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1. L A PENETRATION DANS LE DEVELOPPEMENT PSYCHOSEXUEL

1.5. V AGIN ET VAGINALITE ?

1.5.3. Activité, passivité, passivation

Dans un texte de 1999, André Green confronte Pulsions et destins des pulsions (1915) et Un

enfant est battu (1919) d’une part, qui « appartiennent tous deux à la première topique », et Le problème économique du masochisme (1924) d’autre part, référé à la seconde topique, et à la

seconde théorie des pulsions, qui fait apparaître un concept nouveau, celui de pulsion de mort. Si le Freud d’avant les années 1920 plaide en faveur d’un masochisme secondaire, issu du double retournement (en son contraire et contre la personne propre) du sadisme originaire, qui est ainsi délégué à un « moi étranger », à partir de 1920 (Au-delà du principe de plaisir) « l’adoption de la thèse de la pulsion de mort » s’associe « au remaniement fondamental qui place le masochisme originaire en position première en lui reconnaissant la valeur d’un but pulsionnel » : ce masochisme primaire « est le fruit d’une passivité première, ne procède d’aucun renversement d’activité en passivité, ni d’une substitution d’objet ». Green propose de distinguer la passivité, associée chez Freud à une « modalité de plaisir recherchée par la libido » qui « établit un mode de jouissance à but passif », de la « passivation » définie comme « ce qui contraint à subir et non simplement un mode de jouissance recherché »130. Il fait découler la passivation, « qui rend l’idée de forcer quelqu’un à être passif »131, de l’Hilflösigkeit, la détresse psychique originaire qui « plonge le sujet dans un état d’impuissance sans recours ». De là, l’auteur propose d’« opposer une passivité-jouissance et une passivité-détresse ». Il n’est donc de « passivité première » qu’en-deçà (ou au-delà, c’est selon) du sexuel, puisqu’elle est le produit de la pulsion de mort : face à l’ampleur de sa dépendance à l’environnement, le sujet en état de détresse est forcé à être passif, relégué dans une impuissance extrême. Dans ce masochisme là, nulle place pour la libido. La passivité- jouissance, elle, n’est que secondaire (au retournement du sadisme). Pour appuyer le caractère asexuel de la passivité née de l’Hilflösigkeit, Green écrit que « l’état de demande qui habite le psychisme [en situation de détresse initiale] pourrait difficilement être de l’ordre du souhait. Il est donc peu probable que la situation soit compatible avec une production hallucinatoire consolatrice. L’expérience de cas limites nous le laisse penser132 ».

130

Green A. Passivité-passivation : jouissance et détresse. Revue française de psychanalyse 1999 ; 63(5) : 1587- 1605, p. 1587.

131

Ibid., p. 1588.

132

L’hypothèse de la vaginalité, que nous proposons d’explorer, constitue une troisième voie, complémentaire, entre la passivité-secondaire-jouissance et la passivation-primaire-détresse, celle d’une passivité-primaire-jouissance : une passivité primaire d’ordre sexuel. Le nourrisson, selon notre hypothèse, expérimente quotidiennement un plaisir sexuel passif associé à l’oralité, à l’incorporation (être pénétré par les corps étrangers avalés), aux côtés de l’activité qui en constitue la composante dominante, en tout cas la plus visible. Cette passivité, nous ne voyons aucun motif de la situer comme secondaire, issue d’un retournement. Fût-il passif, il s’agit d’un but pulsionnel qui s’étaye sur une fonction biologique, et à ce titre, il a droit à la primauté, comme le but actif avec lequel il partage la scène orale.

Repartons maintenant, à l’instar d’André Green, du passage d’Inhibition, symptôme et

angoisse relatif à l’angoisse initiale : l’« angoisse de la perte d’objet »133. La préoccupation majeure de l’individu naissant à la vie psychique, serait de se prémunir contre la « tension de besoin empreinte de déplaisir » caractéristique de l’état d’Hilflösigkeit, et pour cela de s’assurer de la présence continue de l’objet. Il apparaît dans ce contexte comme un mécanisme instinctif d’accueillir en soi celui dont on veut s’éviter la perte. Mais l’avaler n’est pas le digérer, et c’est ici, on l’a vu, que pénétration et identification constituent deux destins de l’incorporation, entendue au sens étymologique d’une « mise à l’intérieur du corps ». Autrement dit, être pénétré par l’objet primaire est l’une des solutions fantasmatiques dont dispose le sujet naissant à la vie psychique pour se prémunir de sa perte, à distinguer de l’identification, même si elles visent, à l’origine, un même objectif défensif contre la perte de l’objet. Ce que nous proposons, c’est de concevoir qu’aux côtés de la passivation décrite par Green, puisse trouver à s’immiscer une dose de sexuel : le nourrisson, dont on a fait l’hypothèse qu’il est d’emblée soumis à une pulsionnalité passive qui prend sa source dans les fonctions biologiques élémentaires, ne pourrait-il, par étayage, trouver un plaisir du même ordre à accueillir fantasmatiquement l’objet primaire en lui, lorsqu’en état de détresse il cherche à s’épargner les affres de son absence ?

A nouveau, nous trouvons à nous appuyer sur le travail de Jacques André, lorsqu’il écrit que « l’état de détresse obligée du nourrisson, étant donné sa prématuration, l’offre non seulement aux soins du monde adulte mais aux débordements libidinaux de celui-ci, posant ainsi les

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bases empiriques de la théorie de la séduction »134. Dans l’état d’Hilflösigkeit, l’enfant est à la merci de la pulsionnalité inconsciente de l’adulte qui, en tant que sexualité inélaborable pour le psychisme naissant du bébé, s’y engouffre par effraction. Une intrusion indigeste, un corps étranger qui traverse la frontière et qui n’est pas métabolisable, n’est-ce pas ainsi, précisément, que nous avions proposé de définir les contours de la pénétration ? Voilà donc le nourrisson, garçon ou fille, relégué dès l’origine (dès l’originaire) dans une passivité qui le fait naître à la psychosexualité, autrement dit, une passivité sexuelle primaire. « La passivité, poursuit Jacques André135, comme but pulsionnel, “prend la suite” de la passivité du moi devant l’attaque pulsionnelle, laquelle “succède” elle-même à la passivité traumatique du nouveau-né devant le monde adulte. Telle est bien ce qui en fait la part difficilement acceptable et qui nourrit, chez l’homme comme chez la femme, le refus de la féminité ». La « passivité traumatique du nouveau-né », soit la « passivation » évoquée par André Green, semble donc en mesure de se sexualiser en but pulsionnel passif, sans détour par une activité qui aurait à se renverser. C’est dans cette succession détaillée ici par André, dans la sexualisation de la passivité initialement traumatique, que nous supposons qu’interviennent les premières expériences de pénétration passive, qui s’étayent elles-mêmes sur le nourrissage. Ayant fait fortuitement l’expérience du plaisir associé à la présence d’un morceau du monde à l’intérieur du corps propre à l’occasion du nourrissage, le nourrisson peut naturellement en transférer l’érotisation sur l’effraction première.

1.5.4. Quelques remarques sur les limites de l’opposition