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57. C’est très certainement à travers le prisme du devoir de collaboration, vision dynamique du principe de bonne foi, que les Principes restaurent l’équilibre contractuel. Il est possible de citer dans ce sens, l’article 9.505 qui impose au créancier de faire son possible pour réduire le préjudice qu’il peut subir du fait de l’inexécution par le débiteur de son obligation. L’empreinte du devoir de collaboration entre parties contractantes est ici évidente : la bonne exécution du contrat ou plus exactement la moins mauvaise, doit être recherchée par les deux parties puisqu’il s’agit de leur intérêt commun. Par ailleurs, selon l’article 9.102 le débiteur n’est pas tenu d’exécuter en nature les obligations qu’il tient du contrat ou de son inexécution, lorsque ce type d’exécution comporte, pour lui, des efforts ou des dépenses « déraisonnables ». Cette disposition est le résultat d’un compromis entre Common Law et droit romain. En droit anglais, l’exécution forcée en nature ou Specific Performance, est d’usage exceptionnel ; il s’agit d’un « remède extrême » 135 en raison de la sévérité des sanctions qui découlent de la désobéissance du débiteur à cet ordre. Dans les pays d’inspiration romano-germaniste c’est le mode ordinaire d’exécution des obligations contractuelles autres que celles qui prévoient le paiement d’une somme d’argent. Les principes ont donc posé la règle de l’exécution en nature (article 9. 102-1) avant d’en envisager les exceptions. C’est dans ce cadre que l’article 9.102-2 régit le cas où cette exécution désavantagerait par trop le débiteur. Le caractère déraisonnable des efforts ou des dépenses à fournir ne reçoit pas de définition précise et dépend largement des circonstances de l’espèce. Afin de nous éclairer sur ce qu’il faut entendre par

« déraisonnable », les rédacteurs fournissent un exemple dans le commentaire qui suit la disposition 136. Notons au passage que l’utilisation répétée d’illustrations sous forme de cas d’école résulte de l’influence de la Common Law. Passant outre la question de la prédominance d’un modèle juridique sur l’autre il convient de constater l’importance pratique d’un tel procédé. Dans l’ignorance ou dans le doute, les contractants ou le tribunal se reporteront utilement aux exemples fournis pour résoudre le litige qui les occupe. Dans l’exemple qui nous concerne, il s’agit d’un contrat de vente portant sur un navire, avec promesse de le livrer au domicile de l’acquéreur. Durant le trajet, le navire est victime d’une collision et sombre par deux cents mètres de fond. Considérant que pour exécuter en nature son obligation le vendeur devrait renflouer le navire et que cette action engendrerait un coût quarante fois supérieur à la valeur du bien, on admet que cette exécution aurait un coût déraisonnable.

135 - BELLIVIER (F.) SEFTON-GREEN (R.), Force obligatoire et exécution en nature du contrat en droit français et anglais: bonnes et mauvaises surprises du comparatisme, in : Le contrat au début du XXIème siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, Paris, 2001, p. 96.

136 - Version française des Principes, op. cit., p. 184.

58. Mais c’est la théorie du changement de circonstances qui constitue sans doute l’application la plus éclatante de l’idée d’intérêt commun contractuel. L’article 6.111 reprend un principe que connaissent de façons différentes tous les Etats de l’Union. Le paragraphe 2 oblige les parties à renégocier le contrat dans le but de l’adapter, voire d’y mettre fin, dans le cas où l’obligation de l’une des parties est devenue onéreuse à l’excès en raison d’un changement de circonstances. L’objectif est d’éviter que les conséquences d’un tel changement ne pèsent sur une seule partie, il s’agit donc de l’aveu même des rédacteurs, d’une application de l’idée de « justice contractuelle » dont sont imprégnés les principes. On touche là à une des controverses les plus importantes du droit moderne des contrats puisque sont opposés le principe pacta sunt servanda qui implique l’immutabilité des conventions et la règle rebus sic stantibus qui peut justifier la révision des termes d’un contrat lorsque survient un bouleversement des données qui ont présidé à la conclusion de celui-ci. Ayant commencé par refuser la théorie de l’imprévision, la majorité des droits des Etats membres connaît et applique des dispositions similaires. Ainsi, si la Common Law exige en théorie que la partie victime d’un changement de circonstances exécute son obligation, sauf si une clause du contrat prévoit le contraire (clause dite de Hardship courantes dans les contrats à long terme), en pratique le juge anglais allège quand même la partie qui souffre du changement de circonstances. Quant au droit français, même si la Cour de cassation a, depuis l’affaire du Canal de Craponne 137, maintenu une jurisprudence très sévère rejetant la modification du contrat au motif d’un changement de circonstances en vertu du principe de l’intangibilité des conventions 138, force est de constater qu’au prix de tempéraments jurisprudentiels 139 et légaux 140, l’imprévision est régulièrement admise.

Dans un souci de fidélité aux modèles nationaux, à la pratique commerciale mais aussi à la justice contractuelle, la Commission Lando a donc inscrit cette règle dans le texte des principes du droit européen du contrat. Mais la longueur de l’article 6.111 témoigne des difficultés rencontrées. A l’instar des droits nationaux, l’admission du droit à renégociation est exceptionnelle. Le premier paragraphe de l’article 6.111 rappelle, en effet, qu’une partie est toujours obligée d’exécuter une obligation quand bien même elle serait devenue plus onéreuse. C’est le principe de la force obligatoire des contrats qui s’impose ici. Le principe de la renégociation est en outre introduit par le terme « cependant » ce qui atteste, s’il en était besoin, de son caractère dérogatoire. Pour entraîner une renégociation, le changement doit être intervenu après la conclusion du contrat et ne devait pas pouvoir être prévu. Dernière condition restrictive, la partie lésée ne doit pas, en vertu des dispositions du contrat, supporter le risque de ce changement. La possibilité de renégociation en cas de

137 - Cass. Civ., 6 mars 1876, D., 1876, I, p. 193, note Giboulot.

138 - Cass. Civ. 3ème, 14 octobre 1987, Bull. civ, 3, n°169.

139 - Au nom de la bonne foi et même de l’équité.

140 - En matière de rentes viagères, loi du 25 mars 1949 ou de baux commerciaux, décret du 30 septembre 1953.

changement de circonstances ne doit pas être confondue avec l’exonération en cas de survenance d’un élément venant rendre impossible l’exécution du contrat.

59. Ce dernier cas, envisagé par le droit français sous le terme de force majeure 141 et de Frustation of Contract en droit anglais, est caractérisé par l’impossibilité totale d’exécuter l’obligation et non l’augmentation des coûts liés à celle-ci. A l’instar du droit français 142, les principes Lando ont aussi envisagé cette hypothèse 143. L’article 3.108 prévoit l’exonération du débiteur lorsque son inexécution est due à un empêchement « qui lui échappe et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’il le prévienne ou le surmonte ou qu’il en prévienne ou surmonte les conséquences ». La frontière sera parfois très délicate à tracer entre l’avènement d’un empêchement insurmontable et celui d’un changement de circonstances rendant l’exécution onéreuse à l’excès. Des solutions recourant à un calcul de l’augmentation des coûts ont parfois été avancées, mais se révèlent délicates à appliquer en pratique. En définitive ce sera au juge chargé de l’application du contrat qu’incombera cette tâche.

60. Dans le cas du changement de circonstances, le juge sera amené à statuer si les parties n’ont pas su parvenir à un accord dans un délai raisonnable. Le tribunal pourra mettre fin au contrat ou le modifier en vue de l’adapter de façon équitable. Le juge a, en outre, le pouvoir d’attribuer une réparation à la partie victime du refus de négocier. Cette dernière précision nous amène à évoquer une des caractéristiques essentielles des principes Lando : le rôle important qu’ils confèrent au juge. Les juristes français dénoncent en chœur cette « confiance aveugle » 144 dans le pouvoir judiciaire, facteur essentiel du risque d’insécurité juridique. Le recours au juge est prescrit pour désigner un nouveau tiers afin de déterminer le prix ou tout autre élément du contrat (article 2.103) ce qui, on l’a dit, est proscrit en droit français en vertu du principe de l’autonomie de la volonté. C’est ce qui permet au professeur Mazeaud d’affirmer que « le contrat n’est plus le jardin secret des contractants, c’est une œuvre collective dans laquelle le juge tient un rôle qui peut être déterminant, un ménage à trois dont le juge est non seulement l’arbitre mais aussi un acteur parfois très actif » 145. Il convient tout de même de noter que cette image idéale des relations contractuelles a évolué en droit français et que le juge y exerce un pouvoir plus important aujourd’hui, dont il suffit pour s’en convaincre de citer son action dans le cadre

141 - Article 1148 du Code civil.

142 - On remarque la similarité des critères avec la force majeure française : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité de l’évènement.

143 - Pour une analyse détaillée, voir : PICHONNAZ (P.), L’exonération du débiteur malgré l’inexécution de son obligation selon les Principes du droit européen des contrats, in : L’européanisation du droit privé – Vers un Code civil européen ?, éd. Universitaires, Fribourg, 1998, pp. 179-202.

144 - MAZEAUD (D.), La Commission Lando : le point de vue d’un juriste français, op. cit. , p. 155.

145 - Ibid , p. 157.

de la protection contre les clauses abusives. Par ailleurs, force est de constater que la présence du juge résulte le plus souvent de l’emploi généralisé de concepts cadres que notre droit français connaît parfaitement, comme le recours à la raison ou à la bonne foi et auxquels il était impossible d’échapper dans une œuvre d’harmonisation. Le juge se trouve au contraire évincé comme dans le cas déjà évoqué de l’erreur, lorsqu’il s’agit de la résolution du contrat pour inexécution. Dès lors que l’inexécution porte sur une obligation essentielle, c’est-à-dire lorsque « la stricte observation de l’obligation est de l’essence du contrat » et qu’elle « prive substantiellement le créancier de ce qu’il était en droit d’attendre du contrat » ou encore lorsqu’elle est intentionnelle, la partie lésée peut notifier à l’autre la résolution du contrat 146. Cette possibilité est aussi offerte au créancier d’une obligation dont il est manifeste qu’elle fera l’objet d’une inexécution essentielle 147. Force est de convenir qu’une telle faculté unilatérale d’anéantissement du contrat, ayant pour objectif un règlement rapide du litige, est source d’insécurité juridique, même si le recours au juge est toujours possible a posteriori.

61. Les principes réglementent aussi la pratique contractuelle des clauses limitatives de responsabilité. Il faut noter ici une modification intervenue entre la première version et la version consolidée de 1998. Dans la version française de 1997, il était admis que « les parties peuvent convenir à l’avance de limiter ou exclure leur responsabilité en cas d’inexécution lorsque l’inexécution n’est point intentionnelle, ni la limitation ou l’exclusion déraisonnable » 148. La version consolidée adoptée en 1998 et qui n’a toujours pas été publiée en France, dispose « Les moyens accordés en cas d’inexécution peuvent être exclus ou limités à moins que ce ne soit contraire aux exigences de la bonne foi ».

Laissant des concepts comme la « raison » et la bonne foi gouverner le régime des clauses pénales, les deux versions renvoient aux tribunaux chargés des litiges le soin d’interpréter des dispositions laconiques. Il en résulte que cette question sera en réalité tranchée au regard des différents systèmes juridiques nationaux, quand le juge ou l’arbitre ne se laissera pas porter par ses propres convictions juridiques.

C’est incontestablement le genre de dispositions qui a attisé les critiques des juristes nationaux. L’utilisation récurrente de notions cadres, pourtant largement justifiée par la recherche du compromis entre des systèmes juridiques sensiblement différents, met en cause la sécurité juridique. Or, assurer la confiance des contractants afin de faciliter le commerce communautaire est précisément le but assigné aux principes Lando. Les doutes émis par les observateurs quant à la portée des Principes sont donc en partie légitimes. De fait, l’utilisation de concepts « flexibles, fluides, flous » 149 et le risque d’insécurité et

146 - Article 9.303 des Principes.

147 - Ibid, article 9.304.

148 - Article 3. 109, Les Principes du droit européen du contrat - L’exécution, l’inexécution et ses suites, op.

cit., p. 170.

149 - MAZEAUD (D.), La commission Lando : le point de vue d’un juriste français, op. cit. , p. 145.

d’incohérence dans les relations contractuelles qui en découle, constituent la base des reproches les plus fréquemment formulés à l’encontre des principes Lando. Ces risques seront indéniables aussi longtemps qu’aucun organe de contrôle ne sera chargé d’assurer leur interprétation uniforme. Il convient cependant de ne pas oublier que la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises ainsi que les principes Unidroit ont été rédigés sur le même mode. La souplesse et la généralité des concepts employés dans les deux corps de textes qui sont, de plus, destinés à des Etats relevant de systèmes très différents (pays industrialisés, socialistes, en développement) sont loin d’avoir empêché le succès pratique des textes. Au contraire, l’utilisation de tels concepts a permis d’assurer une flexibilité propice à l’adaptation des droits nationaux.

Section 2