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Chapitre VI – L’inscription sur Facebook et ses usages

6.4. Les usages des technologies mobiles

D’après un rapport de Médiamétrie, il y aurait en ce début d’année 2014, un peu plus de 8 millions d’usagers de tablettes en France (Médiamétrie, 2014). Par ailleurs et toujours selon cet institut de mesure des médias, il y aurait une massification d’usage des smartphones, avec un taux d’équipement de deux tiers des usagers du mobile, soit plus de 26 millions de personnes.

Le second constat réalisé par la société de mesure de l’activité numérique ComScore, au troisième trimestre 2013 en France, montre qu’il y aurait 27 millions de mobinautes, à savoir des individus s’étant connecté à internet depuis leur téléphone mobile au cours des trois derniers mois (ComScore, 2013).

L’ensemble des personnes que nous avons interrogées par entretiens possède un téléphone portable mais, si nous pouvons le formuler de la sorte, ils ne sont que la moitié à disposer d’une connexion internet sur leur mobile et à en faire usage. Plus encore, sur cette sous-population, tous ont un âge inférieur à 27 ans, sauf un individu. L’âge moyen de cette sous-population d’usagers mobiles de Facebook est de 22 ans alors que celui de l’ensemble des interrogés est de 31 ans. Et ils ne sont que deux à ne pas avoir de téléphone portable. L’usage des technologies mobiles, et plus particulièrement l’utilisation d’internet par le biais de ces dispositifs, diminuent avec l’avancée en âge des individus.

L’INSEE complète nos observations en expliquant que les deux usages principaux du smartphone, en 2012, étaient d’envoyer des SMS, pour près de 94 %, et de naviguer sur internet pour un peu moins de 80 % des possesseurs de smartphone (INSEE, 2013).

Une étude menée auprès de la population bretonne nuance partiellement ce constat. L’observatoire du GIS M@RSOUIN a montré qu’un peu moins de la moitié des Bretons (46 %) accédant régulièrement à internet ne s’y connectent pas en mobilité du fait du manque d’utilité perçue et l’absence d’outils adéquats (Deporte, 2014 : 2 ; Marsouin, 2014).

Les résultats apportés par l’INSEE concernant la part des personnes s’étant connectées à internet depuis leur mobile offre un réel aperçu de la progression de l’usage de l’internet mobile chez les français (Gombault, 2013). L’institut révèle, d’ailleurs, que, en 2012, près de 40 % des personnes ont navigué sur internet par le biais de leur mobile.

Comme nous l’avions précédemment annoncé, les technologies mobiles ont entraîné une évolution de certains usages de Facebook. La première et la plus flagrante renvoie aux opportunités offertes par ces technologies mobiles et, plus particulièrement, le téléphone mobile. Ce sont d’ailleurs ces changements que Francis Jauréguiberry et Serge Proulx mettent en avant avec les trois êtres du mobile : être branché, être efficace et être autonome (Jauréguiberry & Proulx, 2011 : 106-110).

Ce dont il est le plus souvent fait cas dans les discours des personnes interrogées, disposant d’un téléphone mobile avec une connexion internet, renvoie à cette possibilité de se connecter et de se déconnecter indéfiniment à Facebook. Ce phénomène renvoie et confirme justement ce mode sporadique d’usage de Facebook, avec une connexion permanente entrecoupée de multiples micro-visites, comme pour Johanne : « J’ai Facebook sur mon téléphone. Donc, en

fait, j’y vais… Sur une heure, je vais peut-être y aller 10-15 minutes. Je l’ouvre, je l’éteins, je l’ouvre, je l’éteins ». Fabien adopte une pratique somme toute identique : « Non, je regarde 5 minutes s’il y a une notification, je réponds, je pars, j’enlève 15 minutes et puis après je remets ». Les technologies mobiles deviennent les pourvoyeurs principaux de ce mode

d’usage.

La seconde évolution, conjointement aux opportunités, renvoie aux risques encourus. Ce phénomène semble, plus particulièrement toucher les plus jeunes. L’exemple d’Ivan atteste des conséquences qui ont suivi la prise de risques : « Le truc, c’est que ma mère… en parlant

de ça, en fait, il y a un an. J’avais mon téléphone mobile en cours et je l’ai utilisé, c’était sur Facebook. Je me suis fait grillé. Du coup, ma mère m’a puni de un an sans téléphone. Du coup, le mois prochain, j’aurais un nouveau téléphone. Et cette fois, je ferais attention ».

L’usage de Facebook dans ce contexte, comme usage dérogeant aux règles fixées par le temps dominant, au temps scolaire dans le cas d’Ivan, entraîne une prise de risque et, dans certains cas, l’application de sanctions. Dans la continuité, est-ce que l’expérience du risque et de la sanction peuvent être définies comme des facteurs d’apprentissage des normes régissant l’usage des technologies mobiles ?

L’exemple d’Ivan, tout comme celui de Fabian, peut aussi amener à réévaluer l’usage prescrit de ce temps dominant comme un usage détourné : « Je le prends que pour voir l’heure ou

quand j’ai une notification et que c’est un cours à moitié nul ». D’une certaine manière,

l’espace scolaire n’est pas le seul contexte au sein duquel ce phénomène soit observable. La sphère professionnelle concentre de plus en plus ce genre de pratiques.

Une des autres évolutions perçues depuis cette massification d’usages des technologies mobiles est une réduction des possibilités techniques d’usage. Ce dont un ordinateur fixe est capable, le téléphone mobile ne peut pas entièrement le réaliser. De fait, nous pouvons poser l’idée que, dans ce contexte, la technique contraint les usages. Mathilde est, par ailleurs, très explicite sur le sujet : « Ben, je regarde l’actualité. Je ne poste plus rien par contre parce que

je n’ai pas que ça à faire… (Rires)… Et, ouais, je regarde l’actualité, voir ce que les amis font et tout ça. Je passe plus de temps sur l’actualité que de faire d’autres trucs sur Facebook. […] Moi, je vais dans "Message" parce que pour le chat, il faut que je me connecte… la flemme avec mon petit portable ». Cette connexion supplémentaire est, pour

elle, trop contraignante, d’où cette « flemme ».

À l’inverse, ces contraintes, définies par certains, peuvent, pour d’autres, être reconnues comme des facilités techniques. Cette célérité à la connexion est une invitation à de multiples usages. Les propos de Tristan illustre ce phénomène : « Ça va être plein de petites fois, ça va

être plein de petites fois. Ça va être plein de petites fois sur des temps de 2 minutes ou de 5 minutes. Et du coup avec le téléphone maintenant aussi, ça va être 2 minutes et puis après je me retire… ». Thibaud n’est pas en reste : « Je l’utilise… Des fois, je regarde 30 secondes le matin si j’ai des notifications ou des choses comme ça. Ensuite, je pars à l’école. Sinon, c’est tout ». Du fait qu’ils soient en capacité de se connecter quasiment partout,

potentiellement à tout moment et de manière très rapide, ils tendent à multiplier les connexions.

Comme nous l’avions déjà évoqué dans le rapport Ipsos, deux phénomènes semblent se généraliser chez les jeunes usagers des technologies numériques, à savoir un effet

multi-écrans et un effet multitasking (Ipsos, 2014). Ce que cette étude ajoute, c’est que les

tablettes pénètrent de plus en plus les foyers, passant de 22 % en 2012 à 46 % en 2013 pour les foyers avec enfants. Ce phénomène est d’autant moins anodin que l’équipement personnel en tablettes s’accroit chez les moins de 20 ans : 8 % pour les 1-6 ans, 19 % pour les 7-12 ans et 18 % pour les 13-19 ans. Conjointement à la généralisation d’usage des réseaux socionumériques, la possession, de plus en plus jeune, de technologies mobiles renforce le phénomène de mobilité de l’entre-soi numérique spatialisé.

Notre interprétation nous amène à penser que, dans un premier temps, l’usage de Facebook, sur un ordinateur fixe, a permit la formation et le renforcement d’un entre-soi spatialisé. Ce phénomène doit se comprendre de deux manières. La première est que l’usager est géographiquement localisé dans son usage, principalement dans l’espace privé ou domestique. La seconde est que cet entre-soi est spatialisé dans un univers numérique, celui de Facebook dans le contexte d’usage qui nous concerne. Dans un second temps, le déploiement massif des technologies mobiles dans la société a amené un usage des réseaux socionumériques sur les téléphones mobiles, par le biais d’applications spécifiques, entraînant une révision de cette spatialisation de l’entre-soi numérique. D’une fixité à un espace géographique spécifique et unique, l’individu a dorénavant la possibilité de se connecter à internet en de multiples lieux tout en étant mobile.. Dans un dernier temps, ce phénomène aurait amené à une mobilité physique de cet entre-soi numérique. Cette spatialisation dans l’univers numérique de Facebook demeure tout en permettant à l’individu de se mouvoir dans l’espace géographique terrestre.

Par ailleurs, selon Médiamétrie, Facebook arrive en deuxième position des sites internet les plus visités en février 2014 par les utilisateurs français (Médiamétrie, 2014). Selon ces données, Facebook aurait accueilli un peu plus de 18 millions de visiteurs uniques46 sur le mois de février 2014, juste derrière le moteur de recherche Google et ses quasis 20 millions

46 Un visiteur unique se définit comme une personne se connectant à un site particulier. Ses multiples visites

de visiteurs. Selon la société Facebook elle-même, il semblerait qu’il y ait, en début d’année 2014, plus de 1 milliard d’usagers actifs qui se connecterait à Facebook, tous les mois, par le biais de leur téléphone mobile (Facebook, 2014).

Nous avions postulé en conclusion du chapitre V qu’il s’opérait, avec la massification d’usage des réseaux socionumériques, une révision des temporalités d’usage d’internet et des temporalités en-dehors d’internet. N’oubliant aucunement que espace et temps sont liés, nous pouvons, de la même manière, admettre qu’il pourrait s’opérer une révision de l’espace, tout du moins une révision du rapport de l’usager à l’espace, tant géographique que numérique. Ce phénomène semblerait d’autant plus se réaliser depuis la massification d’usage des technologies mobiles (smartphone, tablette, etc.).

Nous souhaitons compléter notre propos quant à cette tendance, non généralisée mais néanmoins observable, du passage d’une spatialisation d’un entre-soi numérique à une mobilité physique d’un entre-soi numérique. Depuis la massification d’usage des technologies mobiles, il s’est opéré une révision du rapport de l’usager à l’espace géographique mais aussi de son rapport à l’espace numérique. Afin de mieux appréhender l’évolution de la mobilité individuelle depuis la massification d’usage des technologies mobiles, nous proposons le schéma 6.4.1 ci-dessous.

Ordinairement, l’usage de Facebook, comme d’internet plus généralement, se réalise dans un espace géographiquement localisable. Cet usage, sur un ordinateur fixe, amène à naviguer d’un site internet à un autre, induisant occasionnellement une connexion ou une identification particulière. Ce faisant, il apparaît une fixité dans l’espace géographique et une mobilité dans l’espace numérique. Au fur et à mesure de la massification d’usage des technologies de communication mobiles, cette fixité dans l’espace géographique semble être concurrencée par une mobilité dans l’espace géographique. Inversement, cette mobilité dans l’espace numérique paraît se minimiser par rapport à une fixité dans ce même espace numérique. Cette fixité doit se comprendre comme un phénomène de visibilité permanente de l’usager de l’internet, notamment par le biais de technologie comme Facebook Connect, permettant d’automatiser l’identification de ce dernier d’un site à l’autre, pour ceux ayant introduit cette technologie sur leur site. Ce faisant, nous proposons le schéma suivant, résumant notre argumentation concernant l’évolution des mobilités spatiales des usagers de Facebook avec les technologies mobiles.

Schéma n° 6.4.1 : Évolution de la mobilité individuelle avec les technologies mobiles

   

   

      ESPACE  GÉOGRAPHIQUE   ESPACE  NUMÉRIQUE  

   

Massification   d'usage  de  la   technologie  

mobile  

AVANT  

FIXITÉ  DANS  L'ESPACE   GÉOGRAPHIQUE  

MOBILITÉ  DANS  L'ESPACE   NUMÉRIQUE   Ordinairement  localisée  

dans  l'espace  domestique  ou   privé  

En  se  reconnectant  et  en   s'identifiant  d'un  site  internet  

à  un  autre       Spatialisation  d'un  entre-­‐soi  

numérique  

   

APRÈS  

MOBILITÉ  DANS  L'ESPACE   GÉOGRAPHIQUE  

FIXITÉ  DANS  L'ESPACE   NUMÉRIQUE  

Facilitée  par  les  technologies   mobiles  (tablette,   smartphone,  etc.)  

Facebook  Connect  favorise  le  

suivi  d'identification  et  la   perdurabilité  du  soi  

numérique       Mobilité  physique  de  l'entre-­‐soi  

numérique  

   

Conclusion au chapitre VI

Ainsi, nous avons apporté quelques éclaircissements, dans ce présent chapitre, quant à l’inscription sur le réseau socionumérique Facebook, son adoption, sa fréquence d’utilisation et la place toujours plus importante des technologies mobiles dans son usage.

Tout d’abord, l’inscription à Facebook s’effectue souvent pour de multiples raisons et rarement pour une raison unique. Cette inscription est le résultat de diverses formes de sollicitations exercées le plus souvent par soi-même (curiosité professionnelle et nécessité professionnelle), par le réseau de relations amicales, le réseau de relations familiales ou issue de contrainte structurelle extérieure (éloignement géographique). Cette invitation est vécue de manières différentes selon l’usager. Soit elle est définie comme subie, soit elle est reconnue comme choisie ou soit elle est entendue comme nécessaire.

Ensuite, l’adoption du dispositif ne se réalise pas de la même manière et à la même vitesse selon l’usager. Cette adoption peut se faire de manière laborieuse et progressive, de manière laborieuse et rapide, ou de manière aisée et rapide. Bien souvent, d’ailleurs, le rapport entretenu avec Facebook influence la vitesse d’adoption. Pour certains, le rapport initial est distant ou désintéressé, pour d’autres, il est curieux et proche.

Après, nous avons, d’une certaine manière, fragmenté les modes de connexion au réseau socionumérique en abordant la fréquence (régulière ou intermittente), la durée (succincte, mesurée ou prolongée) et le mode de connexion (sporadique, ponctuel court ou ponctuel long).

Enfin, nous avons terminé sur la place grandissante des technologies mobiles dans l’usage de Facebook. Inévitablement, ce phénomène amène à l’émergence de nouvelles opportunités mais aussi de nouveaux risques. Cela peut faire naître de nouveaux usages, tout du moins des usages perçus comme détournés des usages proposés par le dispositif technique. Cette expansion des technologies mobiles entraîne une révision du rapport à la technique, tant par les contraintes qu’elle peut exercer que par les facilités qu’elle peut offrir. Pour finir, ce phénomène entraîne une évolution de la mobilité individuelle, tant dans l’espace géographique que numérique.