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VIS A VIS DE LA PENETRATION PASSIVE ?

2.3. S EMIOLOGIE DE LA PSYCHOSE HYSTERIQUE

2.3.4. Les psychoses d’influence d’André Ceillier

Dans un article paru en 1924 dans L’Encéphale, André Ceillier357 se livre à une description remarquablement structurée et richement illustrée des phénomènes psychotiques d’influence, synonymes selon lui de « possession spirituelle »358. Il introduit la notion de « psychose d’influence », dont pour autant il se refuse à entériner l’existence en tant qu’entité nosographique : « tout concourt à nous montrer qu’il ne s’agit pas d’“une maladie mentale” bien définie dans son évolution ». D’ailleurs, il estime d’une façon générale que « toutes les grandes classifications, dites synthétiques, sont antiscientifiques, parce que sans aucun fondement » : « l’existence d’“entités morbides“, de “maladies mentales” » n’est selon lui pas démontrée359.

Il décrit le « mécanisme du phénomène d’influence » par « la combinaison de deux éléments » :

- « L’Automatisme (traduisant une dissociation de la personnalité consciente) ». Il porte sur « le langage intérieur et la pensée », les « représentations mentales », les sentiments et les actes ;

- « L’Idée d’Influence (le malade admettant que ses actes et phénomènes automatiques sont dus à une influence étrangère, par suggestion, hypnotisme, sciences occultes, etc.) ». Le

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Ballet G. La psychose hallucinatoire chronique et la désagrégation de la personnalité. Encéphale 1913 ; 6 : 501-519.

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Ceillier A. Les influencés, syndromes et psychoses d’influence. Encéphale 1924 (3-6). L’article est divisé en quatre parties, parues dans quatre numéros consécutifs de la revue L’Encéphale ; nous n’avons pu avoir accès qu’aux trois premières.

358

Ibid., n° 3, p. 153.

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« sentiment et l’idée d’influence comprennent des sous-variétés »360 : les sentiments et idées de perte de liberté, de protection, de domination, d’influence simple, de présence et de possession.

Pour André Ceillier, le mécanisme d’automatisme et la thématique d’influence sont les deux faces du syndrome d’influence. Mais il fait intervenir entre eux les mécanismes « interprétatif et imaginatif » : les malades vont donner plus ou moins de sens, avec plus ou moins de conviction, à « l’activité exagérée et déréglée (en grande partie automatique) de leur langage oral »361.

Pour l’auteur, l’automatisme est un phénomène banal et normal : il s’agit de l’ensemble des « opérations qui s’exécutent spontanément, en-dehors de la volonté du sujet ». Chez le « psychasthénique, l’automatisme est très marqué » (obsessions, mentisme). Lorsque le malade « ne reconnaît plus l’origine personnelle, endogène, de son obsession », il cesse « d’être un obsédé pour devenir un délirant ». Autrement dit, ce n’est pas l’automatisme qui est pathologique, mais le caractère exogène que le sujet lui attribut indûment : « les malades que nous avons en vue considèrent […] que leurs actes automatiques sont dus à une influence étrangère. Ils ont une dissociation de leur personnalité consciente ». Chez eux, « l’appropriation personnelle ne se fait pas ».

Ceillier se propose de passer en revue « chacun des éléments qui par leur réunion constituent le syndrome d’influence », et qui « se groupent en plus ou moins grand nombre et suivant diverses combinaisons » chez les malades362. Il consacre une large part de son article à évoquer successivement les automatismes du langage et de la pensée, les sentiments suggérés, les actes automatiques, et les troubles cénesthésiques, dans un souci évident de clarté, de précision, et avec d’innombrables illustrations cliniques. Nous ne nous attarderons pas sur ces considérations nosographiques purement descriptives.

En revanche, les remarques de l’auteur relatives aux rapports qu’entretiennent l’influence et la sexualité concernent très directement le problème qui nous occupe ici.

360 Ibid., n° 3, pp. 152-153. 361 Ibid., n° 3, p. 159. 362 Ibid., n° 3, p. 154.

André Ceillier constate, en premier lieu, que « la psychose d’influence est de beaucoup plus fréquente chez la femme »363 : et en effet, parmi les nombreux cas d’influencés rapportés par l’auteur dans son article (plus de 80 dans les trois premières parties), nous n’avons répertorié que dix hommes. Par ailleurs, l’auteur note qu’il n’y a « rien de plus banal que l’érotisme dans les délires d’influence » : il fait référence à la teneur du discours des « voix intérieures », à la nature des « sentiments suggérés », aux hallucinations génitales, ou encore aux « impulsions à la masturbation »364, bref, au contenu délirant. Nous pensons quant à nous que la forme même

du délire d’influence, à savoir le caractère suggéré, imposé, forcé, des manifestations

psychiques (pensées, paroles, émotions, sentiments, perceptions et mouvements), quel qu’en soit le contenu, relève de l’érotisme féminin, dès lors qu’on considère, comme nous le proposons, que l’influence est un équivalent coïtal, une pénétration passive.

André Ceillier observe d’ailleurs que « le choix de l’influenceur est souvent en rapport avec des préoccupations érotiques et sexuelles. C’est un homme qui a fait influence sur la malade, très souvent un médecin, souvent un prêtre, c’est parfois l’amant ou la maîtresse, le mari ou la femme. C’est souvent un mort, un amant ou un mari défunt qui conseille, soutient dans la vie, encourage, dirige les pensées, les actes, les sentiments de sa veuve, converse avec elle, parfois se montre à elle dans une vision imaginaire »365. Autrement dit, l’« influenceur » est l’objet du désir, et souvent, semble-t-il, l’objet du désir féminin.

L’auteur s’arrête sur la modalité particulière du délire d’influence que constitue sa forme érotomaniaque. Il cite huit cas d’érotomanes (toutes des femmes) : « cinq étaient amoureuses de médecins, deux de prêtres, une d’un détective. Après la phase érotomaniaque du début, toutes ces malades recevaient des transmissions de pensées de leur prétendu adorateur et avaient avec lui d’interminables conversations mentales. Chez presque toutes l’adorateur agissait à distance sur les actes et les tenait ainsi sous une complète domination dont elles ne tardaient pas à se plaindre »366. La séquence morbide que Ceillier dit avoir retrouvée à l’identique chez ces huit femmes met en évidence la substitution progressive de l’influence au désir, comme par un jeu de vases communicants : plus l’influence se fait pressente, moins le

363 Ibid., n° 5, p. 299. 364 Ibid., n° 5, p. 295. 365 Ibid., n° 4, p. 234. 366 Ibid., n° 5, p. 295.

désir est assumé, comme si le sentiment délirant d’être influencé par l’objet constituait un pis- aller à la pénétration par lui.

Enfin, Ceillier rapporte que « dans un grand nombre de cas […] le syndrome d’influence paraît avoir pour cause psychologique soit un choc émotif sexuel, soit un refoulement de tendances sexuelles inassouvies »367. Ce dernier constat corrobore également notre hypothèse, selon laquelle les idées délirantes d’influence relèvent d’un équivalent coïtal, en fournissant une satisfaction déguisée à la composante vaginale de la sexualité. Il met en évidence le caractère ambivalent du rapport à la vaginalité chez ces malades qui, peut-être plus que d’autres, tout à la fois désirent et redoutent la pénétration passive.

L’auteur s’aventure à décrire la mécanique à l’origine de la formation du délire. Il considère que « le sentiment d’influence découle directement » de l’automatisme : le malade, en proie à l’automatisation de ses pensées, de son langage intérieur, de ses sentiments, de ses actions, de ses perceptions, est naturellement amené à « invoquer la suggestion, l’hypnotisme, les sciences occultes, l’intervention divine ou démoniaque »368. Par conséquent, « la formation du

délire est secondaire aux phénomènes d’automatisme et au sentiment d’influence ». Cette

distinction qu’opère Ceillier entre « sentiment d’influence » et « délire » nous semble discutable : le « sentiment d’influence » n’implique-t-il pas en soi la participation d’une entité étrangère, participation qui constitue l’idée délirante en tant que telle ? Par ailleurs, Ceillier ne considère-t-il pas qu’il existe un vécu d’automatisme non-délirant chez les « obsédés », et que, par conséquent, l’automatisation des fonctions psychiques ne mène pas mécaniquement au délire, comme par l’inévitable action d’une supposée rationalisation ?

Toujours est-il que Ceillier soutient qu’un « système délirant » n’est pas retrouvé chez tous les malades ; lorsqu’il l’est, il est variable « suivant sa situation sociale, sa culture, son caractère, sa constitution et aussi suivant les phénomènes particuliers qu’il éprouve »369. Ceillier semble donc défendre une articulation entre l’automatisme et la thématique délirante, que l’on pourrait qualifier de mécaniste. Toutefois, cela ne semble pas aussi clair lorsqu’il écrit que dans certaines formes du délire d’influence, les « tendances sexuelles, plus ou moins

367 Ibid., n° 5, p. 299. 368 Ibid., n° 4, p. 232. 369 Ibid., n° 4, p. 233.

refoulées, se libèrent grâce à l’automatisme mental »370. Le délire est-il l’œuvre d’une rationalisation, ou traduit-il le réveil de tendances jusque là inhibées ?

Si Ceillier ne parvient pas à prendre clairement position entre ces deux hypothèses étiologiques, nous allons voir que Gaëtan Gatien de Clérambault, lui, a tranché.

2.3.5. Les psychoses à base d’automatisme de Gaëtan Gatian de