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1. L A PENETRATION DANS LE DEVELOPPEMENT PSYCHOSEXUEL

1.5. V AGIN ET VAGINALITE ?

1.5.5. Le vaginal, un précurseur du féminin ?

Si l’on tente de les ramener à des principes plus originaires, la masculinité se volatilise en activité, et la féminité en passivité, ce qui est trop peu

Sigmund Freud143

Dans un article de 1937, Analyse terminée et analyse interminable, Freud pointe un « roc » sur lequel viennent buter certaines cures analytiques. Il s’agit, chez l’homme comme chez la femme, d’un « rejet de la féminité » : « les deux thèmes qui se correspondent sont, pour la femme, l’envie du pénis, l’aspiration positive à posséder un organe génital mâle ; pour l’homme, la révolte contre sa propre attitude passive ou féminine à l’égard d’un autre homme »144. Jacqueline Schaeffer (2000) note « qu’il s’agit, dans les deux cas, d’une défense

prégénitale contre l’angoisse de pénétration génitale. Celle d’un vagin qui doit se laisser pénétrer ou qu’il s’agit de pénétrer par un pénis libidinal. ». Autrement dit, le « refus du

féminin », c’est le refus de la pénétration, qui renvoie à « ce qui est le plus difficile à cadrer dans une logique anale ou phallique. Un sexe invisible, secret, étranger et porteur de tous les fantasmes dangereux »145.

Invisible, secret, étranger, dangereux. C’est en des termes semblables que Freud qualifiait déjà, en 1918, l’origine du tabou de la femme chez les primitifs :

Ce n’est pas seulement le premier coït avec la femme qui est tabou : tous les rapports sexuels le sont. On pourrait presque dire que la femme dans son entier est tabou. […] Là où le primitif a posé un tabou, c’est qu’il redoute un danger et on ne peut rejeter le fait que toutes ces prescriptions d’évitement trahissent une crainte essentielle à l’égard de la femme. Peut-être ce qui fonde cette crainte c’est le fait que la femme est autre que l’homme, qu’elle apparaît incompréhensible, pleine de secret, étrangère et pour cela ennemie. […] La psychanalyse croit avoir deviné qu’une pièce capitale motivant l’attitude de rejet narcissique, mêlé de beaucoup de mépris, de l’homme à l’égard de la

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Freud S. (1920b) Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine, in Névrose, psychose et perversion. Paris : PUF ; 1974, p. 270.

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Freud S. (1937a) Analyse terminée et analyse interminable. Revue française de psychanalyse 1975 ; 39(3) : 371-402, pp. 400-402.

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femme doit être attribuée au complexe de castration et à l’influence de ce complexe sur le jugement porté sur la femme.146

Ce serait donc parce qu’elle est castrée que la femme effraie l’homme. Le féminin, évoqué par Freud à travers son repoussoir (il parle du « refus du féminin », et non directement du féminin), est un féminin phallique, et non génital : c’est l’absence de pénis. Pourtant, si l’on peut aisément concevoir que la castration est source d’angoisse, et même de terreur, elle n’a rien d’incompréhensible, de secrète ou d’étrangère : au contraire, elle est une amputation ostensible. C’est pourquoi Schaeffer considère que ce qui rend la femme tabou, c’est autre chose que la castration, l’absence phallique ; c’est plutôt la représentation d’un sexe intérieur : un sexe susceptible d’être pénétré. Par conséquent, elle associe le féminin au génital : elle « ne réserve le terme “féminin” qu’au temps de l’épreuve d’altérité de l’effracteur nourricier de la différence des sexes, inaugurée dans le conflit oedipien, mais qui se réalise pleinement dans la relation sexuelle de jouissance »147.

Dans le même article, Freud s’intéresse à la « réaction paradoxale contre l’homme » et aux « motifs de la réaction paradoxale de la femme à la défloration, réaction qui persévère à l’état de trace dans la frigidité ». Il y voit la manifestation de l’activation de « motions qui s’opposent surtout à la fonction et au rôle féminins », et qu’il relie bien sûr au « complexe de castration » et à l’« envie du pénis ». Nous constatons donc sans surprise que Freud oppose le désir féminin à une « protestation virile » (il reprend l’expression d’Alfred Adler), d’ordre phallique. Selon Freud, ce n’est donc pas une quelconque angoisse de pénétration qui rend la femme frigide, mais l’envie du pénis : dans cet article consacré à la virginité de la femme et à sa perte, le vagin et la pénétration ne sont à aucun moment évoqués par Freud, ou seulement de façon superficielle, comme si Freud, d’habitude si prompt à moquer la pudibonderie de certains auteurs, se refusait à pénétrer intellectuellement dans le corps de la femme, comme l’impuissant s’y refuse physiquement. Les conséquences psychologiques du fait inouï que le corps de la femme reçoit en cette occasion pour la première fois le corps de l’homme en son sein, et que le vagin s’en trouve excité, ne semblent pas retenir son attention. Pourtant, il ne peut se cacher, cette fois, derrière la méconnaissance prépubertaire du vagin : la fille à laquelle il s’intéresse maintenant est pubère, et la pénétration vaginale est effective. Par conséquent, même lorsqu’il évoque (ponctuellement) la « blessure narcissique qui naît de la

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Freud S. (1918b) Le tabou de la virginité, in La vie sexuelle. Paris : PUF ; 2004, pp. 71-72.

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destruction d’un organe »148 consécutive à la défloration, c’est seulement à propos de la perte de l’hymen (à nouveau, il s’agit d’une castration), mais il ne dit mot d’une quelconque angoisse qui pourrait être associée à cette intrusion de l’autre en soi : une angoisse de pénétration. Cette omission a tout de même de quoi surprendre, même le lecteur averti de l’acharnement avec lequel Freud n’a cessé (ou presque) de défendre une théorie phallocentrée du féminin. Comme l’a fait Jacques André au sujet de L’extrait d’une névrose infantile (1918) et d’Un enfant est battu (1919), la tentation est grande, à la lecture du Tabou de la virginité (daté de 1918 également), de mettre en lien les quasi scotomes de Freud à propos du vagin et du féminin, avec l’époque du début de l’analyse d’Anna en 1918. Décidément, dans les premiers temps de l’analyse de sa propre fille, Freud n’a jamais été aussi proche de la dimension concave du corps féminin, ainsi qu’en témoignent ces trois articles contemporains ; et à aucun moment, il n’a fait preuve d’autant d’aveuglement (de refoulement ?) qu’en ces occasions. Sylvie Faure-Pragier considère quant à elle qu’avec l’écriture de La négation en 1925, et l’inauguration du terme déni (Verleugnung) la même année, Freud ne fait que conceptualiser « le mouvement psychique qui s’opère en lui » à cette époque terminale de l’analyse d’Anna. Le comparant à Œdipe, elle écrit que Freud, « ne voulant pas se crever les yeux, détourne plutôt le regard »149 ; « Le psychisme de l’auteur, conclut-elle, reste le terreau irremplaçable de toute découverte »150.

Pour Schaeffer151, contrairement à ce que soutient Freud, c’est bien contre une « angoisse de pénétration génitale » que s’insurgent l’homme comme la femme, dans leur « refus du féminin ». Elle note que « ce fameux roc est refus de ce qui dans la différence des sexes s’avère être le plus étranger, le plus difficile à cadrer dans une logique anale ou phallique, à savoir le sexe féminin » : « l’ouverture du corps féminin, sa quête de jouissance sexuelle et sa capacité d’admettre de grandes quantités de poussée constante libidinale sont source d’angoisse, pour l’homme comme pour la femme ». Le « féminin », rappelle Schaeffer, est l’un des membres d’un couple qui est indissociable de la génitalité. Ses ancêtres, dont il hérite, sont les couples « actif/passif, au stade sadique-anal ; pénis universel/pénis châtré, au stade phallique ». En 1920, Freud écrivait la difficulté à penser ce couple masculin/féminin :

148

Ibid., pp. 76-78.

149

L’auteur fait alors référence au déni de la « culpabilité du père » dans l’Œdipe, du père séducteur qu’il est lui- même vis à vis de sa fille trop aimée.

150

Faure-Pragier S., in Schaeffer J, Cornut-Janin M, Faure-Pragier S, Guignard F. (1999) Clés pour le féminin. Paris : PUF ; 2005, pp. 47-48.

151

La psychanalyse est sur le même terrain que la biologie en ceci qu’elle prend comme hypothèse une bisexualité originaire de l’individu humain (et animal). Quant à l’essence de ce que, au sens conventionnel ou au sens biologique, on nomme “masculin” et “féminin”, la psychanalyse ne peut l’élucider ; elle reprend à son compte les deux concepts et les met à la base de ses travaux. Si l’on tente de les ramener à des principes plus originaires, la masculinité se volatilise en activité, et la féminité en passivité, ce qui est trop peu.152

Nous sommes alors en 1920, la psychanalyse a une vingtaine d’années, les Trois essais sur la

théorie de la sexualité en ont quinze, et Freud fait ce constat déroutant : on ne sait toujours

pas ce qui, psychiquement, spécifie l’opposition masculin/féminin, dont par ailleurs on ne peut se passer. Certes, le couple activité/passivité en constitue un précurseur solide, mais c’est « trop peu ». Le féminin n’est réductible ni à la passivité, ni à l’absence de phallus et à l’envie du pénis. On le voit, le féminin reste pour Freud une énigme, en 1920. Puis, dans les années qui suivent, le phallique et le génital semblent s’être à tel point rapprochés chez Freud qu’ils finissent presque par s’équivaloir, comme en atteste le titre de l’article de 1923 :

L’organisation génitale infantile. Or, plus le phallique se confond avec le génital, plus le

vagin et son érogénéité, susceptibles au contraire de spécifier une génitalité féminine, et d’affirmer ainsi une différenciation entre phallique et génital, s’enfoncent dans les limbes des théorisations freudiennes. Le phallique a ceci de particulier que, contrairement à l’oral et l’anal, il nie l’ouverture du corps, et donc son potentiel d’envahissement par l’objet : dans le phallique, il n’y a plus d’orifice, seulement un membre qui est présent ou absent, développé ou « rabougri ». Il s’agit donc d’une position psychosexuelle qui neutralise le vaginal. Par conséquent, on peut penser que le phallique constitue une posture régressive privilégiée en ceci qu’il verrouille les voies d’entrées : mieux vaut être castré(e) que pénétré(e). Bref, le phallique est une défense contre la pénétration. En ceci, nous rejoignons volontiers Jacques André lorsqu’il écrit que « la théorie de Freud est la théorie sexuelle infantile, celle de l’enfant fétichiste du complexe de castration. La théorie freudienne est moins une théorie de la sexualité féminine qu'elle n'est elle-même une théorie sexuelle »153 : le primat du phallus, qu’il prolifère dans les théorisations d’un intellectuel, ou dans les divagations d’un enfant, n’est-il pas une défense anti-vaginale ?

152

Freud S., 1920b, op. cit., p. 270.

153

En 1924, Freud se penche sur Le problème économique du masochisme. Nous sommes au cœur du tournant des années 1920, et l’introduction de la pulsion de mort amène Freud à ré- envisager la question du déplaisir comme but pulsionnel au détriment du principe de plaisir. Le masochisme, écrit-il, « se présente à nous sous trois formes : comme mode de l’excitation sexuelle, comme expression de l’être de la femme et comme norme du comportement dans l’existence ». Par conséquent, « on peut distinguer un masochisme érogène, un masochisme

féminin et un masochisme moral ». Freud semble donc avoir trouvé dans le masochisme ce

qui, mieux que la passivité, est susceptible de fonder l’essence du féminin, « l’être de la femme ». D’ailleurs, le masochisme féminin « est le plus accessible à notre observation, le moins énigmatique, et on peut le saisir dans toutes ses relations ». Toutefois, Freud choisit de le décrire (on peut s’en étonner) uniquement à travers les fantasmes masochistes recueillis auprès d’hommes ; leur « contenu manifeste est : être bâillonné, attaché, battu de douloureuse façon, fouetté, maltraité d’une façon ou d’une autre, forcé à une obéissance inconditionnelle, souillé, abaissé ». Le masochiste veut être « traité comme un enfant méchant » ; mais même si « tant d’éléments […] renvoient à la vie infantile », Freud préfère parler de « masochisme féminin » car ces fantasmes « placent la personne dans une position caractéristique de la féminité et donc […] signifient être castré, subir le coït, ou accoucher »154. En intercalant ainsi, sans autre forme de procès, le « coït » entre la castration et l’accouchement, Freud suggère que la pénétration dans sa valence passive ne peut être vécue que comme un acte douloureux, que le plaisir qui y est associé ne peut qu’être masochique. Si la femme est appétente à la pénétration passive, ce n’est plus pour s’accaparer le pénis qu’elle envie à l’homme, mais pour satisfaire son masochisme.

Jacqueline Schaeffer est longuement revenue sur les liens qui unissent le masochisme et le féminin. Dans Le refus du féminin, elle décrit un « féminin originaire » défini comme « la capacité “féminine” du Moi à l’ouverture et à la pénétration de la poussée pulsionnelle » ; il s’agit d’un « étayage effractif, requalifiant, après coup, en “féminin” l’ouverture au pulsionnel »155. Ce féminin précoce n’est donc féminin qu’après-coup. Mais si « la petite fille au moi introjectif n’a pas de “féminin”, […] elle en a des préformes, une capacité à l’ouverture ou non »156. Cette préforme du féminin, c’est ce que nous proposons de qualifier

154

Freud S. (1924) Le problème économique du masochisme, in Névrose, psychose et perversion. Paris : PUF ; 1974, pp. 289-290.

155

Schaeffer J. (1997) Le refus du féminin. Paris : PUF ; 2008, pp. 49-50.

156

de vaginal : une appétence originaire à la pénétration passive, à l’« effraction nourricière », comme dit Schaeffer157, qui insiste sur le caractère masochique de cette pénétration. Car le sexe féminin « devra en passer par le masochisme et la soumission à l’homme pour être libéré et créé »158, pour être arraché à l’anus dont il n’est qu’une dépendance cloacale. Mais de quel

masochisme s’agit-il ? Ce n’est pas le « masochisme féminin » décrit par Freud, qui

correspond au fantasme (masculin ! rappelons que Freud ne le décrit que chez des hommes…) d’un « féminin souffrant », dans le coït, dans l’accouchement, et bien sûr, dans la castration. Schaeffer distingue de ce « masochisme féminin » un « masochisme érotique féminin », qu’elle qualifie de « génital » : il s’agit d’un « masochisme érotique, psychique, ni pervers ni agi. […] Il n’est nullement un appel à un sadisme agi, dans une relation sadomasochiste, ni un rituel préliminaire, mais une capacité d’ouverture et d’abandon à des fortes quantités libidinales et à la possession par l’objet sexuel ». Autrement dit, ce masochisme là ne vise pas la souffrance, mais l’abandon à la pulsion et à l’objet, « la “défaite”, dans toute la polysémie du terme » : c’est là le « scandale du “féminin” ». Ce masochisme génital « est renforcé par le masochisme érogène primaire, et contre-investit le masochisme moral. Dans la déliaison, il assure la liaison nécessaire à la cohésion du Moi pour qu’il puisse se défaire et admettre de

très fortes quantités d’excitation non liées »159. Elle propose « de nommer “travail de féminin” la capacité du moi à élaborer la figure de ce nouveau corps étranger pulsionnel et objectal, créé par la différence des sexes, renforçant l’étayage selon la pulsion »160.

Jacqueline Schaeffer prend une distance avec les travaux de Jacques André sur les rapports entre féminin originaire et séduction généralisée (Jean Laplanche). Si, comme lui, elle considère que « l’être effracté de l’enfant préfigurerait l’être effracté de la femme »161, elle estime que « l’effraction n’est pas […] celle de la séduction par l’objet », mais celle de la pulsion : « le premier “séducteur”, c’est la pulsion. C’est elle, le “corps étranger interne” constituant. Et c’est parce qu’il est d’abord porté par elle, et est, comme elle, à la fois effracteur et nourricier, que l’objet, l’amant de jouissance, nouvelle figure de l’étranger, va devenir le séducteur »162. 157 Ibid., p. 67. 158 Ibid., p. 30. 159 Ibid., pp. 93-96. 160 Ibid., p. 67. 161

André J., 1995, op. cit., cité par Schaeffer J., 1997, op. cit., p. 81.

162

Qu’en est-il de la conception du féminin par Freud à la fin de sa vie ? Dans l’article de 1937, Freud reprend à son compte l’expression de « protestation mâle » chère à Adler (qu’il a souvent critiquée), au prix cependant d’une mise au point :

Le terme de “protestation mâle” ne doit pas nous porter à croire que le refus de l'homme concerne l'attitude passive, ce qu'on pourrait appeler l'aspect social de la féminité. Cela se trouve contredit par l'observation courante : on trouve, en effet, que de pareils hommes ont souvent à l'égard de la femme un comportement masochique et qu'ils témoignent envers elle d'appartenance sexuelle. L'homme se défend d'être passif à l'égard de l'homme, mais il admet la passivité en général. En d'autres termes, la “protestation mâle” n'est en fait que la peur de la castration.163

Autrement dit, le « refus du féminin » n’est pas refus de la passivité, mais refus de la castration. Par conséquent, pour Freud, en 1937, le féminin demeure synonyme de castration. Dans ces conditions, rien ne s’oppose à qualifier le stade phallique, comme il le fait en 1923, d’« organisation génitale infantile ».

Que dire maintenant de cette « angoisse de pénétration », négligée par Freud et soulignée par Schaeffer, qui propose « de nommer “angoisse de féminin” l’angoisse de pénétration du Moi

et du corps par un étranger, porteur de l’effraction nourricière de la poussée constante

pulsionnelle »164 ? Dans Le complexe de castration, André Green voit dans l’angoisse de pénétration « le corrélat de l’angoisse de castration ». Le couple angoisse de castration / angoisse de pénétration trouverait même un équivalent « au niveau du Moi et de ses limites » dans le « couple formé par les angoisses qui paraissent spécifiques des cas limites, soit encore l’angoisse de séparation et l’angoisse d’intrusion »165. Green propose d’« interpréter les angoisses de pénétration comme la crainte d’une pénétration destructrice du sexe intérieur, donc d’une castration ». En effet, chez la fille, « la castration n’est pas identifiée à la section d’un pénis qu’elle aurait eu mais bien à des craintes concernant son intérieur ». Green évoque aussi, en référence à la conception cloacale de Lou Andréas Salomé, entérinée par Freud, l’« angoisse des prolongements intérieurs du vagin qui se perdent dans la cavité abdominale dans un gouffre sans fin et sans fond ». L’angoisse de pénétration est « l’angoisse de la pénétration par le sexe du père qui viendrait endommager ce ventre potentiellement blessé et saignant ». Les « dégâts causés par le sexe du père […] sont bien entendu l’inverse (par sentiment de culpabilité) de la jouissance espérée ». Enfin, Green note que cette crainte

163

Freud S., 1937a, op. cit., note 1 p. 402.

164

Schaeffer J., 1997, op. cit., p. 67.

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relative à la pénétration passive n’est pas forcément associée au pénis du père oedipien : « les atteintes du corps interne peuvent aussi bien être attribuées par identification projective à l’imago de la mauvaise mère hostile, jalouse et même envieuse »166.

En résumé, si l’on suit Green, l’angoisse de pénétration est d’abord une angoisse orale. Elle est l’héritière d’une modalité relationnelle archaïque, organisée autour de l’identification projective : rentrer dans l’autre et recevoir l’autre (ou des parties de l’autre) en soi, intruser et être intrusé. En cela, l’angoisse de pénétration hérite de l’angoisse d’intrusion, l’angoisse d’être détruit de l’intérieur par la mauvaise mère. Ajoutons que dans l’identification projective, alors que les « pulsions sadiques-orales du bébé […] visent à s’approprier les contenus “bons” du corps de la mère », une telle appropriation suscite des « craintes de persécution » : les parties incorporées sont vécues comme menaçant l’intégrité167. Autrement dit, l’incorporation est inévitablement source d’angoisse.

Puis le complexe de castration donne à l’angoisse de pénétration une teinte toute féminine, s’appuyant sur la réalité du corps de la femme : l’absence de pénis et l’existence d’un vagin. Par conséquent, l’angoisse de pénétration n’est pas seulement génitale : elle plonge ses racines dans la prégénitalité. Dès lors, le « refus du féminin » apparaît comme le degré ultime d’élaboration d’un refus plus vaste, refus d’être pénétré, invaginé, envahi, intrusé, persécuté de l’intérieur, empoisonné, détruit dans les profondeurs de son intimité, par un corps étranger qui occupe l’espace interne.

Nous avons postulé qu’il existe d’emblée, c’est-à-dire dès les premiers temps psychiques, une appétence à recevoir l’étranger en soi : dès l’origine, c’est une question de survie, d’auto-