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Les modes d’adoption du dispositif et le sentiment initial

Chapitre VI – L’inscription sur Facebook et ses usages

6.2. Les modes d’adoption du dispositif et le sentiment initial

Sur la base de l’ensemble des discours des répondants, nous avons fait émergé trois modes d’adoption du réseau socionumérique Facebook. Le premier correspond à une adoption définie comme « laborieuse » et s’étant déroulé sur un temps assez long. Le deuxième renvoie toujours à une adoption vécue comme pénible mais qui s’est réalisée sur un temps plus court. Et le dernier se rapporte à une adoption s’étant déroulée de manière rapide et sans difficultés déclarées.

Comme nous pouvons le voir, avec Aline et Mathilde, les premiers temps d’usage de Facebook ont été vécus de manière assez difficile. Pour Mathilde, les débuts ont été un temps d’incompréhension : « Et puis du coup, je me suis dit que je n’avais qu’à essayer de

m’inscrire. Je me suis inscrite et puis, au début, je n’ai rien compris. Et puis, après, au fur et à mesure, j’ai compris comment ça fonctionnait. Et puis, j’ai commencé à aller tout le

temps ». Quant à Aline, elle dut se faire accompagner : « Ben au début, j’avais du mal. Je ne savais pas trop comment faire ça. C’était ma fille qui m’a expliqué comment faire pour les photos. Et après, c’est venu tout seul. […] Oui, au départ, ma fille était sur Facebook. C’était une joueuse. Elle, c’était plus les jeux. Et, voilà, je me suis mise dans un jeu, un seul… Parce que il y en a plein… Un jeu, un seul jeu, c’est le jeu des lettres ». Pour autant, ces difficultés

ne semblent pas avoir perduré. Chacune d’entre elles affirme disposer d’une certaine aisance d’usage de Facebook. L’élément important qui semble accélérer le processus, tout du moins le favoriser, semble être le réseau de proches. Tant pour Mathilde qui s’est appuyée sur des amies proches, que pour Aline qui a eu recours à sa famille, le réseau de proches apparaît comme une assistance et un stimulant quant aux premiers usages de Facebook.

Concernant cette seconde catégorie d’usagers, il semblerait, de la même manière, que l’apprentissage de l’outil fut initialement laborieux mais qu’il s’est déroulé sur une échelle de temps plus courte. Que ce soit pour Elsa ou pour Thibaud, les difficultés rencontrées lors des prémices sont clairement affirmées. Elsa revient ironiquement sur ses débuts : « J’avais ma

copine qui était à côté de moi et elle me prenait à moitié pour une gogol parce que je ne comprenais pas. Je ne savais pas, en fait. Et puis, au fur et à mesure, ça vient assez vite par contre. Tu galères la première semaine et après, c’est bon ». À l’instar d’Aline, Thibaud a su

solliciter son entourage : « Ouais. Au début, je ne savais pas trop comment l’utiliser. Et puis

après, du coup, au fur et à mesure, je demandais à mon frère des trucs que je ne savais pas faire… […] Ben, j’ai cherché, j’ai appuyé sur tout ce que j’ai trouvé… et puis, après, j’ai vu. Ou même quand on met la souris là où on peut cliquer, il affiche une aide ». Par contre, ce qui

semble plus flagrant, c’est la vitesse de progression et l’accès à une certaine forme d’aisance dans la pratique de l’outil.

Le dernier mode d’adoption correspond davantage au discours dominant lié à l’inscription à Facebook, assimilant cette étape en une dérisoire formalité. Les propos de Morgane s’accordent particulièrement à cette pratique d’adoption rapide du dispositif, d’autant plus, qu’à ce moment là, elle se trouvait en voyage en Islande : « Ben, j’ai compris assez

rapidement comment ça fonctionnait. Comme j’étais en voyage justement, je mettais des statuts où je disais où j’étais. Et, voilà. […] J’ai tout de suite compris comment ça marchait, comment les gens mettaient des trucs vachement perso et vachement inintéressants… ».

L’éloignement géographique et la distance prise par rapport au réseau de proches ne l’ont pas pour autant entravé dans sa démarche d’inscription sur Facebook. Rémi, bien que s’étant mis

à l’informatique et à internet très tardivement au regard de son âge, a déclaré ne pas avoir souffert de difficultés quant à l’adoption de Facebook : « Bon, ça va. Ça a été assez facile.

C’est assez bien expliqué… bon après, c’est vrai que si tu cherches un petit peu, il y a toujours… Je n’ai jamais été approfondir tout ce qu’il y avait dedans parce qu’il y a pas mal de trucs mais ça peut être assez basique pour une utilisation comme la mienne ».

L’âge ne semble pas être un facteur foncièrement déterminant concernant l’apprentissage des modalités d’usage du réseau socionumérique Facebook, tout du moins concernant la population de personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues. Plus spécifiquement, la population d’usagers la plus âgée semble compenser une sensibilité moindre et une aisance réduite à la technique par des sollicitations du réseau de proches plus importantes que ne feraient les usagers plus jeunes. Il semblerait que Facebook ait été particulièrement structuré de manière didactique pour, là aussi, réduire cet écart entre les diverses populations d’usagers. Bien évidemment, nous modérons cette interprétation dans le sens où nous n’avons interrogé que des usagers de Facebook, des personnes qui ont franchi le cap des premiers temps d’apprentissage.

Il serait d’autant plus intéressant de compléter cette argumentation en recueillant l’expérience de non-usagers (arrêt de l’usage, échec dans l’usage, rejet de l’usage, etc.) pour enrichir et diversifier l’explication. Longtemps la question du non-usage a été traitée du point de vue de la déficience. Le non-usage était vu comme une incapacité ou un manque de volonté. L’idée première fut – et elle continue d’ailleurs à l’être chez un bon nombre d’individus – que la technologie est nécessairement bonne à l’amélioration de la condition humaine. De fait, le non-usage était perçu comme un état qu’il était nécessaire de revoir et d’améliorer. Le non-usage ne peut se comprendre sans l’usage. Si nous désirons nous pencher sur le non-usage, il est primordial de le penser en relation avec l’usage. Nombre de chercheurs se sont d’ailleurs penchés sur le sujet (Boudhokane, 2006, 2011 ; Boutet & Trémenbert, 2009 ; Granjon, 2011 ; Jauréguiberry, 2010). Nous en discuterons pas davantage du non-usage puisque notre population d’enquêtés se restreint aux seuls usagers. De la même manière, nous n’occultons pas le phénomène d’inégalité numérique, dont Fabien Granjon, Benoît Lelong et Jean-Luc Metzger, parmi d’autres, ont traité de ce sujet mais notre angle d’approche ne nous permet pas d’analyser en profondeur ce type de disparités (Granjon & al., 2009).

Parallèlement aux modalités d’adoption du réseau socionumérique, les usagers semblent arborer des sentiments différents vis-à-vis de leur premiers temps d’usage du dispositif. D’une

manière assez simple, nous en proposons une interprétation suivant un axe abstrait de mesure de ce sentiment initial, avec aux opposés, d’un côté un rapport initial distant ou désintéressé, de l’autre un rapport initial de proximité ou curieux. Bien évidemment, chacun de ces opposés correspondent à des idéaux-types qui sont quasiment inexistants dans les réalités d’usages. Pour autant, ce construit saura nous éclairer quant à la compréhension de ce sentiment initial.

Les individus qui déclarent s’être inscrits, d’une manière somme toute assez distante ou désintéressé, ne correspondent pas à la majorité des usagers interrogés. À l’inverse du mode d’adoption du dispositif, l’âge semble être un facteur important dans le sentiment que l’usager a pu initialement avoir lors de ses premiers temps d’usage. Les personnes qui ont majoritairement déclaré avoir un sentiment mitigé au moment de l’adoption ont plus de 30 ans. Comme l’explique Lydia, avant de se focaliser sur un centre d’intérêt particulier, en l’occurrence la pratique de l’écriture amateur, elle n’entretenait qu’un sentiment mitigé par rapport à Facebook : « Tâtonnant. Tâtonnant. Pas convaincu et sans trop comprendre. Voilà,

il a vraiment fallu que ma collègue Clémence ré-ouvre cette page [Facebook du centre social], "Ben tiens, finalement, ça m’a l’air pas mal du tout ton truc" et "Oh mais je ne comprends rien, je ne comprends pas ton truc". Donc voilà. Donc Tâtonnant, pas convaincu mais aussi, peut-être, pas convaincu parce que ne comprenant pas forcément… toutes les choses ». Anne-Laure, quant à elle, justifie ce sentiment de distance par le fait qu’elle s’est

inscrite à Facebook « malgré elle », suite à certaines contraintes, non déclarées, exercée par le réseau militant auquel elle a autrefois appartenu mais dont elle s’est aujourd’hui détachée : «

Donc en fait, à l’époque, je faisais du militantisme politique et des connaissances, qui étaient dans le parti politique, étaient tous sur Facebook. Et quelqu’un m’a envoyé une invitation mais, à l’époque, je ne savais pas ce que c’était. Même une invitation, je ne savais pas ce que c’était. Je me disais "Il ne peut correspondre avec moi par mail ?". Je n’avais aucune idée de ce que c’était Facebook. Donc c’est pour ça que je dis que c’est une erreur. C’est malgré moi que je me suis inscrite sur Facebook ». Notre échange a fait émergé le fait qu’elle ne garde

par un souvenir rêvé de ses premiers temps d’usage de Facebook.

À l’opposé, les personnes déclarant s’être inscrites par curiosité ou par proximité sont majoritaires. Tout du moins, elles sont plus enclines à ce genre de sentiment. Emma, du fait de ses fréquents déménagements, fut très curieuse de ce nouveau dispositif : « Ça allait,

c’était facile. C’est vrai que quand on s’y connaît un petit peu. C’était facile, c’était sympa d’ajouter des amis, de retrouver ses amis parce que j’ai beaucoup changé d’établissements

scolaires. J’ai beaucoup déménagé. C’est sympa… ». Élise, quant à elle, nous permet de voir

que les plus de 30 ans n’ont pas tous un rapport initial distant à Facebook, nuançant notre précédent propos : « Ça a été très simple. Je ne sais plus comment ça s’est passé mais… On

m’a dit comment faire et j’ai fait toute seule. Ça a été facile. […] La moitié du temps que je vais sur l’ordinateur, je vais sur Facebook… si c’est les jeux de Facebook. Autrement, il y a d’autres jeux… Parce qu’il y a toute une petite série à laquelle je joue avec ma petite fille. C’est comme ça que j’ai commencé ». Nous complèterons notre argumentation en expliquant

qu’une part des personnes interrogées a déclaré ne plus avoir de souvenirs de ce sentiment initial ou ne pas avoir ressenti de sentiment particulier.

Graphique n° 6.2.1 : L’inscription des individus sur Facebook

Sur la base des réponses des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues concernant leur modalité d’adoption du réseau socionumérique et concernant leur sentiment initial à la suite de cette inscription, nous avons élaboré un modèle théorique de représentation des différents types d’inscription à Facebook. Sur ce graphique, chaque point représente un individu avec lequel nous nous sommes entretenu et dont le positionnement ne résulte pas d’un calcul statistique mais d’une interprétation de notre part lors de l’analyse. Il s’agit d’une construction intellectuelle et abstraite de la manière dont on pourrait représenter notre

Rapide Laborieuse

Distant

Curieux Sentiment initial à l'inscription

population d’enquêtés concernant leur rapport aux premiers temps d’apprentissage du dispositif sociotechnique, qui se décomposent suivant les modalités d’adoption du réseau socionumérique (axe horizontal) et le sentiment initial qui y est attaché (axe vertical).

Le premier constat que nous faisons fait état d’une répartition, non-proportionnelle, des usagers sur les quatre cadrans. Le premier cadran (sud-ouest) concerne des usagers dont l’apprentissage du dispositif s’est fait de manière assez rapide mais dont le rapport à Facebook est resté, dans les premiers temps tout du moins, distant. Les personnes concernées disposent de connaissances suffisantes quant à une inscription perçue comme rapide ou se sont appuyées sur un réseau de proches afin de parfaire leur savoir. Leur prise de distance vis- à-vis de Facebook est principalement issue d’une inscription par nécessité professionnelle ou scolaire. Le deuxième cadran (nord-ouest) renvoie à une population d’usagers dont l’adoption s’est, de la même manière, déroulée sur une échelle de temps assez courte mais dont le sentiment initial était très curieux. Une forte sensibilité aux innovations techniques, une mobilité géographique régulière ou une distance géographique importante entre soi et le réseau de relations peuvent en partie expliquer cette curiosité. Le troisième cadran (nord-est) se rapporte à des usagers développant un certain intérêt pour le réseau socionumérique quant à leur inscription mais dont l’adoption à Facebook a été, somme toute, assez laborieuse. Les individus concernés pourraient souffrir de certaines lacunes en ce qui concerne leur capacité

matérielle ou leur capabilité pratique, pour reprendre la terminologie de Fabien Granjon,

quant à une adoption rapide et perçue comme aisée de Facebook (Granjon, 2011 : 72). Le dernier cadran (sud-est) concerne des personnes quasiment invisibles par rapport à l’ensemble des usagers de Facebook. Ces individus, dont l’adoption a été des plus pénible, se sont par ailleurs inscrits avec une certaine réticence. Il nous semble que ce type d’inscription est principalement due à une nécessité professionnelle ou a été consentie suite à des attentes de proches (famille, amis).