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VIS A VIS DE LA PENETRATION PASSIVE ?

2.3. S EMIOLOGIE DE LA PSYCHOSE HYSTERIQUE

2.3.8. Les symptômes de premier rang de Kurt Schneider

Kurt Schneider, psychiatre allemand, s’est intéressé à ce qui spécifie le vécu schizophrénique, notamment dans une visée diagnostique. En 1950, il publie Psychopathologie clinique, dans lequel il recherche « un ordre hiérarchique des symptômes pour l’élaboration du diagnostic » de schizophrénie :

Parmi les variétés anormales de l’expérience vécue, si nombreuses dans la schizophrénie, il y en a quelques-unes que nous appelons symptômes de Ier rang, non parce que nous les tenons pour des « symptômes fondamentaux » mais bien parce qu’ils ont une importance

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Schneider M., 2004, art. cit., p. 45.

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tout à fait particulière pour le diagnostic quand on les confronte tant aux anomalies psychiques non-psychotiques qu’à la cyclothymie. […] dans l’ordre de notre investigation, les symptômes de Ier rang sont : publication de la pensée, audition de voix

sous forme de propos et de répliques, audition de voix qui accompagnent de remarques les agissements du malade, expériences corporelles d’influence, vol de la pensée et autres influences de la pensée, diffusion de la pensée, perception délirante, ainsi que tout ce qui est fait et influencé par d’autres dans le domaine des sentiments, des tendances (pulsions) et de la volonté.436

Ce qui frappe à la lecture de cette série de symptômes, c’est qu’ils semblent être les héritiers de ce que, une vingtaine d’années plus tôt, de Clérambault décrivait sous le terme de grand automatisme mental. Que ces symptômes aient pu avoir été décrétés caractéristiques, voire pathognomoniques, de la schizophrénie, de la psychose hallucinatoire chronique, ou encore de la psychose au sens large, nous importe peu. Outre qu’ils visent directement la dimension psychopathologique qui nous occupe ici, ces symptômes ont l’avantage de présenter une homogénéité clinique (ils concernent une anomalie du vécu intime relatif à l’intégrité de la personne). Notons qu’ils ne sont pas considérés comme obsolètes par la communauté scientifique (contrairement au syndrome isolé par de Clérambault).

Une lecture rapide de cette série de symptômes pourrait nous laisser penser que nous avons affaire à un découpage minutieux du syndrome d’influence en ses composantes élémentaires. Mais à y regarder de plus près, sous l’angle de la question de la pénétration, on constate qu’on peut les classer en deux catégories :

- soit l’espace de la pensée est occupé par des corps étrangers : le malade peut ressentir en lui une présence étrangère qui lui parle, lui donne des ordres, parle de lui, converse avec une autre présence étrangère, lit et commente ses pensées, les répète en écho (hallucinations psychiques) ; il peut aussi vivre ses états internes comme imposés par une force extérieure, il se sent contrôlé (manifestations xénopathiques : pensées, sensations, émotions, intentions d’actions imposées). Dans les deux cas, cela se traduit pour le malade par un vécu de pénétration psychique : son espace interne est indûment occupé, soit par une voix intérieure (le malade se sent habité), soit par une influence extérieure (le malade se sent contrôlé, voire possédé). La différenciation moi-autrui est maintenue, et se dialectise dans un rapport de contenant à contenu : il s’agit d’une modalité de pénétration. Notons, en référence à notre hypothèse du fantasme de pénétration sans corps, que la voix et la volonté constituent deux parties incorporelles d’un autrui pénétrant ;

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- soit l’espace de la pensée est illimité, se perd dans l’infini, se confond avec la pensée des autres, échappe au malade : les pensées sont partagées, entendues, dérobées ; les états internes propres et ceux des autres menacent de s’indifférencier ; les intentions se traduisent dans le comportement des autres, comme si la pensée propre et celle des autres formaient un magma indifférencié. La différenciation intersubjective s’estompe, les limites s’effacent.

Nous voyons donc qu’il est possible de distinguer un mouvement centripète, le monde extérieur venant s’invaginer dans la pensée ou le corps du malade (hallucinations psychiques, syndrome d’influence, commentaires des actes et de la pensée, écho de la pensée), et un mouvement centrifuge, la pensée se disloquant, les limites dedans-dehors, moi-autrui, s’effaçant (diffusion, partage des pensées). Nous faisons l’hypothèse que ces deux catégories de symptômes renvoient à deux états distincts d’un même processus psychopathologique : la lutte anti-schizoïde, et son échec, l’indifférenciation intersubjective. Cette dichotomie rappelle celle qui forme la trame de toute la conception psychopathologique des psychoses, entre psychoses marginales (Randpsychosen) et nucléaires (Kernpsychosen) d’Ernst Kretschmer, entre psychoses délirantes et psychoses schizophréniques, ou encore entre les phénomènes de centralité et d’indifférenciation intersubjective décrits par Henri Grivois chez les individus en psychose naissante437 : ce dernier auteur considère que, de celui de ces deux phénomènes qui prendra le dessus, dépendra l’évolution ultérieure, respectivement vers une psychose délirante ou schizophrénique.

Le cas du vol de la pensée nous confronte à une indécision : s’agit-il d’un mouvement centrifuge, ou centripète ? Prenons la métaphore d’un cambriolage. Qu’est-ce qui prime, dans le vécu de celui qui le subit : le sentiment de violation de l’intimité consécutive à l’intrusion des cambrioleurs, ou l’angoisse associée à la dispersion des biens propres dans l’espace public ? Dans le phénomène du vol de la pensée, l’accent est mis sur le vide laissé par la pensée volée, qui a disparu du champ interne, et les troubles de la pensée qui en découlent (citons notamment les barrages, symptôme emblématique du syndrome dissociatif), et non sur le vécu d’intrusion : c’est donc plutôt la dimension centrifuge qui sera retenue.

Enfin, notons que la perception délirante, notion proche du mécanisme délirant interprétatif, est à part : elle ne concerne pas le rapport du sujet à ses limites psychiques.

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