus de définition. La portée d’une telle lacune est immense au point de vue théorique. Il semble difficile d’affirmer l’existence d’un droit qui ne définit pas de façon précise son propre objet.

Il convient pourtant de réduire la portée d’une telle lacune. D’une part, si la notion n’est pas définie spécifiquement par les textes communautaires, les dispositions matérielles que ceux-ci contiennent devraient permettre, en pratique, d’éviter que se crée une confusion. Les contrats visés par le droit communautaire sont toujours des conventions créant des obligations réciproques entre les parties. Il convient de noter que ni les principes Unidroit ni les principes Lando qui constituent pourtant des modèles de droit commun, ne se livrent à l’exercice de la définition de la notion de contrat. C’est probablement qu’acte universel par essence, le contrat a reçu, dans tous les systèmes juridiques, une définition dotée d’effets similaires. Ce qui diffère réellement n’est pas tant la définition que donnent les différents Etats à la notion de

227 - HUET (J.), Les sources communautaires du droit des contrats, in : Le renouvellement des sources du droit des obligation, Travaux de l’Association H. Capitant, LGDJ, 1997, p. 13.

contrat, que les conditions dans lesquelles ils considèrent que le contrat est valablement conclu.

95. Au-delà de cette lacune méthodologique, c’est l’inexistence de règles générales relatives à la formation, à la validité et aux effets des contrats qui importe. Le constat forcément négatif qui doit être fait concernant l’idée d’un droit commun des contrats au plan communautaire contribue activement à mettre en doute l’existence du droit communautaire des contrats. Aux yeux des juristes de tradition romano-germaniste, les règles spéciales sont dénuées de toute pertinence si elles ne peuvent s’inscrire dans un corpus ordonné et cohérent. C’est pourquoi l’ensemble des droits des Etats membres disposent d’un certain nombre de règles, plus ou moins nombreuses, plus ou moins détaillées, qui régissent la formation, la validité et les effets du contrat en général ; même le droit britannique des contrats, qui pourtant ignore la distinction entre droit spécial et droit commun, est fondé sur ce type de règles. Cette absence, à elle seule, cause l’incrédibilité de la notion de « droit communautaire des contrats ». Selon E.

Lambert il faut à tout système juridique « des principes directeurs […] règles générales et des constructions juridiques autour desquelles puissent se grouper les solutions de détail », afin que soit préservée « dans la mesure du possible l’harmonie générale du droit » 228. C’est le sens de la critique faite par le professeur Oppetit qui refuse de voir dans les règles du droit communautaire les empreintes du jus commune romain qui était véritablement construit comme un ensemble hiérarchisé. En droit français, le Code civil, la doctrine et l’enseignement universitaire s’ordonnent autour de la distinction entre droit commun et règles spéciales. Il est donc facile de comprendre l’indifférence, voire le mépris, qu’affichent de nombreux auteurs à l’égard d’un ordre juridique qui prétend réglementer les relations contractuelles en dehors du cadre du droit commun des contrats.

96. Pour réduire l’impact de cette lacune sur l’ensemble des dispositions communautaire, il faut impérativement sortir d’un raisonnement purement national. Il est évident qu’au regard du droit civil français et plus largement des droits d’inspiration romano-germaniste, assez largement dogmatiques, les dispositions existantes du droit communautaire sont vouées à l’incompréhension et à l’indifférence. Mais dans une conception plus proche d’une politique d’harmonisation, empreinte de pragmatisme, l’incidence des lacunes purement théoriques se révèle beaucoup plus limitée. En revanche, les conséquences pratiques d’une telle situation sont nettement plus invalidantes pour un système qui prétend faciliter les échanges entre Etats membres.

II - Les conséquences pratiques

228 - LAMBERT (E.), Une réforme nécessaire des études de droit civil, Revue internationale d’enseignement, 1900, t. 40, p. 240.

97. A défaut d’harmonisation du droit matériel, le risque d’insécurité juridique (A) qui ne peut manquer de ce faire jour entraîne inévitablement le recours aux palliatifs traditionnels que représentent les règles du droit international privé et du droit judiciaire de l’Union européenne (B).