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50. Les différents textes régissant le droit commun des contrats dans les Etats membres contiennent, dans leurs toutes premières dispositions, des règles relatives à la capacité de contracter, d’une part, et à l’objet du contrat du contrat, d’autre part. Ces dernières permettent de sanctionner les contrats contenant des clauses immorales ou contraires à l’ordre public. C’est ainsi que malgré le principe de la liberté contractuelle, le droit français interdit certains contrats portant sur le commerce du corps humain. Les rédacteurs des principes n’ont pas entendu traiter de l’illégalité du contrat, ni de l’incapacité des parties ni même de l’immoralité du contrat, laissant ces questions à la seule appréciation des droits nationaux 112. Ils ne traitent pas non plus de la question de la cause de l’obligation contractuelle chère au droit français. Ce faisant, ils affichent une neutralité apparente sur des questions éminemment subjectives, intimement liées aux choix historiques et culturels des Etats auxquels ils s’adressent, et se montrent a priori détachés des questions de justice et d’équilibre contractuel.

51. Comme dans tout texte constituant un droit commun du contrat, les vices du consentement, l’erreur, le dol et la contrainte sont abordés tour à tour dans le chapitre 4.

L’erreur de droit et l’erreur de fait sont admises comme cause de nullité du contrat. Il faut pour cela que l’erreur ait été causée par une information donnée par l’autre partie qui doit avoir connu ou aurait dû avoir connaissance de l’erreur. L’hypothèse où les deux parties ont commis la même erreur est aussi envisagé : dans un esprit encore une fois très pragmatique, il est prévu que l’une des deux parties peut demander au tribunal de mettre le contrat en accord avec ce qui aurait raisonnablement été convenu en l’absence d’erreur. La nullité du contrat ne peut être soulevée que si cette dernière savait ou aurait du savoir l’importance que le cocontractant attachait au point entaché de l’erreur. C’est le cas lorsque, si cette partie avait connu la vérité, elle se serait engagée dans des conditions fondamentalement différentes. Il s’agit ici de ce que le droit français traite sous l’expression de substantialité de l’erreur et que les principes nomment « erreur fondamentale » sans que l’on puisse pour autant entendre les deux expressions de manière parfaitement identique. Très logiquement l’erreur ne peut pas être invoquée si elle est inexcusable ou si la victime était censée en assumer le risque en vertu des circonstances.

Le principe de dommages et intérêts est acquis à l’exclusion du cas où la partie qui a donné

112 - Article 4.101 des Principes.

l’information est de bonne foi 113. Une partie est fondée à demander la nullité du contrat dès lors que l’autre, par des manœuvres dolosives, en paroles ou en actes, a déterminé la conclusion du contrat 114. Le terme « dolosif » signifie classiquement « destiné à tromper ».

Le dol qui résulte d’une omission frauduleuse est lui aussi envisagé. Dans ce cas, on tient compte des connaissances techniques de chacune des parties, de la possibilité et du coût de celle-ci de se procurer l’information et enfin de l’importance de l’information en cause. La conclusion d’un contrat sous contrainte fonde la partie qui en est victime à en demander la nullité 115. Le terme de contrainte est défini comme une « menace imminente et grave » d’un acte qui est en soi illégitime ou dont l’usage est illégitime pour obtenir la conclusion du contrat, ce qui le rapproche du « mal considérable et présent » qui définit la violence en droit français 116, tout en étant plus large. Ainsi les règles relatives aux vices du consentement sont traitées de manière extrêmement classique par la Commission Lando.

Cette neutralité s’explique par la nature même des vices du consentement : l’erreur, le dol et la violence sont des concepts qui se prêtent difficilement à l’innovation et qui sont d’ailleurs réglementés de façon sensiblement identique dans les différents Etats européens.

Fait remarquable, le droit pour une partie d’annuler un contrat entaché de l’un des vices du consentement, ne nécessite pas qu’un tribunal soit saisi. Ce droit s’exerce par le biais d’une notification unilatérale. Le rôle du juge est limité dans le but de résoudre plus rapidement le litige, ce qui s’inscrit parfaitement dans la vocation économico-commerciale des textes d’harmonisation du droit des contrats. Les Principes Unidroit contiennent le même type de dispositions tendant à faire reculer l’importance du règlement judiciaire des litiges 117.

52. Les règles concernant la détermination du prix méritent d’être citées. Les articles 6.104 à 6.106 régissent la situation dans lesquelles les parties sont d’accord pour être liées contractuellement mais sans pouvoir déterminer avec précision l’un des éléments de la convention. Classiquement, les Principes exigent que le prix soit déterminé lors de la conclusion du contrat et dans le cas contraire « les parties sont censées être convenues d’un prix raisonnable ». Mais il est implicitement prévu que la validité du contrat n’est pas affectée par le fait que les parties se sont mis d’accord sur le fait que l’une d’entre elles puisse fixer le prix de façon unilatérale. Cette solution n’est pas admise par l’ensemble des Etats membres 118. Ses modalités d’application sont par ailleurs originales. Tout d’abord la

113 - Article 4.106 des Principes.

114 - Article 4.107 des Principes.

115 - Article 4.108 des Principes.

116 - Article 1112 du Code civil.

117 - Article 3-14 du texte des Principes Unidroit.

118 - Ainsi l’Espagne, le Luxembourg et l’Italie n’admettent pas la détermination du prix par l’une des parties. La France le refuse traditionnellement, mais des tempéraments sérieux ont eu lieu depuis une série d’arrêts de la Cour de cassation. Cass. Ass du 1er décembre 1995 : D., 1996, p. 17, note Aynès ; JCP, G, II, 22565, note Ghestin, RTDCiv, 1996, p. 153, note Mestre. Sur cette jurisprudence, voir : La détermination du prix : nouveaux enjeux-un an après les arrêts de l’Assemblée plénière, extrait n°1-1997 de la RTDCom, sous l’égide du CEDIP et de l’Université de Montpellier, Thème et commentaires, Dalloz, 1997.

faculté de détermination unilatérale ne se limite pas au prix mais s’étend à « tout autre élément du contrat » ce qui dépasse largement le cadre de ce qui est admis par le droit français. Par ailleurs, lorsqu’il résulte que cette détermination est « manifestement déraisonnable », le juge intervient pour rectifier cet état de fait s’arrogeant ainsi le pouvoir de refaire le contrat. Cette solution, qui revêt un caractère impératif, dénote avec les dispositions françaises applicables en la matière qui selon l’expression du professeur Mazeaud ne reconnaissent « qu’un pouvoir détourné et indirect au juge de réequilibrer le contrat en accordant des dommages-intérêts à la victime de l’abus » 119. Conformément à la plupart des droits nationaux, l’article 6.106 valide la possibilité pour les parties de désigner un tiers chargé de la détermination du prix ou de tout autre élément du contrat.

L’intervention du juge est aussi prévue lorsque ce dernier ne peut ou ne veut procéder à la détermination, le tribunal ayant le pouvoir de désigner un remplaçant 120. Cette solution prévaut dans certains Etats 121, alors que d’autres donnent au tribunal le pouvoir, dans ces conditions, de déterminer le prix 122. L’article 1592 du Code civil français, au contraire, prévoit la nullité du contrat dans un pareil cas. La Cour de cassation française estime que la désignation d’un nouveau tiers « ne peut être faite par le juge, dont l’intervention, non prévue dans la convention, se trouverait ainsi imposée pour la perfection du contrat, là où la loi n’a voulu que l’action libre et exclusive des parties » 123. Dans le cas où le tiers aurait déterminé le prix de manière « manifestement déraisonnable », le texte accorde au juge le pouvoir de procéder à la rectification. Cette solution est aussi opposée au droit français. La jurisprudence estime qu’en « remettant à l’estimation d’un tiers, conformément à l’article 1592 du Code civil, la fixation de ce prix, les parties ont fait de sa décision leur loi et (…) à défaut d’allégation d’erreur substantielle ou de dol, il n’appartient pas aux juges, en la modifiant, de leur imposer une convention différente de celle qu’elles avaient établie » 124. On peut conclure avec le professeur Mazeaud qu’entre le droit français et les dispositions européennes « la différence n’est donc pas simplement de degré mais de nature », car si dans le droit français « l’intervention du juge canalise les débordements de la volonté unilatérale » dans le droit issu des principes « le pouvoir judiciaire se substitue à la volonté unilatérale ; ici le juge corrige une volonté abusive, là, le juge complète, voire conçoit le contrat » 125. La diversité des solutions nationales relatives à la détermination du prix, liées par essence au traitement que les différents droit accordent à la notion d’objet du contrat, a obligé les rédacteurs des principes à faire des choix. Si ces choix heurtent les principes

119 - MAZEAUD (D.), La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, op. cit. , p. 153.

120 - Article 6.106 des Principes.

121 - C’est le cas en Belgique et aux Pays-Bas.

122 - L’Allemagne, la Grèce, l’Italie et le Portugal.

123 - Cass. Civ. , 25 avril 1952, RTDCiv 1952, p. 515, obs. Carbonnier.

124 - Cass. Com, 6 juin 1950, Bull. civ., II, n° 205, p. 141 ; Cass. Com., 29 juin 1981, Bull.civ. , IV, n°298.

Cass. Com, 14 décembre 1999, RTDCiv, 2000, p. 318. L’article 1592 du Code civil français dispose : « [le prix] peut cependant être laissé à l’arbitrage d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente ». Le droit anglais prévoit une solution similaire.

125 - MAZEAUD (D.), La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français op. cit. , p. 153.

applicables dans certains Etats membres, et singulièrement l’esprit du droit français des contrats, il n’en demeure pas moins qu’ils ont le mérite de l’efficacité. Rédigeant un texte qui a pour but principal de faciliter les échanges commerciaux, les auteurs ont pris les options qui correspondaient le mieux à cet objectif.

53. Le langage du contrat, qu’il soit écrit ou oral, n’est souvent « qu’un véhicule imparfait de la pensée » 126 ; dès lors, à l’instar des droits nationaux, la Commission Lando a dû élaborer des règles régissant l’interprétation des dispositions contractuelles. Ces dispositions sont assez classiques. Selon une approche subjective visant à cerner la volonté réelle des contractants, il est prévu que le contrat s’interprète en fonction de la commune intention des parties, « même si cette interprétation s’écarte de sa lettre ». La volonté réelle des parties l’emporte donc sur leur volonté affichée, faisant ainsi triompher la liberté contractuelle. Il est recommandé à l’interprète de tenir compte des circonstances de la conclusion du contrat, de sa nature et de son but, du comportement des parties mais aussi des usages et de la bonne foi. Le principe de l’interprétation utile du contrat est affirmé.

L’approche subjective devenant objective, les Principes prescrivent l’usage de l’adage contra proferentem selon lequel, lorsqu’une clause est obscure et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, elle doit être interprétée contre celui qui l’a rédigée. Ce principe protecteur de la partie la plus faible, bien connu du droit français 127 repose sur l’idée de l’infériorité de l’adhérent vis-à-vis de celui qui a rédigé le contrat. Le principe a été intégré dans la directive communautaire sur les clauses abusives. Il a pour but de sanctionner la pratique courante qui consiste en la rédaction de clauses volontairement floues dans le but d’induire l’autre partie en erreur. Dans le même sens entre deux clauses contradictoires, celle qui aura fait l’objet d’une négociation individuelle prévaut 128. Tout en étant très classiques, les règles d’interprétation illustrent, qu’en prenant en compte le phénomène des contrats d’adhésion, les rédacteurs des Principes ont entendu s’assigner un objectif de justice contractuelle.