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VIS A VIS DE LA PENETRATION PASSIVE ?

2.2. L E CONCEPT DE « PSYCHOSE HYSTERIQUE »

2.2.1. Psychose hystérique et structuralisme

La psychose est un devenir : la psychanalyse peut et doit se tenir à cette affirmation. Rien n’est forclos, tout peut advenir.

Pierre Sullivan274

Face à l’énigme de l’hystérie, au caractère insaisissable de l’essence d’une notion qui pourtant n’a cessé de se rappeler aux cliniciens confrontés à la psychopathologie, certains auteurs ont proposé de délimiter rigoureusement une « structure hystérique » : François Richard rappelle que Jacques Lacan « voit dans la phénoménalité de la symptomatologie hystérique une structure de désir d’insatisfaction, drame existentiel du désir comme tel au-delà de sa signification de stabilisation du conflit oedipien ». Car l’hystérie est d’abord indissociable de

272

Libbrecht K., 1995, op. cit., p. 196.

273

Ey H., 1948-49, op. cit.

274

la « structure névrotique », donc de l’accès à l’Œdipe, à ses bénéfices identitaires (d’aucuns diraient, à la fonction structurante du signifiant phallique). L’hystérie serait par essence différenciée de la psychose « puisqu’on n’y trouverait ni forclusion ni troubles de la pensée et du langage »275. Dans ces conditions, point de salut pour la psychose hystérique.

A partir de deux vignettes cliniques présentées par des auteurs qui défendent une approche structuraliste de la psychopathologie psychanalytique (Frédéric Davion et Jean-Claude Maleval), nous proposons de tenter de montrer comment la clinique de la psychose hystérique met à mal les repères nosographiques. A ce titre, cette catégorie diagnostique est une formidable occasion de rappeler que c’est à la nosographie à s’adapter à la clinique, et non l’inverse.

2.2.1.1. Elle est psychotique, donc elle n’est pas hystérique

Dans un texte paru en 2004, intitulé Une femme sous influence276, Frédéric Davion décrit une « psychose qui se développera avec un automatisme mental et un syndrome d’influence ». Voici les éléments cliniques rapportés par l’auteur :

Le trait du cas c’est une forme particulière de délire de persécution […] organisé par un syndrome d’influence centré dans le transfert sur le thérapeute. […] Elle en est venue à m’accuser de la pousser à être amoureuse d’un homme et de lui procurer une jouissance insupportable par un travail télépathique et hypnotique. Elle se sent forcée de changer de place, de migrer en un lieu Autre où elle est la proie d’une jouissance insupportable. […] Elle vient sous le signe de crises d’angoisses et souffre de phobies d’impulsion. […] Elle a peur de se couper les veines et cache les couteaux chez elle. […] vers l’âge de 20 ans elle avait été réveillée en pleine nuit par une voix qui lui disait d’aller tuer sa mère à coups de couteau […] Chaque fois qu’elle rencontre un homme une voix lui dit : “Ca n’est pas lui…”. […] Elle vérifie […] l’adage populaire qui veut que l’on soit fou quand on est amoureux mais chez elle cette folie est réelle. “J’ai envie de frapper, de cogner, j’ai envie de le tuer, j’ai l’impression que je vais devenir folle, une bouffée de rage” et elle brise, “déchiquette”, se maltraite et se frappe. “Je voudrais casser une assiette, le tuer avec un morceau et me planter l’autre morceau dans la gorge.” […] Quand elle ne se maltraite pas, elle décroche son téléphone et insulte cet homme. […] Elle rapporte aussi un autre événement qui l’a plongée dans un état de perplexité et de sidération pendant plusieurs jours. Un gosse de 12 ans lui avait mis la main aux fesses. Après cette “caresse” – c’est son terme – elle est restée sans rien pouvoir dire et s’est mise à pleurer. Alors qu’elle n’était pas provocante, elle a interprété cette manifestation du désir de l’autre sur le mode traumatique du viol “quand on a un désir, on est puni par la vie”. […] elle lit dans “le brillant” des yeux d’un homme une manifestation de ce désir de l’Autre. Il existe

275

Richard F., in André J et al., 1999, op. cit., pp. 97-98.

276

Davion F. Une femme sous influence Journal français de psychiatrie 2004 ; 22(2) : 57-60. Le titre est-il une référence au film de John Cassavetes sorti en 1974, et qui dépeint l’univers d’une femme psychotique ?

une dimension érotomaniaque nette. Ce n’est pas elle qui a commencé, il n’avait pas à la regarder comme ça, “ça a fait des étincelles en moi” […] La pulsion sexuelle l’influence, la pousse vers les hommes […] Après plusieurs années d’entretiens il s’est opéré dans le transfert une bascule de son interprétation délirante. Bascule de l’érotomanie à la persécution. À partir de ce moment-là je voudrais la pousser vers un homme, je le lui dirais quand elle est chez elle. Je l’hypnotiserais durant les entretiens, je la manipulerais à distance. Elle est devenue la proie de jouissances sexuelles insupportables dont je serais l’agent par un travail télépathique et dont elle ne pourrait pas se protéger. Je l’obligerais à se masturber, je lui procurerais à distance des mouvements de va-et-vient dans le vagin, etc.

L’auteur s’interroge sur la structure :

je me suis longtemps posé la question d’une forme de pseudo-délire hystérique, d’une structuration boiteuse de son fantasme. Maintenant je dirais, même si de nombreuses questions subsistent, qu’elle souffre d’une psychose. Ce travail illustre les difficultés que nous pouvons être amenés à rencontrer lors d’un épisode délirant. La nécessaire distinction (recherche systématique de phénomènes élémentaires, d’une xénopathie, d’éléments évoquant la mort du sujet) entre un pseudo-délire névrotique et un moment fécond d’une psychose ne peut pas toujours être opérée rapidement. C’est à l’issue d’un long travail d’entretiens en face-à-face que cela a pu se préciser dans le transfert et c’est ce que je voudrais essayer d’expliciter.

Frédéric Davion s’impose de « décider de la structure » de sa patiente :

Ce qui pouvait au début de sa démarche s’entendre comme un refus hystérique de venir occuper une place d’objet dans le désir d’un homme, refus d’une bascule vers une position féminine277 s’est révélé être une interprétation délirante.

Plutôt que de comprendre le délire comme une réponse, une solution apportée à une problématique hystérique, Davion est contraint de trancher : c’est l’un ou l’autre, l’hystérie ou la psychose. « L’hallucination » de sa malade « signe [sa] psychose ». Par conséquent, toutes ses manifestations psychiques doivent être décryptées à travers le prisme de la psychose. Ainsi, lorsqu’il constate que « chaque fois qu’elle est amoureuse cela la rend malade », et qu’alors « elle se maltraite et se frappe », l’auteur y voit « une manifestation exemplaire de son impossibilité de faire jouer le symbole phallique de par la forclusion du Nom-du-Père » :

277

Dans une approche qui ne conçoit aucun désir féminin qui ne soit un pis-aller du désir phallique, produit du complexe de castration (l’« envie du pénis »), il n’y a pas de sujet féminin, et la « position féminine » se résume à une « place d’objet dans le désir d’un homme ». Lacan ne considère-t-il pas que « la femme n’existe pas » (1972-1973, op. cit..) ? Au contraire, le sujet du « désir vaginal » que nous défendons est à une place proprement féminine (fût-il homme, d’ailleurs).

Ma première approche avait été de lire ce qui se présente comme un retournement pulsionnel masochiste, soit une façon de venir introduire une limite, ne serait-ce que par rapport à un acte homicide. Mais il semblerait qu’il s’agisse plutôt de chercher à introduire une castration réelle dans son propre corps.

L’auteur est confronté au caractère binaire de son approche : la « forclusion du Nom-du- Père » est une opération sans nuance. Par là même, il ne peut concevoir qu’une problématique hystérique puisse trouver à se déployer dans la registre psychotique. Ainsi, il nous semble qu’il se prive d’une compréhension du délire d’influence telle qu’elle apparaît à la lumière du phénomène hystérique.

Ce qui est apparu « insupportable » à la malade, ce qui a favorisé la « bascule de l’érotomanie à la persécution », et qui a conduit la malade « à interrompre le traitement », c’est peut-être entre autres choses le refus du clinicien de reconnaître qu’il était lui l’objet de son désir à elle (quoique ce désir fût nié et projeté dans la réalité). Pourtant, lorsque la malade accuse son thérapeute « de la pousser à être amoureuse d’un homme et de lui procurer une jouissance insupportable par un travail télépathique ou hypnotique », c’est bien d’un tel désir dont il est question, fût-il vécu comme une menace et éjecté. Lorsqu’elle lui dit que « quand on a un désir, on est puni par la vie » c’est bien de son désir à elle dont elle parle (avec d’ailleurs une lucidité remarquable, puisqu’elle traduit alors la ré-appropriation du désir éjecté), et non du « désir de l’autre » voire « de l’Autre ».

Il nous semble que chez cette malade, le syndrome d’influence accompagné d’une jouissance peut être compris (de la même façon que chez Schreber, nous le verrons) comme la réalisation d’un fantasme de pénétration sans corps ; le délire constituerait donc ici une solution psychotique à l’irruption du désir d’être pénétrée (par le père, ou son substitut transférentiel). La patiente est pénétrée en pensée (comme en témoignent les phénomènes télépathiques et hypnotiques qu’elle rapporte). Elle craint (donc désire) de pénétrer l’autre et de se pénétrer elle-même : « elle a peur de se couper les veines » ; une voix lui a dit à 20 ans « d’aller tuer sa mère à coups de couteau » ; lorsqu’elle tombe amoureuse d’un homme, elle voudrait « casser une assiette, le tuer avec un morceau et [se] planter l’autre morceau dans la gorge ». Ainsi, lorsque la malade ressent le désir d’être pénétrée, tantôt elle l’éjecte et il trouve à se réaliser dans le délire, tantôt elle renverse la passivité en activité, et le désir de pénétrer se traduit dans des fantasmes hétéro-agressifs (l’auto-agressivité pouvant être mise au compte d’un retournement contre la personne propre) qui figurent de façon à peine voilée la pénétration.

On retrouve donc chez cette malade une organisation hystérique du désir, qui trouve cependant un destin psychotique.

Davion interprète ainsi le « Ca n’est pas lui… » prononcé par la voix lorsque sa patiente « rencontre un homme » :

Nous y entendons le renversement grammatical du verbe : “ça n’est pas lui… que j’aime” en “je le hais”, propre au délire de persécution et le renversement portant sur le sujet “il m’aime” dans ce qui sera son virage érotomaniaque.

L’hypothèse du « renversement grammatical du verbe » proposée par Davion apparaît fragile : dans la phrase « ça n’est pas lui… que j’aime », l’accent n’est pas mis sur le verbe (comme dans « je ne l’aime pas » par exemple), mais sur son objet : « lui ». D’ailleurs, le « que j’aime » n’est même pas évoqué par les voix de la malade, il est seulement inféré par l’auteur. Par conséquent, nous ferions plutôt l’hypothèse que ce « Ca n’est pas lui… » signifie « Ca n’est pas lui que j’aime, ça n’est pas lui l’objet initial de mon désir, mais un autre, mon père, mon thérapeute ». Les relations aux hommes sont des répétitions d’un lien au père, mais ce lien dysfonctionne et aucun désir ne peut être assumé, ni pour lui ni pour aucun autre, et tout désir suscite chez la patiente « une bouffée de rage » qui la rend « folle ». D’ailleurs, on a vu comment, dans le transfert, son désir pour le thérapeute la fait délirer. On constate donc qu’ici l’imago paternelle, si elle ne joue pas de façon satisfaisante le rôle de tiers différenciateur, occupe cependant la place du prototype du porteur de pénis, de l’ustensile susceptible de pénétrer, et donc de faire jouir.

2.2.1.2. Elle est hystérique, donc elle n’est pas psychotique

Si Frédéric Davion considère que sa patiente n’est pas hystérique puisqu’elle est psychotique, un autre auteur lacanien, Jean-Claude Maleval, prétend, corrélativement, qu’une malade n’est pas psychotique puisqu’elle est hystérique, et illustre à son tour quelles contorsions le structuralisme en psychopathologie impose à la pensée.

Dans un texte intitulé Le délire hystérique n’est pas un délire dissocié, Jean-Claude Maleval278 soutient qu’un « délire hystérique [n’est] pas régi par les mêmes mécanismes qu’un délire psychotique ». L’hypothèse ainsi sous-entendue, celle de l’existence d’un délire non-psychotique, ne nous convient pas, puisque nous pensons qu’un délire est la traduction d’opérations psychiques proprement psychotiques : le recours à des défenses anti- conflictuelles (Paul-Claude Racamier), qui impliquent la « dissociation de l’image du corps » (Gisela Pankow), c’est-à-dire la transgression des rapports du tout à ses parties. C’est pourquoi, écrit Henri Ey, « c’est le terme de Psychose qui exprime la réalité clinique du Délire »279. Mais Maleval, on va le voir, se refuse à considérer une configuration hystérique comme psychotique, fût-elle délirante.

Maria est une jeune femme de 24 ans qui étudie la philosophie et « travaille comme surveillante dans un CES » :

elle vit sur le divan, pendant des séances bien souvent entièrement silencieuses, des épisodes de régression en lesquels elle redevient “un tout petit bébé” ; elle connaît des moments d’extase fœtale, elle a des “visions”, elle crie, elle sanglote, elle est secouée de spasmes, elle craint que je ne la tue, elle dit vouloir me tuer, elle éprouve le sentiment, lors d’une séance silencieuse, que je l’ai engrossée

L’auteur est enclin « à penser qu’il s’agit de ce que l’on pourrait nommer une “grande” hystérique, la schizophrénie [lui] paraissant exclue ». L’usage du qualificatif pour le moins flou de « grande » assorti de guillemets, et suivi d’une remarque (presque une dénégation) sur la schizophrénie, trahit le malaise qu’impose ce matériel clinique à la grille de lecture de Jean- Claude Maleval, dont l’article consiste à faire entrer aux forceps les manifestations psychotiques de sa patiente dans un cadre névrotique (puisque hystérique). Maleval avait anticipé la critique :

Certes, l’imprécision du concept de grande hystérie, dans la situation actuelle de la nosographie psychanalytique, peut à juste titre conduire certains à le récuser ; aussi, pour le moment, demanderai-je seulement que l’on m’accorde que la pathologie de Maria révèle une structure hystérique280

278

Maleval JC. Le délire hystérique n’est pas un délire dissocié. Evolution psychiatrique 1978a ; 43(4) : 691- 739.

279

Ey H., 1973, op. cit., p. 742.

280

L’auteur insiste sur la distinction entre le « délire hystérique » de sa patiente, et la schizophrénie : « La projection délirante des folies hystériques est à différencier du mécanisme qui suscite le délire des psychoses dissociatives »281. Qu’en est-il des psychoses délirantes, non-dissociatives, dans lesquelles justement nous situons la psychose hystérique ? La « conception de la psychose déterminée par la forclusion du Nom-du-Père » est-elle seulement à même de distinguer les psychoses schizophréniques et non-schizophréniques ? Il semble que non, comme en témoigne ce raisonnement tenu par l’auteur : « S’il s’était agi de psychose dissociative, c’est-à-dire s’il y avait eu forclusion, […] ». Par suite, Maleval s’affaire à montrer (à raison) que sa patiente n’est pas schizophrène, pour en déduire (à tort) qu’elle n’est pas psychotique.

Pour étayer un tel raisonnement, Maleval joue sur la polysémie du terme dissociation. Il avoue l’utiliser dans un sens bien différent de « Freud, Janet, Prince, Bleuler ou Pankow »282 : elle traduit pour lui « l’irréductibilité du sens du délire à la conscience du sujet ». Pourtant, c’est bien la « schizophrénie » que Maleval cherche d’emblée à exclure ; c’est donc bien à la dissociation

bleulerienne qu’il se réfère. Cette ambiguïté quant à la définition donnée à la dissociation, concept-

pivot du texte, permet à l’auteur de parvenir abusivement à confirmer son hypothèse : il démontre que sa patiente ne souffre pas de dissociation au sens bleulerien (c’est-à-dire qu’elle n’est pas schizophrène), et en déduit implicitement qu’elle ne souffre pas de dissociation au sens très personnel qu’il en donne (donc qu’elle n’est pas psychotique). Ce tour de passe-passe rhétorique lui permet d’évacuer de son champ de réflexion la notion de psychose non-dissociative, c’est-à- dire non-schizophrénique283. Or c’est précisément dans cette aire nosographique que nous pensons que se situe la psychose hystérique, théâtre des délires hystériques.

L’auteur montre comment certains détails de la thématique délirante de sa patiente traduisent de façon symbolique, métaphorique, des éléments de son histoire. Il prétend qu’« il est exceptionnel qu’un délire psychotique puisse donner une telle impression de compréhensibilité »284. Pourtant, Freud n’a-t-il pas fondé sa conception de la psychose 281 Ibid., p. 699. 282 Ibid., p. 709. 283

L’auteur n’en fait pas non plus mention dans Schizophrénie et folie hystérique (Maleval JC. Schizophrénie et folie hystérique. Information psychiatrique 1978b ; 54(7) : 743-765). La thèse défendue dans ce texte est la même que dans Le délire hystérique n’est pas un délire dissocié (Maleval, 1978a, art. cit.) : elle tient grossièrement en ceci que, aussi folles que soient les manifestations hystériques, elles n’en demeurent pas moins hors du champ de la psychose (sans quoi, évidemment, le monument structuraliste s’effondre).

284

précisément sur l’interprétabilité du délire de Schreber au regard de son histoire (et notamment de ses relations familiales) ? N’a-t-il pas écrit que le délire « doit sa force convaincante à la part de vérité historique qu’il met à la place de la réalité repoussée »285 ? Jean-Claude Maleval constate que la patiente elle-même se montre capable de donner du sens à sa thématique délirante, lorsqu’elle y revient à distance. Cela lui confirme qu’elle n’est pas psychotique :

Toutes ces données relatives à la capacité de Maria de saisir le sens caché de son délire me paraissent suffisantes pour que l’on ne parle plus de “psychose hystérique” à cet égard : les éléments constitutifs de la projection délirante ne sont pas forclos, ce sont des signifiants refoulés qui font retour dans la réalité286

A nouveau, force est de constater que le structuralisme en psychopathologie, qui repose sur la notion de « forclusion du Nom-du-Père », donne lieu à des développements surprenants : Jean-Claude Maleval considère que, si sa patiente est capable de se réapproprier ce qu’elle avait projeté, c’est que ce n’était pas forclos ; elle n’est donc pas psychotique. Le terme de forclusion, introduit en psychanalyse par Lacan, est issu du vocabulaire juridique ; il souligne le caractère binaire (soit le signifiant Nom-du-Père est forclos, soit il ne l’est pas) et irrévocable de l’opération ainsi désignée. Par conséquent, si l’on peut repérer un indice de non-forclusion, c’est qu’il n’y a pas de forclusion chez le sujet, et qu’il n’y en a jamais eu. D’où l’on en déduit que toutes ses manifestations psychiques jusque-là constatées doivent pouvoir être ramenées à une problématique névrotique, et ce jusqu’à l’absurde : si le patient délire ou qu’il a déliré, ce n’est pas parce qu’il est psychotique, mais parce son hystérie est particulièrement « grande ». Maleval en est donc fatalement conduit à postuler l’existence d’une projection délirante non-psychotique. Quelle est la pertinence d’une telle conception, si ce n’est de ne pas démentir la théorie de la psychose qui s’y étaie sur la « forclusion du Nom- du-Père » ? Considérer que ces « signifiants » ont été « refoulés », alors même qu’on constate qu’ils « font retour dans la réalité », et postuler par là même l’existence d’un « refoulement psychotique »287 a-t-il un sens ? Il nous semble que l’adjectif psychotique qualifie, précisément, le recours à des modalités défensives qui consistent à exclure hors de la réalité psychique plutôt que dans l’inconscient, à cliver, dénier, rejeter plutôt qu’à refouler, à décréter

285

Freud S. (1937b) Constructions dans l’analyse, in Résultats, idées, problèmes 1921-1938. Paris : PUF ; 1985, 269-281, p. 280. Nous rejoignons ici François Richard qui, commentant les considérations de Jean-Claude Maleval, s’interroge : « Le délire du Président Schreber n’est-il pas plein de significations ? » (in André J et al., 1999, op. cit., note 1 p. 110).

286

Ibid., p. 708.

287

qu’un élément interne n’est plus une partie de soi, mais une entité autonome, une totalité. Pour étayer de telles considérations relatives au refoulement, Maleval s’appuie notamment sur une citation de Freud datant de 1896 (issue des Nouvelles remarques sur les psychonévroses

de défense288) à une époque où le terme de refoulement est encore synonyme de défense au