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VIS A VIS DE LA PENETRATION PASSIVE ?

2.1. H YSTERIE ET VAGINALITE

2.1.3. Géraldine, ou la pénétration sans corps dans la névrose hystérique

Comme j’aimerais ne plus jamais avoir à faire l’amour !

Géraldine a une vingtaine d’années. Sa présentation est celle d’une jeune femme à la fois très féminine, discrètement séductrice, et parfois enfantine. Son intelligence et son appétence à l’introspection lui permettent de porter un regard lucide sur son fonctionnement.

Elle se présente au Centre Médico-Psychologique pour des plaintes anxieuses : elle souffre depuis quelques semaines d’attaques de panique, associées à un sentiment de dépersonnalisation et de déréalisation (elle a l’impression d’être « absente à elle-même »226, elle se sent comme séparée de la réalité par un voile). Elle évoque également des « infections urinaires » à répétition, dont elle souffre depuis l’enfance, sans qu’aucune cause organique n’ait pu être repérée, si bien que son médecin généraliste a fait l’hypothèse d’une origine psychologique.

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Ibid., p. 879.

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Freud, proposant de ramener chacun des éléments de la symptomatologie de l’attaque hystérique à la « satisfaction auto-érotique que le sujet se donnait autrefois », écrit que l’« absence » caractéristique de la crise hystérique « procède de ce retrait passager mais incontestable de la conscience qu’on peut ressentir au faîte de toute satisfaction sexuelle intense » (1909a, op. cit., p. 163).

Après un cursus universitaire, elle travaille dans le domaine de la culture. Elle vit seule avec sa mère, décrite comme une femme forte, rigide, et peu encline aux démonstrations affectives et au maternage, au grand désespoir de Géraldine, qui attend sans cesse de sa part des marques de tendresse. A la fin de l’adolescence, Géraldine a perdu brutalement son père, beaucoup plus âgé que sa mère. Elle décrit un homme sans autorité, avec qui elle a fait un tas de « bêtises » (sic) à l’insu de la mère, et c’est en somme plus d’un grand-père complice que d’un père dont elle se souvient.

Les préoccupations de la patiente sont essentiellement orientées vers les relations amoureuses. Elle entretient une relation avec un garçon de son âge qui vit loin de chez elle. Cet éloignement est pour elle la source d’une angoisse dépressive majeure, réactivant, de son propre aveu, la douleur de la perte de son père. Mais en-dehors de cette liaison amoureuse, elle entretient sans cesse des amours platoniques, des relations de séduction mutuelle, avec d’autres hommes, qui surtout peuplent ses rêveries incessantes (dont elle dit qu’elles lui procurent plus de plaisir que la vie réelle). A travers elles, elle s’imagine en femme d’affaire, vivant d’extraordinaires histoires d’amour avec des inconnus rencontrés au hasard.

Elle se montre beaucoup moins audacieuse sur le plan de la sexualité réelle, agie. Elle avoue même trouver un bénéfice à ses infections urinaires (pourtant particulièrement pénibles) en ceci qu’elles lui permettent de s’épargner pendant près d’une semaine toute relation sexuelle227. D’ailleurs, ces troubles disparaîtront au cours des premiers temps de la thérapie. Ce symptôme, manifestement conversif, apparaît doublement déterminé : s’il la protège contre la pénétration sexuelle, il semble également qu’il constitue un équivalent déguisé de la masturbation clitoridienne à laquelle la patiente se souvient s’être adonnée avec passion dans l’enfance (la pénibilité occasionnée portant la marque du compromis). On voit comment le surinvestissement régressif du phallique (clitoris) sert l’évitement du féminin (vagin) dans cette configuration hystérique.

La pénétration est source pour elle d’angoisses majeures : « comme j’aimerais ne plus jamais avoir à faire l’amour ! ». Elle décrit comment tout son corps se crispe lorsqu’approche

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Ces infections surviennent le plus souvent durant la semaine précédant ses règles. Géraldine note que la somme des deux perturbations l’amène à lui épargner le devoir conjugal pendant près de la moitié de son cycle menstruel.

l’échéance, pénible mais inévitable, du coït. Lors d’un séjour d’une semaine auprès de son compagnon, elle constate avec surprise que ses règles surviennent dès le lendemain de leurs retrouvailles, alors qu’elle les attendait bien plus tard ; cette heureuse anomalie la contraindra à refuser toute relation sexuelle au cours des quelques nuits partagées avec lui.

Son attitude envers les hommes condense trois postures :

- une posture de petite fille à protéger (à soigner ?) lorsqu’elle s’amourache d’hommes (parfois bien plus âgés qu’elle) dont elle rêve jour et nuit, mais avec qui elle échangera tout au plus un baiser innocent. Et lorsque son ami montre des signes d’exaspération et menace de rompre, elle sombre dans le plus profond des désespoirs ;

- une attitude agressive et humiliante, assortie d’un plaisir non-dissimulé, envers les hommes qui l’approchent et tentent de la séduire, et bien sûr contre son ami lui-même, qu’elle ne ménage pas ; parfois, c’est elle qui prend les rennes du jeu de séduction, et elle parvient habilement à manipuler ses victimes, les faisant s’abandonner à ses desiderata, allant parfois jusqu’à tomber dans leurs bras, mais jamais dans leur lit ;

- enfin, une attitude de féminité assumée, et même revendiquée, dont Jacqueline Schaeffer écrit qu’elle « fait bon ménage avec le phallique, celle du leurre, de la mascarade, et qui rassure l’angoisse de castration, aussi bien celle de l’homme que celle de la femme »228. Nous n’aurions su mieux dire à quel point la féminité de Géraldine est un subterfuge (phallique) qui sert tout au contraire le refus du féminin, et la « rassure » contre l’angoisse de pénétration (dont André Green note, rappelons-le, qu’elle est le « corrélat » de l’angoisse de castration). Son complexe de castration apparaît de façon caricaturale dans un rêve, peu symbolisé, dans lequel elle se voit, dotée d’un pénis, « violer » (sic) un homme qui, lui, en est privé.

Nous comprenons ces trois formes de régression, respectivement orale, sadique-anale et phallique, comme autant de modalités de refus du féminin. Notons (à l’instar de Freud, à propos de la « protestation virile »229) qu’il ne s’agit pas d’un refus de la passivité, puisqu’elle en assume parfaitement la forme orale, mais seulement de la forme vaginale de celle-ci : chez Géraldine, c’est seulement lorsque la passivité implique la pénétration passive qu’elle est source d’angoisse.

On voit donc comment, chez cette jeune femme, la problématique hystérique a trouvé une voie de compromis dans la pénétration sans corps : l’occupation voluptueuse de son « théâtre

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Schaeffer J., 2000, art. cit.

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privé » par des hommes semble constituer un pis-aller, exempt d’angoisse et de culpabilité, à la pénétration physique par eux, à laquelle elle ne se soumet qu’en dernier recours (et à dose homéopathique), lorsque la crainte de perdre son objet d’amour prend ponctuellement le pas sur l’angoisse d’être pénétrée par lui. Dans le même temps, les modalités orale, sadique-anale et phallique de la régression constituent, on l’a vu, des modes diversifiés de défense contre le vaginal.

Si la névrose hystérique constitue une résolution de l’ambivalence à l’égard du vaginal- génital, c’est-à-dire du féminin, nous verrons que la psychose hystérique résout, quant à elle, l’ambivalence à l’égard du vaginal-prégénital.

2.1.4. Extase mystique et possession démoniaque : deux passions