• Aucun résultat trouvé

Valeur à risque pour les investissements immobiliers directs

3.3 Mesures d’incertitudes liés aux facteurs de risque

3.3.4 Valeur à risque

3.3.4.4 Valeur à risque pour les investissements immobiliers directs

L’incertitude liée à la valeur marchande des actifs immobiliers directs ne se mesure pas avec la volatilité des rendements journaliers de titres transigés en bourse, mais plutôt avec la variation des valeurs marchandes des actifs immobiliers. Puisque les fonds d’investissement évaluent généralement leurs actifs une ou deux fois par année et parce que les transactions dans ce marché n’arrivent pas aussi fréquemment que dans les autres marchés comme les actions, les obligations et les commodités, ces variations de valeurs nécessitent beaucoup de temps avant d’être mesurées par le marché. Les actifs immobiliers directs sont donc très peu liquides et très peu volatils. De plus, puisque la fréquence à laquelle les variations de valeurs sont perçues par le marché est relativement basse, les actifs immobiliers souffrent d’un manque flagrant de données.

Certains types de VAR ne sont donc pas adéquats pour l’investissement immobilier direct. En effet, selon la réforme du monde de l’assurance Solvabilité II (Solvency II), la VAR par simulation historique d’un portefeuille immobilier direct au seuil de 0.5% nécessite un minimum de 200 données, ce qui, même avec une fréquence mensuelle, représenterait 17 ans. Considérant le manque de données disponibles pour cette classe d’actifs, la VAR par simulation historique demeure souvent impertinente dans ce contexte. Il est donc nécessaire d’estimer la VAR pour l’immobilier direct en utilisant d’autres approches. Bien que la VAR paramétrique utilisant la loi normale soit une méthode très répandue dans la pratique, l’hypothèse de normalité des rendements sous-jacente à cette méthode ne peut s’appliquer aisément aux actifs immobiliers directs sans quelques complications. Comme l’ont indiqué Kuo (1996) et Myer et Webb (1994), il y a de l’autocorrélation dans les séries de prix des actifs immobiliers résidentiels et commerciaux, respectivement. De plus, les rendements des actifs immobiliers ne sont pas distribués normalement. Myer et Webb (1994) et Young et Graff (1995) indiquent que les actifs immobiliers directs présentent des rendements non normaux caractérisés par une asymétrie négative à droite (Skewness) ainsi que des queues de distributions plus épaisses (Leptokurtosis). De plus, Young et Graff (1995) indiquent que les rendements de l’indice Russell-NCREIF entre 1980 et 1992 sont hétéroscédastiques, autant en termes de magnitude du risque qu’en termes de Skewness de la distribution des rendements. Ainsi, l’estimation de la VAR en contexte immobilier direct doit prendre en compte le manque de données et le caractère non normal des rendements. Quelques rares auteurs ont estimé la VAR à partir d’indices immobiliers directs. En effet, il existe plusieurs indices immobiliers représentant la performance des actifs du marché sous étude. La fréquence à laquelle les indices varient est relativement basse. Au mieux, les indices varient mensuellement, sinon trimestriellement, semestriellement ou même annuellement, dépendamment du marché sous étude.

Farrelly (2012) présente une étude traitant de la mesure de risque par approche prospective (forward-looking approach) pour les fonds immobiliers directs en se basant sur les indices immobiliers INREV, IPD et NCREIF pour les marchés européens et américains. L’auteur considère, entre autres, les moments d’ordre supérieurs à 2 (afin que l’asymétrie et l’aplatissement soient prises en compte) en utilisant l’expansion de Cornish-Fisher. Amédée-Manesme, Barthélémy et Keenan (2015) utilisent également l’expansion de Cornish-Fisher dans l’estimation de la VAR paramétrique ajustée pour l’indice IPD UK Monthly All Property Total Return Index pour lequel les auteurs utilisent les données de janvier 1988 à décembre 2010. Les auteurs concluent que l’inclusion de moments d’ordre supérieurs à 2 permet une mesure de VAR plus précise, c’est-à-dire que la VAR avec expansion de Cornish-Fisher est plus adéquate que la VAR Gaussienne pour évaluer le risque immobilier. Les VAR sur les indices immobiliers peuvent être utiles pour les investisseurs qui détiennent des actifs situés dans les marchés étudiés. Cependant, il s’agit de mesures de risque générales des marchés analysés et non de mesures liées aux immeubles spécifiques détenus par les investisseurs. Pour pallier à cette lacune, d’autres auteurs ont tenté d’estimer la VAR pour des portefeuilles immobiliers directs.

Contrairement aux indices immobiliers, qui relatent la performance globale liée à l’évolution moyenne des valeurs immobilières d’un marché sur une longue période, les investisseurs n’ont souvent que très peu de données sur les variations de valeurs des actifs de leur propre portefeuille. Ainsi, très peu d’investisseurs sont en mesure d’évaluer la VAR de leur portefeuille immobilier en ne se basant exclusivement que sur les variations de valeurs des actifs détenus. Afin d’y remédier, plusieurs auteurs se sont plutôt basés sur les variables de l’évaluation immobilière dans l’estimation de la VAR. Tel que discuté précédemment, il y a plusieurs variables qui influencent l’évaluation immobilière comme le taux de vacances, le taux de croissance des loyers, le niveau des dépenses d’opérations (OPEX), le niveau des dépenses en immobilisations (CAPEX), le taux de capitalisation, etc. En simulant ces différentes variables, les investisseurs peuvent simuler plusieurs valeurs possibles pour leur portefeuille immobilier. Cependant, tout comme c’est le cas pour les données sur les valeurs immobilières, les variables d’évaluation souffrent également d’un manque de données ce qui complexifie l’estimation de la VAR. Plusieurs auteurs ont donc opté pour la VAR par simulation Monte-Carlo. La simulation Monte-Carlo peut être effectuée en associant une fonction de probabilité à chaque variable de l’évaluation immobilière, qu’elle soit macroéconomique ou typiquement immobilière. Par exemple, le taux de vacances peut varier similairement à la loi uniforme, le taux de croissance des loyers peut évoluer selon une loi log-normale, le taux de capitalisation peut évoluer selon une loi normale, etc. Après avoir associé chaque variable à sa fonction de probabilité, il est possible de créer un programme informatique qui viendra tirer aléatoirement des valeurs pour ces différentes variables, pour ensuite les amalgamer à un modèle d’évaluation immobilière. L’analyste peut effectuer cette simulation plusieurs fois afin d’obtenir une distribution de l’ensemble des valeurs possibles pour chaque actif immobilier du portefeuille. Finalement, en consolidant les distributions de valeurs de chaque actif

ensemble, l’analyste obtient la distribution des valeurs possibles du portefeuille immobilier.

Plusieurs auteurs ont effectué des simulations Monte-Carlo à des fins d’évaluation immobilière dans le but de gérer les risques liés à l’investissement immobilier. La première utilisation des techniques de simulation par ordinateur en contexte de gestion des risques immobiliers fut introduite par Pyhrr (1973). L’auteur utilise la simulation Monte-Carlo afin de mesurer l’incertitude, ce qui est une innovation par rapport aux méthodes d’évaluation Discounted Cash Flow (DCF) largement utilisées à l’époque, et même encore aujourd’hui. De plus, l’auteur introduit un modèle où il est possible d’insérer plusieurs variables évoluant simultanément. Cependant, tout comme Wofford (1978) et Hughes (1995) après lui, Pyhrr (1973) ne prend pas en compte les liens de dépendance entre les différentes variables. Pourtant, d’autres auteurs tenteront d’intégrer des coefficients de corrélation à la simulation Monte-Carlo. Après avoir associé chaque variable à sa fonction de probabilité, ces auteurs intègrent les corrélations dans la simulation afin que les trajectoires des différentes variables puissent évoluer de façon logique entre eux. En tenant compte de ces liens de dépendance, on évite des trajectoires illogiques, ce qui rend la simulation plus précise.

Plusieurs auteurs ont intégré des liens de dépendance entre les différentes variables en utilisant le coefficient de corrélation linéaire de Pearson (1895). Parmi ces auteurs, certains n’avaient pas assez de données à leurs dispositions ou préféraient ne pas estimer empiriquement le coefficient de corrélation. Ces auteurs ont donc émis des hypothèses, basées sur leur jugement, sur des informations historiques et sur leur expérience, quant aux corrélations entre les différentes variables immobilières. Lorsque les coefficients de corrélation sont supposés et non pas estimés de façon empirique, il s’agit alors d’une mesure de corrélation inconditionnelle basée sur une hypothèse.

Kelliher et Mahoney (2000) comparent la simulation Monte-Carlo au modèle Discounted Cash Flow (DCF) en contexte d’évaluation immobilière et émettent des hypothèses quant à certains coefficients de corrélation à imposer à la simulation. Ils établissent le lien de dépendance entre le taux de croissance des loyers et les dépenses d’opération ainsi qu’entre le taux de croissance des loyers et le taux d’intérêt. Dans le même ordre d’idées, Hoesli, Jani et Bender (2005) effectuent une simulation Monte-Carlo sur un portefeuille d’immeubles résidentiels appartenant à un investisseur institutionnel suisse en prenant soin d’émettre des hypothèses pour les coefficients de corrélation entre : le taux de croissance des loyers et le taux de vacances, le niveau des loyers et les dépenses d’opération (OPEX), le niveau des loyers et le taux de vacances, le niveau des loyers et le taux d’intérêt ainsi que le niveau des loyers et le prix des immeubles. Bien que la majorité des corrélations incluses dans la simulation Monte-Carlo de Hoesli, Jani et Bender (2005) soient inconditionnelles, le coefficient de corrélation entre le niveau des loyers et le prix des immeubles fut, quant à lui, estimé empiriquement. Lorsque les coefficients de corrélation sont estimés empiriquement, il s’agit alors d’une mesure de corrélation conditionnelle. De plus, Hoesli, Jani et Bender (2005) sont parmi les rares auteurs à avoir simulé le taux

d’intérêt dans le cadre de leur simulation Monte-Carlo en contexte d’évaluation immobilière. En estimant des primes de risque spécifiques aux actifs, et en estimant le taux d’intérêt de chaque période à l’aide du modèle de prévision de Cox, Ingersoll et Ross (1985), les auteurs ont pu estimer le taux d’actualisation approprié (Discount rate), qui varie pour chacune des périodes de la simulation.

Bien que les variables liées à l’évaluation immobilière souffrent souvent d’un manque de données, certains auteurs ont tout de même été en mesure d’estimer empiriquement l’ensemble des corrélations prises en compte dans leur simulation Monte-Carlo. Koubkova (2015) effectue une simulation Monte-Carlo pour un portefeuille d’immeubles à bureaux de classe A situés à Prague. L’auteure identifie les fonctions de probabilités correspondant le mieux aux différentes variables sous étude, soit le taux d’actualisation, le taux de vacances, le niveau des loyers au marché, le taux d’inflation et la valeur terminale. L’auteure estime les coefficients de corrélation liant les différentes variables entre elles pour ensuite les imposer dans la simulation. L’auteure obtient une distribution de l’ensemble des valeurs possibles du portefeuille, ce qui lui permet d’estimer la VAR. Baroni, Barthélémy et Mokrane (2007) modélisent les loyers, les dépenses et les prix des immeubles selon un processus stochastique, soit le mouvement brownien géométrique. Les auteurs se basent sur l’indice OLAP, soit un indice du niveau des loyers du marché parisien, ainsi que sur l’indice des prix du marché parisien estimé par Baroni, Barthélémy et Mokrane (2005) selon la méthode : weighted repeat sales. Les auteurs estiment empiriquement le coefficient de corrélation entre les deux indices pour ensuite l’intégrer dans la simulation. De cette manière, les trajectoires des loyers et des prix évoluent sensiblement dans le même sens. Amédée-Manesme et al. (2012) simulent les baux d’un portefeuille immobilier comprenant 16 espaces commerciaux répartis dans différents marchés situés en banlieue de Paris. En plus de simuler les flux monétaires des immeubles en analysant les baux et les mouvements des locataires, les auteurs simulent également les prix des propriétés ainsi que les niveaux des loyers des marchés en question. Tout comme Baroni, Barthélémy et Mokrane (2007), les auteurs estiment les mouvements browniens géométriques des prix et des loyers pour ensuite les simuler. Les auteurs tiennent compte de la corrélation entre les prix et les indices du niveau des loyers, mais ils tiennent également compte de la corrélation liant les différents indices des loyers entre eux.